
Jeûner ou avoir faim, ce n’est évidemment pas la même chose. Nous vivons dans un univers où des choix cruciaux ne sont pas rares. Et la plupart de temps, nos décisions nous sont dictées parce qu’il n’est pas si aisé de se montrer courageux. Notre confort, nous le trouvons dans l’air du temps, dans ce qui réussit sans trop prendre de risque. Pourtant, l’évangile nous invite à combattre. Et ce combat, où il faudra d’abord perdre, n’a de sens que s’il s’adosse sur la parole qui subsistera. Le jeûne est cette perte-là, mais cette perte n’est que passage, antichambre de la victoire assurée.
Prédication
Frères et sœurs, chers amis, le 3e dimanche du mois de septembre est spécial. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Le Jeûne Fédéral nous replace au cœur de cette tradition qui n’a pas sombré dans l’oubli.
Ce n’est évidemment pas la même chose que de jeûner ou que d’avoir faim ! Le jeûne c’est bien un choix. Mais replaçons-nous dans le contexte de cet Evangile de Marc dont les paroles n’en démordent pas. Ici Jésus nourrit d’abord une foule affamée puis guérit un homme malade. Mais personne, ni la foule, ni les disciples, ne sait avec exactitude de quoi il retourne et qui est vraiment ce personnage atypique nommé Jésus. N’ayant pas de réponse à leur question lancinante, dans l’impossibilité de donner sens à ce qui leur arrive au travers de ces miracles, ils attendent, impatients, que Jésus en dise un peu plus sur sa personne et son œuvre.
Il le sait de toute évidence et en vient à clarifier les choses. A ces personnes qui ne cessent de le suivre de partout, il fait cette déclaration surprenante : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive. ». Pas d’erreur sur la marchandise donc ! L' évangile bon marché est décidément un leurre. Il n’existe pas en dehors de la croix ; n’en déplaise ! Ce message est dur en somme parce qu’il évacue la possibilité d’un « évangile bonbon » comme on le dirait sous d’autres cieux.
Evoquer le nom de Jésus, parler de Dieu, vivre même des moments liturgiques particuliers n’ont de sens que si le risque du renoncement est établi d’après ce que nous lisons ce jour. Nous faisons l’expérience des choix cruciaux et la plupart du temps, nos décisions nous sont dictées même indirectement parce qu’il n’est pas si aisé de se profiler hors des pistes. Cette réalité est une constante de l’histoire humaine, de la fougue indiscutable de ses modes, de sa pâte prégnante.
Avouons que de nature le confort est beaucoup plus enviable. Nos raisons, nous pouvons les trouver dans l’air du temps, dans ce qui réussit, va-t-on dire ; ce qui nous pose le moins d’ennuis possibles. Mais pourquoi se laisser bousculer alors que tout va bien ?
Jésus ne partage pas cette théorie. « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive », insiste-t-il. Et, du coup, l’écoute de l’évangile n’est pas sans risque. C’est la foule qui est en chemin, c’est elle qui suit. Se mettre à jeûner c’est tout aussi porter cette croix dont parle le maître aux douze apôtres. Il y a une volonté, un positionnement nécessaire à l’horizon. Jeûner c’est un moment à la fois d’activité et de passivité.
Premièrement, la décision nous appartient même si la tradition nous offre cette possibilité, même si elle institue le cadre de cette pratique si lointaine qu’est le jeûne. C’est une offre que nous nous proposons et proposons aux autres. Car, sous la main, nous avons quelque chose à donner, quelque chose qui nous coûte.
Deuxièmement, cette pratique convoque notre passivité, elle nous ouvre à la méditation, au repli, au questionnement sur le sens de ce que nous vivons avec ou sans gâteau aux pruneaux. C’est avant tout un état d’esprit de celui qui accepte d’être habité par une présence, une force : l’Esprit de Jésus-Christ qui est capable d’aller jusqu’au bout et par la croix pour nous donner la vie sans fin.
L'évangile de la croix change notre approche de la vie. Il ne nous cache pas que la perte est l’antichambre de la victoire assurée, la victoire contre les démons de nos lourdeurs, nos mirages qui nous conduisent dans des impasses incontournables. En entrant dans cette atmosphère de jeûne, nous faisons nôtre cette détermination que seule la grâce de Dieu procure. Faisons de ce temps de retraite, au propre comme au figuré, un moment fertile pour sentir monter en nous cette grâce de retrouver du sens, de prendre la vie pour ce quelle est et la laisser être illuminée par le Christ. Pour nous, c’est l’occasion de faire ce pas à sa suite. Et comme la croix du Christ est altruiste, osons aussi partager, par-delà l’évangile, des signes du royaume de Dieu. A celui qui a faim et qui a soif, posons nos regards. Aux désespérés, à ceux qu’étreint la solitude et qui sont abandonnés dans les champs de ruine, osons agir par les moyens dont nous disposons. Par-dessus tout, risquons fixer nos regards sur le Christ qui nous invite à croire, à sentir le poids de nos croix dans une folle espérance que la vie triomphe de tout mal. Le jeûne fédéral vient ré-enchanter notre désir de prière. Comme la lettre aux Thessaloniciens nous le recommande : « Priez sans cesse ». Recherchons le visage de celui qui nous donne la force de persévérer malgré l’épaisseur du brouillard qui entoure ce monde.
Dieu nous vienne en aide ! AMEN
Zachée Betche, pasteur

