Entre nostalgie du passé et défis à venir, les pasteurs réinventent leur ministère
13 juin 2007
Les pasteurs sont-ils encore nécessaires ? Professeur honoraire de théologie pratique, le Lausannois Bernard Reymond risque la question, pour le moins iconoclaste, dans un petit livre, « Le protestantisme et ses pasteurs », qui vient de paraître
Interview de l’auteur. Les pasteurs sont-ils encore nécessaires ? Professeur honoraire de théologie pratique, le Lausannois Bernard Reymond risque la question, pour le moins iconoclaste, dans un petit livre, « Le protestantisme et ses pasteurs », qui vient de paraître. Interview de l’auteur, qui a formé des volées de pasteurs à leur ministère.
« Un protestant reste libre de n’être pas d’accord avec son pasteur, voire avec le synode de son Eglise, et refusera toujours de le suivre les yeux fermés. Car le seul vrai Berger, dans cette perspective, n’est jamais à proprement parler le pasteur de paroisse, mais le Christ ». Une fois rappelée cette vérité première du sacerdoce universel, propre au protestantisme, Bernard Reymond affirme que le pastorat est une « invention » du protestantisme, qui ne peut se confondre avec la prêtrise, telle que la conçoivent d’autres confessions chrétiennes. A moins que « le protestantisme ne soit une "invention des pasteurs » ! A l’heure où les pasteurs sont souvent débordés par les multiples tâches qu’on attend d’eux, alors même qu’ils ont perdu en visibilité et en charisme, du moins pour une partie de la population, la question de Bernard Reymond semble pertinente. La figure austère du pasteur en robe noire aurait-t-elle vécu?B.R. La figure du pasteur, à la Chessex ou à la Yves Velan, n’est souvent qu'une projection de ce que ces écrivains ont mal vécu dans leurs relations familiales ou à travers un catéchisme mal digéré ; elle a été façonnée par leurs fantasmes. En réalité, le pasteur dans sa tour d’ivoire est en voie de disparition. Les pasteurs ne sont plus coincés dans le rôle qu’on attend d’eux ; ils doivent réinventer leur ministère, ce qui peut les déboussoler. Mais à mon avis, ils ne sont pas plus stressés et déstabilisés que des gens d’autres professions et d’autres milieux aussi en pleine transformation. Le ministère du pasteur a toujours été en mutation, d’autant plus aujourd’hui que le statut des Eglises dans la société est lui aussi en train de changer de façon importante. Prenez les pasteurs sous le régime totalitaire nazi. Ils ont dû réinventer leur ministère, adopter une attitude personnelle tranchée. Certains ont perdu le cap et suivi Hitler, d’autres ont cherché comment vivre la Parole du Christ dans un contexte bouleversé. Le protestantisme a toujours impliqué sa constante remise en question, et son propre dépassement. A quoi sert le pasteur aujourd’hui ?Il est là pour dire des paroles que l’on a besoin d’entendre dans les grands et les petits moments de la vie. Ou alors pour ménager des silences dans le brouhaha du monde. Il a beaucoup d'occasions d'être entendu, par exemple au cours des services funèbres, parce que c’est une occasion pour lui d’être entendu. S’il n’apporte pas aux gens des paroles qui les aident à vivre, mais qu’il aligne des formules, les gens finiront par ne plus l’écouter du tout. Les pasteurs doivent tenir pour légitime l’éventualité que les formes de christianisme dont nous avons l’habitude soient relayées par d’autres, plus pertinentes et plus nécessaires à l’avenir de l’histoire humaine. Les paroissiens se plaignent parfois de ne plus avoir la visite de leur pasteur. C’est vrai qu’ils ne font plus de visites systématiques. On ne peut plus aller chez les gens à l’improviste, faire du porte à porte, comme on le faisait jadis, où j’étais pasteur. Aujourd’hui, il faut annoncer sa visite, sans garantie d’être reçu. On n’entre pas dans les immeubles sans en connaître le code. Les gens ne sont souvent pas là. La visite pastorale est une invention récente.Il fauit lui trouver d'autres formes.Le pasteur a-t-il le droit de douter ?On n’est pas sauvé par le refus du doute, dès le moment où le pasteur réfléchit, il doute. Celui qui ne doute pas me fait peur. Il s’aveugle sur lui-même et sur la Bible. Le doute est un moment important de la foi. Je peux douter parce que je sais que Dieu est plus fort que mon questionnement. Plus j’essaie d’éviter de douter, plus je doute. Un pasteur doit être honnête sur la question et ne pas donner à croire qu’il pense des choses auxquelles il ne croit pas. En quoi les pasteurs sont-ils une invention du protestantisme, comme vous l’écrivez dans votre livre ? Les réformateurs ont voulu donner aux « ministres de la parole divine » une formation théologique de pointe. Or, rien dans la Bible ne mentionne la nécessité d’une telle formation. Souvenez-vous que les apôtres étaient des pêcheurs. Avant la Réforme, on se contentait de peu, de chics types dévoués à leur ministère. Mais les réformateurs ne voulaient pas que le pasteur se contente de lire des passages bibliques, sans aucun commentaire. Aujourd’hui, les pasteurs doivent être au top-niveau, acquérir de solides notions d’histoire, se frotter à la philosophie, à la sociologie, à l’ethnologie. Ils doivent savoir l’hébreu, le grec et le latin pour lire les textes dans leur version originale. Ils acquièrent également une formation à la relation d’aide. La grandeur des facultés réformées, qui ont « inventé » les pasteurs, c’est la diversité des opinions de leurs enseignants, ce qui oblige les étudiants à réfléchir pour se faire leur propre opinion. Bernard Reymond, « Le protestantisme et ses pasteurs, une belle histoire bientôt finie ? » , mai 2007, aux Editions Labor et Fides.
