
Si les deux derniers cultes nous ont menés sur les chemins de la reconnaissance et de la remise en question de nos modèles de foi, celui d’aujourd’hui va nous relier à la notion de la persévérance dans le domaine de la prière.
Notre vulnérabilité et notre foi peuvent-elles avoir un impact ?
Prédication
La nature de la pierre est d’être dure.
La nature de l’eau est d’être tendre.
Lorsque l’eau tombe goutte à goutte sur la pierre pendant longtemps, ce qui est tendre finit par creuser ce qui est dur et la pierre finit par devenir une vasque qui recueille l’eau.
Notre cœur est dur.
La parole de Dieu est tendre.
Le cœur qui reçoit la parole de Dieu comme un goutte à goutte, finit, dans le temps, par s’attendrir et par faire sienne cette parole.
Une image proposée par un père du désert.
Les histoires racontées par Jésus, les paraboles, ont toujours une portée pédagogique.
Quand je les écoute, quand je les lis, quand je me laisse rencontrer par un des personnages de l’histoire ou par ce qui se passe dans ce qui est raconté, une question délicate s’impose à moi : cette personne, cette parole, cette ambiance comment est-ce qu’elle me rejoint ? Et ce qui me rejoint, en quoi ça fait évoluer en moi, ma manière de me comporter, de vivre, ou en quoi ça fait évoluer mes relations aux autres, à moi-même, à Celui qui Source de vie ?
Je n’ai pas tout de suite été rejointe par cette histoire.
Pour moi, elle a quelque chose de troublant, de déstabilisant. D’étonnant, de détonnant.
Que peuvent bien venir transformer en moi :
Un juge invincible, une veuve vulnérable… ?
L’invulnérabilité glacée face à la fragilité incarnée ?
Que peut bien venir faire bouger en moi :
Un juge qui ne craint personne, une veuve qui ne craint pas de persévérer ?
Je serais curieuse d’écouter comment cette parabole vous parle, à vous, et où elle vous rejoint. Parce que mon point de vue en est un parmi d’autres et c’est celui d’aujourd’hui.
J’ai lu plusieurs fois cette histoire.
Et peu à peu, je me suis mise à observer le juge et la veuve.
Tout en étant dans la peau de la femme que je suis aujourd’hui, je me suis sentie proche des gens qui entourent Jésus.
J’ai appris que du temps de Jésus, entendre le mot juge, c’est se représenter un pilier de la vie en société. C’est certainement avoir en tête une figure de l’AT : Moïse. Pourquoi Moïse ? Parce quand Moïse prend la direction du peuple qui lui est confié - pour le libérer -, il nomme des juges (Deutéronome). Il leur donne des directives :
vous vous montrerez patients dans vos jugements et non pas partiaux,
vous écouterez les petits comme les grands
et comme pour les sensibiliser au soin qu’ils sont invités à porter à leur relation à Dieu, à Celui qui est, Moïse ajoute :
vous ne craindrez aucun homme car c’est à Dieu qu’appartient le jugement.
Le juge de notre parabole, agit comme s’il n’avait jamais entendu les recommandations de Moïse : il est partial, il refuse d’écouter le petit, la veuve, il ne craint personne, surtout pas Dieu.
La crainte de Dieu. Vous y mettez quoi derrière ? Est-ce avoir peur de Dieu ?
La crainte de Dieu, c’est plutôt se préoccuper d’être en lien avec Lui. C’est garder à l’esprit : est-ce que je suis reliée à la Source de l’amour inconditionnel, est-ce que je cherche à discerner ce qui permet à la vie de circuler, ce qui contribue à ce que ma présence soit bienfaisante, constructive ?
Une ville où les juges sont déloyaux, où le respect des valeurs se perd, est un lieu où la qualité de vie est moins sereine.
Revenons à cette veuve du temps de Jésus.
Je suis sensible au travail de deuil qu’elle a dû faire et à la réalité qui s’est imposée à elle. Sa réalité, elle a dû l’apprivoiser. Je ne peux pas oublier qu’une veuve - dans les histoires bibliques - est toujours assimilée aux orphelins et aux immigrés. A cause de leur statut social, ces personnes n’ont pas ou plus de protection naturelle. D’où ce besoin d’être protégé par la loi.
