Kirill espion à Genève: «Nous n’avons jamais trouvé de preuves en ce sens»

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Kirill espion à Genève: «Nous n’avons jamais trouvé de preuves en ce sens»

16 février 2023
Le chef de l’Eglise othodoxe russe, espion pour le KGB au Conseil œcuménique des Eglises (COE) à Genève dans les années 1970? Jerry Pillay, nouvellement à la tête de cette organisation comptant 352 Eglises, réclame des preuves. Et rassure sur l’actuel rôle du neveu de Kirill dans ses murs.

Arrivé au Secrétariat général du Conseil œcuménique des Eglises (COE) le 1er janvier, le pasteur presbytérien Jerry Pillay, originaire d’Afrique du Sud, accuse une première polémique. Après la grande opération de la presse dominicale suisse autour des rumeurs d’espionnage au COE par le patriarche Kirill, soutien indéfectible de Poutine, Jerry Pillay en profite pour livrer sa compréhension de l’affaire. Il exprime également sa vision sur la gestion de cette communauté internationale regroupant 352 Eglises, où siège encore Mikhail Goundiaev, neveu de Kirill. 

Le patriarche Kirill aurait agi en tant qu’espion pour le compte du KGB lorsqu’il siégeait au COE. Est-ce un risque inévitable pour une grande organisation internationale comme la vôtre?

Il y a effectivement des spéculations à ce sujet depuis un certain temps: cela ne date pas d’hier. Le COE a notamment mandaté l’un de ses comités centraux pour qu’il vérifie cette information. Mais nous n’avons jamais trouvé de preuves en ce sens. Si quelqu’un les possède, nous aimerions les consulter.

Le neveu de Kirill, Mikhail Goundiaev, est l’actuel représentant du Patriarcat de Moscou au COE. Comprenez-vous que cela puisse engendrer une certaine méfiance?

L’archiprêtre Mikhail Goundiaev est le représentant permanent de l’Eglise orthodoxe russe auprès du COE et des organisations internationales à Genève. Je l’ai rencontré ce lundi 13 février afin de discuter avec lui de ces questions. Il a indiqué qu’il travaillait pour l’Eglise orthodoxe russe, qu’il apportait son soutien à son pays, mais ce n’est pas une raison de soupçonner qu’il entretient des rapports avec le gouvernement russe. Certes, sa présence au sein du COE peut susciter de la méfiance, mais il n’est ni opportun ni juste d’étiqueter les gens ou de s’en méfier sans preuve. Il affirme clairement ne pas travailler pour le gouvernement russe.

Comment pouvez-vous savoir qu’il ne ment pas?

Si j’avais eu le moindre doute, j’aurais demandé une enquête. Nous ne sommes pas la police, mais nous avons la possibilité de prendre des mesures sérieuses contre nos membres.

Comment se prémunir contre ce genre d’instrumentalisation du COE?

Le COE ne se lance pas dans une chasse aux sorcières à chaque fois que quelqu’un nous rejoint. Nous travaillons sur la base de la confiance avec des chefs religieux et espérons que chacun d’entre eux est honnête dans son lien avec Dieu et ses relations avec les autres. Le COE est une communauté fraternelle d’Eglises et nous continuerons à faire confiance en nos responsables d’Eglises et agirons en cas de besoin.

Beaucoup s’étonnent que le COE ait renoncé à suspendre l’Eglise orthodoxe russe, qui soutient la guerre que mène Poutine contre l’Ukraine. Pourquoi?

Il y a effectivement un appel à ce que nous soyons plus clairs sur le sujet. Pourtant, si vous examinez les déclarations de nos comités centraux et les résultats de notre dernière assemblée, nous avons enjoint le Patriarcat de Moscou à adopter une position plus acceptable, et avons même rencontré Kirill afin de lui en parler. Le COE ne soutient ni la guerre ni la violence. Pour autant, si vous suspendez une Eglise, ce que certains demandent, le dialogue se rompt — ce qui n’est précisément pas la manière de fonctionner du COE. Certes, cette suspension serait un signal fort pour certaines personnes, mais nous devons aller au bout de ce dialogue avant de prendre une telle décision.