« Un protestant reste libre de n’être pas d’accord avec son pasteur, voire avec le synode de son Eglise, et refusera toujours de le suivre les yeux fermés. Car le seul vrai Berger, dans cette perspective, n’est jamais à proprement parler le pasteur de paroisse, mais le Christ ». Une fois rappelée cette vérité première du sacerdoce universel, propre au protestantisme, Bernard Reymond affirme que le pastorat est une « invention » du protestantisme, qui ne peut se confondre avec la prêtrise, telle que la conçoivent d’autres confessions chrétiennes. A moins que « le protestantisme ne soit une "invention des pasteurs » ! A l’heure où les pasteurs sont souvent débordés par les multiples tâches qu’on attend d’eux, alors même qu’ils ont perdu en visibilité et en charisme, du moins pour une partie de la population, la question de Bernard Reymond semble pertinente. La figure austère du pasteur en robe noire aurait-t-elle vécu?B.R. La figure du pasteur, à la Chessex ou à la Yves Velan, n’est souvent qu'une projection de ce que ces écrivains ont mal vécu dans leurs relations familiales ou à travers un catéchisme mal digéré ; elle a été façonnée par leurs fantasmes. En réalité, le pasteur dans sa tour d’ivoire est en voie de disparition. Les pasteurs ne sont plus coincés dans le rôle qu’on attend d’eux ; ils doivent réinventer leur ministère, ce qui peut les déboussoler. Mais à mon avis, ils ne sont pas plus stressés et déstabilisés que des gens d’autres professions et d’autres milieux aussi en pleine transformation. Le ministère du pasteur a toujours été en mutation, d’autant plus aujourd’hui que le statut des Eglises dans la société est lui aussi en train de changer de façon importante. Prenez les pasteurs sous le régime totalitaire nazi. Ils ont dû réinventer leur ministère, adopter une attitude personnelle tranchée. Certains ont perdu le cap et suivi Hitler, d’autres ont cherché comment vivre la Parole du Christ dans un contexte bouleversé. Le protestantisme a toujours impliqué sa constante remise en question, et son propre dépassement. A quoi sert le pasteur aujourd’hui ?Il est là pour dire des paroles que l’on a besoin d’entendre dans les grands et les petits moments de la vie. Ou alors pour ménager des silences dans le brouhaha du monde. Il a beaucoup d'occasions d'être entendu, par exemple au cours des services funèbres, parce que c’est une occasion pour lui d’être entendu. S’il n’apporte pas aux gens des paroles qui les aident à vivre, mais qu’il aligne des formules, les gens finiront par ne plus l’écouter du tout. Les pasteurs doivent tenir pour légitime l’éventualité que les formes de christianisme dont nous avons l’habitude soient relayées par d’autres, plus pertinentes et plus nécessaires à l’avenir de l’histoire humaine. Les paroissiens se plaignent parfois de ne plus avoir la visite de leur pasteur. C’est vrai qu’ils ne font plus de visites systématiques. On ne peut plus aller chez les gens à l’improviste, faire du porte à porte, comme on le faisait jadis, où j’étais pasteur. Aujourd’hui, il faut annoncer sa visite, sans garantie d’être reçu. On n’entre pas dans les immeubles sans en connaître le code. Les gens ne sont souvent pas là. La visite pastorale est une invention récente.Il fauit lui trouver d'autres formes.Le pasteur a-t-il le droit de douter ?On n’est pas sauvé par le refus du doute, dès le moment où le pasteur réfléchit, il doute. Celui qui ne doute pas me fait peur. Il s’aveugle sur lui-même et sur la Bible. Le doute est un moment important de la foi. Je peux douter parce que je sais que Dieu est plus fort que mon questionnement. Plus j’essaie d’éviter de douter, plus je doute. Un pasteur doit être honnête sur la question et ne pas donner à croire qu’il pense des choses auxquelles il ne croit pas. En quoi les pasteurs sont-ils une invention du protestantisme, comme vous l’écrivez dans votre livre ? Les réformateurs ont voulu donner aux « ministres de la parole divine » une formation théologique de pointe. Or, rien dans la Bible ne mentionne la nécessité d’une telle formation. Souvenez-vous que les apôtres étaient des pêcheurs. Avant la Réforme, on se contentait de peu, de chics types dévoués à leur ministère. Mais les réformateurs ne voulaient pas que le pasteur se contente de lire des passages bibliques, sans aucun commentaire. Aujourd’hui, les pasteurs doivent être au top-niveau, acquérir de solides notions d’histoire, se frotter à la philosophie, à la sociologie, à l’ethnologie. Ils doivent savoir l’hébreu, le grec et le latin pour lire les textes dans leur version originale. Ils acquièrent également une formation à la relation d’aide. La grandeur des facultés réformées, qui ont « inventé » les pasteurs, c’est la diversité des opinions de leurs enseignants, ce qui oblige les étudiants à réfléchir pour se faire leur propre opinion. Bernard Reymond, « Le protestantisme et ses pasteurs, une belle histoire bientôt finie ? » , mai 2007, aux Editions Labor et Fides.