Cette veuve me touche comme d’autre veuves dont il est question dans la Bible. Elles sont bien souvent des exemples de précarité et de générosité, elles donnent leur nécessaire.
Les veuves, les orphelins, les déracinés, n’ont rien d’autres que la foi, la confiance, la persévérance renouvelées pour survivre, pour vivre, pour être.
C’est le cas de notre veuve. Elle est perdante. Dans la situation qui est la sienne, c’est impossible qu’elle gagne.
La partie n’est pas seulement disproportionnée, elle est déjà jouée. C’est peut-être ça qui fait que j’ai envie d’appeler cette veuve, Persévérance.
Le juge et la veuve…
Enfant, s’il y a une histoire que j’aimais, c’était bien celle de David et Goliath…Le petit berger David avec sa fronde, ses quelques cailloux, le grand Goliath avec son armure et son armée…
En observant le juge et la veuve, d’une certaine manière, je retrouve David et Goliath :
d’un côté un Goliath, un juge insensible, invincible.
De l’autre - pas un David - mais une veuve incapable de blesser, une femme qui par sa simple présence, par sa ténacité va désarmer celui qui la toise, elle va effriter ses résistances.
Je n’étais pas sur les lieux mais je peux imaginer qu’en voyant surgir la veuve les premiers jours, le juge a peut-être souri, un sourire « cause-toujours ».
Est-ce qu’à force qu’elle insiste, sa présence devient comme ces petits cailloux dirigés juste là où il faut, et qui font donc réagir ? Est-ce qu’à force qu’elle insiste le juge a commencé à sentir son ego touché ou mis en inconfort par la force tranquille de la veuve Persévérance ?
La nature de la pierre est dure.
La nature de l’eau est tendre, mais aussi mordante.
Notre cœur peut être dur.
Ce que Dieu a à nous dire peut être tendre, mais aussi tranchant.
Un cœur touché par le goutte à goutte divin s’assouplit, se creuse, se transforme.
Que s’est-il passé entre le juge et Persévérance ?
Quelle brèche a permis ce renversement de situation ?
Le juge le mieux blindé a toujours une faille : lui-même.
Persévérance est allée peut-être 10x, 20x, 100x frapper à la porte du juge : rends-moi justice contre mon adversaire.
Je la sens sûre de son affaire, ce qui ne veut pas dire bornée.
Je perçois sa patience pétrie d’espérance.
Elle ne se résigne pas, elle se bat, elle y croit.
Elle vient, revient, retourne encore.
Là, j’entends presque le juge crier : Cette veuve m’empoisonne (pour le dire poliment) !
Lui l’invincible, l’insensible, l’impassible, craque. Il veut être tranquille. L’amour qu’il a de lui-même en est au premier balbutiement, ça ne l’aide pas à être accueillant, patient, généreux. Alors il cède : son ego est irrité, pour ne plus être agacé, pour ne plus se laisser envahir, il rend justice à cette femme.
Je me demande : qu’est-ce que je peux apprendre de cette rencontre ?
Mon quotidien m’offre des contacts, des moments et des belles choses qui me réjouissent.
En même temps, les réalités quotidiennes m’imposent des situations qui me font me sentir vulnérable, fragile, tellement impuissante :
« La paix dans le monde ? Qu’est-ce que je peux y faire ?! »
« Face à la faim, A la justice dans le monde ? Je me trouve inactive. »
« Devant la maladie d’un proche ? Comment trouver ce qui est bienfaisant ? »
« Face à la violence humaine ou devant les déchaînements de la nature, je me sens toute petite. »
Comme Persévérance,
je me sens dépassée par les événements,
parfois tributaire, parfois dépendante d’autres qui ne partagent pas forcément mes valeurs.
Comme Persévérance,
je suis entourée par des personnes - qui n’ont pas les mêmes notions de justice, qui n’ont pas les mêmes approches.
Intérieurement, ça me fait faire des allers-retours entre des réalités méprisées, mortifères, bafouées, piétinées et ma recherche de prendre soin de ce qui pour moi est sacré, de ce qui pour moi permet à la vie de circuler, de ce qui rend justice au petit, au déraciné, à tout autre.