De la part d’une organisation chrétienne, n’y a-t-il pas un choix à faire entre l’Évangile et le maintien du dialogue?

Justement, nous ne pouvons pas dire à une Eglise membre que ce qu’elle fait ou pense est contraire à la parole du Christ sans avoir mené des conversations théologiques à terme. C’est l’essence même du dialogue, tandis que nous tentons de comprendre nos points de vue conformément aux Écritures.

Le COE s’était pourtant montré plus ferme quand certaines Eglises sud-africaines défendaient l’apartheid…

Oui. La campagne du COE contre le racisme représentait une prise de position claire contre l’apartheid et le racisme en Afrique du Sud, ce qui a débouché sur le retrait de l’Eglise réformée néerlandaise du COE.

Récemment, le COE a également refusé de s’aligner sur la position de l’ONU en décidant de ne pas parler d’apartheid concernant l’attitude d’Israël envers la Palestine. Pourquoi?

Je ne dirais pas que le COE a exprimé un refus. L’Assemblée a décidé de ne pas délibérer sur l’utilisation du mot «apartheid» afin d’approfondir les discussions à l’interne à propos de ce conflit. Si en 2016 j’ai moi-même écrit un article où j’utilisais ce terme, après avoir visité les deux pays, c’est parce que l’injustice que j’y ai vue à l’égard des Palestiniens m’a saisi. Venant moi-même d’Afrique du Sud, j’ai utilisé un terme que je connais très bien, mais qui dans le cas de ce conflit, en ce moment, n’est peut-être pas approprié.

Avez-vous peur des représailles?

J’ai surtout peur d’être mal compris. Quand j’ai publié cet article, un journaliste m’a traité d’antisémite, ce qui est inacceptable. Le COE est en constant dialogue avec la communauté juive et nous recevons régulièrement des rabbins du monde entier à Genève. Ce genre d’accusation mal informée et sans fondement vient bien souvent de personnes qui ont un agenda politique et sont heureuses de s’en servir. Le COE, lui, ne fait pas de politique. Mais si, dans le conflit israélo-palestinien, la violence vient des deux bords, je crois pouvoir dire que le système oppressif de l’État d’Israël sur la population palestinienne est injuste. Et le COE refuse l’injustice.

Les prochains grands projets du COE

«A Karlsruhe, la dernière assemblée du COE a mis un fort accent sur le changement climatique. Dans les années à venir, nous allons mettre beaucoup d’énergie là-dedans parce qu’en parler ne suffit plus: il faut agir», assène Jerry Pillay. Et de pointer l’impact de la situation écologique sur  de nombreux domaines. «Nous avons donc créé une nouvelle commission sur l’urgence climatique, ainsi qu’une autre sur la santé et l’alimentation, où nous traitons des nouvelles maladies comme les virus ou les problèmes de santé mentale», poursuit-il. «La place des jeunes et des handicapés sera également renforcée», confie encore le nouveau Secrétaire général, qui conclut en assurant vouloir redonner au COE «sa place et son impact dans le monde».

Le «Green village», un espoir pour les finances du COE

La dévaluation de l’euro et le taux de change en franc suisse causent actuellement des difficultés financières au COE, qui s’en est ouvert par voie de communiqué. Et même si «les contributions des Eglises membres n’ont pas diminué», comme l’assure Jerry Pillay, huit postes ont dû être supprimés pour pallier ce manque à gagner. Un projet d’envergure pourrait toutefois apporter de nouvelles rentrées d’argent à la communauté d’Eglises, le «Green village», un complexe d’immeubles et de locatifs actuellement en construction aux abords du siège du COE, au Grand-Saconnex. «Initialement, ce projet a été pensé afin de nous aider à payer les retraites de nos employés, ce que nous ne parvenions plus à faire et nous a menés à contracter un emprunt de 24 millions de francs», renseigne Jerry Pillay. Le «Green village», qui a demandé de grands investissements financiers au COE, devrait donner des résultats «à long terme». «Toutefois en attendant, nous devons passer par une période de sacrifies», admet-il, tout en espérant «convaincre d’autres communautés à rejoindre le COE».