Alors, je me sens très proche de la veuve. Je remarque que
Persévérance a quelqu’un à qui elle s’adresse. Elle a quelqu’un auprès de qui elle peut insister. Auprès de qui elle peut revenir avec toujours les mêmes choses qui font qui la préoccupent.
Et si le Christ était celui auprès de qui je pouvais continuer de venir, de revenir, de m’adresser, de me relier ?
Jésus lui-même, avant de mourir, rassemble ses forces pour crier : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
Sur la croix, Jésus lui-même reste relié à la Source de la vie renouvelée, à la Source de l’amour inconditionnel, Source qui traverse le temps et qui ne demande qu’à rester vivante au fond de lui. Il reste relié à cette Présence qui lui permet d’être avec toute la gamme de ses émotions, de ses souffrances, de ses impuissances, sans étouffer sa persévérance, son espérance.
C’est peut-être cela qui fait que je continue de m’adresser à l’Au-delà de tout, de me relier à lui, de frapper à sa porte, de me rappeler à sa présence.
Parfois, je ne lui dis rien, c’est le silence.
Parfois, je lui hurle ma douleur, mes incompréhensions, je lui déverse mes larmes.
Ca m’arrive de lui parler encore et encore de ces situations dans lesquelles ou face auxquelles je me sens faible, impuissante, blessée.
Quand je fais ça, je ne me trouve pas en face d’un juge sans foi, ni loi. Je me retrouve en présence d’un Père plein de tendresse. Je peux venir et revenir à Lui et lui dire:
Toi le Tout Autre, quelle justice pour tes enfants qui, comme la veuve, l’orphelin, les déracinés crient à toi jour et nuit ?
Toi le Vivant, est-ce que tu te rends présent tout autrement que ce que j’imagine ?
Est-ce que tu entends nos détresses ?
Quand je prie de cette manière, je me questionne : est-ce que je prie pour être exaucée, pour avoir des résultats ? Ou : est-ce que je prie pour nourrir le lien avec ma Source, le Dieu de Jésus-Christ ? Il y a des deux.
C’est ça qui me donne la force de rester debout certains jours, c’est ça qui me donne la permission d’être parfois découragée, c’est ça qui m’encourage à persévérer, d’autant plus que j’ai confiance que je suis reliée à d’autres personnes.
A vous ici, à vous qui êtes dans votre salon ou votre chambre, ou qui êtes ailleurs…
Persévérer, c’est se relier au goutte à goutte divin. Il contribue à irriguer nos ressources, à nous creuser, à nous renouveler.
Persévérer, c’est continuer de s’adresser au Vivant - envers et contre tout. Cela peut nous amener à mettre au monde la vie, à ébranler les évidences.
Le Fils de l’homme trouvera-t-il la foi sur la terre ?
Pour répondre à cette question, j’ai envie de m’adresser au juge et à Persévérance :
Merci Monsieur le juge, vous m’invitez à me laisser déranger, à me remettre en question quand j’oublie la loi de la vie, celle de l’amour. Comment ne pas penser à vous quand mon ego empêche une vraie rencontre ?
Merci Madame Persévérance, vous m’encouragez à ne pas me décourager devant ce qui semble impossible. Je me sens stimulée à continuer de prier. Je vois que l’air de rien, ça porte ses fruits.
Et j’ai envie d’ajouter :
Comme moi, vous pleurez, vous riez, vous êtes sensible aux silences féconds, aux côtés rugueux de l’existence, vous vous réjouissez de ce qui épanouit, de ce qui fait danser la vie.
Autour de moi, d’autres prennent le relais : des enfants, des Jacks ou non, des paroissiens ou des villageois, des malades, des collègues, des proches. Ils m’interpellent par leurs manières de s’engager, de poser des gestes qui relèvent, par leurs manières de vivre leur foi, d’offrir des présences, des paroles qui élargissent.
Alors, j’ai envie de vous dire :
La qualité de Présence Persévérante du Christ a déteint sur votre qualité de présence persévérante, votre qualité de présence a déteint sur d’autres. Elles m’invitent à vivre et à rencontrer en étant en lien avec le goutte à goutte d’éternité. Amen.

