Intégration des étrangers et prévention du racisme dans le canton de Vaud : une coordinatrice qui veut « connaître pour mieux comprendre»

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Intégration des étrangers et prévention du racisme dans le canton de Vaud : une coordinatrice qui veut « connaître pour mieux comprendre»

5 avril 2007
Magaly Hanselmann connaît bien le domaine de l'accueil des étrangers en Pays de Vaud
Cette ancienne responsable de la promotion de l'intégration au Centre Social Protestant(CSP) sera chargée d'appliquer la nouvelle loi sur l'intégration des étrangers et la prévention du racisme.

Ses lunettes branchées et sa jeunesse (elle a 36 ans) pourraient surprendre dans un canton amateur de personnalités plus traditionnelles, mais dès son premier mot, son abord chaleureux rassure : Magaly Hanselmann ne quitte jamais une pointe d'accent vaudois. Ancrée dans un arrière-pays qu'elle apprécie (nous nous rencontrons près de chez elle, à la gare de Chavornay), la nouvelle coordinatrice en matière d'intégration des étrangers et de prévention du racisme connaît bien la réalité qu'elle va devoir affronter dès le 1er juin prochain. Affronter n'est certainement pas le mot qu'elle-même choisirait, tant elle paraît soucieuse de se montrer diplomate dans ce domaine délicat, qu'elle maîtrise parfaitement. L'intégration des étrangers, elle l'a déjà pratiquée en assurant durant quatre ans, au Centre Social Protestant (CSP), la promotion de cette tâche dans le canton de Vaud. Actuellement responsable de campagnes pour Amnesty International, cette diplômée en sciences politiques devra appliquer la nouvelle loi sur l'intégration des étrangers et la prévention du racisme, votée par le Grand Conseil en janvier dernier. Interview.

Le débat sur l’intégration des étrangers ne cesse de rebondir. Parmi les outils proposés récemment, la possibilité d’imposer des cours de langues nationales a été émise par Christoph Blocher dans le cadre du projet d’Ordonnance sur l’intégration des étrangers, mise en consultation jusqu’au mois de juin. Que pensez-vous de cette idée ?

Elle n’est pas nouvelle. En 2002, lorsque j'ai pris le poste de responsable de l'intégration des étrangers dans le canton de Vaud au Centre social protestant, nous avions reçu de la Commission fédérale des étrangers le mandat de créer un réseau en matière d'intégration. Nous devions fournir des prestations, parmi lesquelles encourager les cours de langues officielles. Je n’ai pas de position a priori sur le fait de rendre obligatoires de tels enseignements, qui sont surtout importants pour les personnes n’ayant pas de contacts avec l’extérieur, une population essentiellement féminine, comme les mères au foyer. Reste à savoir comment rendre ces cours concrètement accessibles. Les imposer par le biais par exemple de la convention d’intégration que les étrangers seront amenés à signer en échange de l’octroi ou de la prolongation de leur titre de séjour ne règlera pas ce problème. L’apprentissage des langues est très important pour accéder au marché du travail, mais il serait réducteur de focaliser l’intégration sur ce seul aspect. D’autres outils ont fait leurs preuves, comme la formation de médiateurs interculturels qui puissent intervenir dans les hôpitaux ou à l'école, comme la ville de Vevey le fait, la participation à la société civile et politique, comme à Morges où la commission d'intégration accueille les nouveaux arrivants avec un livre, « Le Pays où je vis », ou les fêtes de quartier faisant se rencontrer « le plus de milieux différents possible ». L'Eglise protestante agit discrètement mais efficacement pour éviter la formation de ghettos, par exemple au quartier de la Planchette à Aigle, composé à 80% de personnes immigrées, étiqueté « socialement sensible » et coupé du reste de la ville par les voies de chemin de fer : le diacre Serge Paccaud a plusieurs projets pour renforcer les contacts dans ce quartier, comme la fête des couleurs 2007 qui réunira les 6 et 7 juillet les ressortissants d'une septantaine de pays.

On connaît les difficultés rencontrées par le conseiller d’Etat UDC Jean-Claude Mermoud, dans le canton de Vaud, lors de l’affaire dite des « 523 » personnes menacées de renvoi, et la résistance à laquelle il s’est heurté, notamment de la part de l’Eglise protestante et des œuvres d’entraide aux réfugiés. Nommer une personne venant du CSP et d’Amnesty International vous apparaît-il comme un gage donné à ces milieux, proche de la gauche politique ?

C’est une bonne question. Cependant, même si c’est mon ministre de tutelle, je n’ai pas été formellement nommée par Jean-Claude Mermoud mais par Henri Rothen, chef du service de la population. Je pense qu’il était nécessaire à ce poste de connaître les milieux associatifs et l’ensemble du réseau, tant au niveau de la Commission fédérale des étrangers que des délégués à l’intégration d’autres cantons, de même que les dispositions qui régissent ces domaines. Comme je serai seule pour remplir un cahier des charges exigeant, il faut pouvoir compter sur le plus d’appuis extérieurs possibles, qu’il s’agisse des communes, des associations d’étrangers ou des membres de la société civile. Sans oublier les Eglises, d’où l’utilité de mon expérience au CSP pour être en prise avec les débats actuels.

Quel souci de l’intégration avez-vous rencontré dans les communes vaudoises ?

Au CSP, nous sommes allés dans les régions qui accueillaient une forte population étrangère, à Moudon, Yverdon, Nyon, Renens, Villeneuve et Vevey. Les expériences ont été très différentes d'un endroit à l'autre. A Vevey, la Municipalité avait déjà réalisé un rapport sur l'intégration ; à Moudon, la soirée a été le catalyseur de la création du groupe Suisse/Etrangers qui fait un travail efficace. Mais partout, on peut dire qu'il y avait des personnes convaincues de la nécessité d'agir et d'autres qui n'en comprenaient pas la raison. A Villeneuve, où peu d'associations d'immigrés étaient présentes, faute peut-être d'avoir été contactées, le message n'était pas passé. En cinq ans, le paysage politique s'est cependant beaucoup modifié : Dans beaucoup de cantons, il n'y avait pas de délégué à l'intégration des étrangers, alors qu'ils sont actuellement une vingtaine en Suisse, sans compter ceux des grandes villes comme Lausanne.

Pourquoi est-on parvenu, dans les années 1970, à intégrer une forte immigration italienne, espagnole et portugaise, sans disposer de délégués à cet effet ? Qu’est-ce qui nécessite aujourd’hui de tels services ?

C’est vrai, tendanciellement, les immigrés de la seconde génération de ces pays européens ont mieux réussi que les Suisses à l'école, même si une forte proportion de saisonniers ne sont pas restés dans le pays après la fin de leur travail. Mais dans les années soixante, il y avait deux ou trois principales communautés relativement bien organisées, alors que maintenant, la diversité des migrants est énorme ; quelque huitante langues sont représentées dans des villes comme Renens dont plus de 54% de la population est sans passeport suisse. Je veux chercher ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous divise. Nous avons ainsi fait se rencontrer les Paysannes vaudoises et des femmes musulmanes sédentaires autour du crochet, un art que toutes pratiquaient, ou de plats tels le couscous et le bouilli de boeuf accompagné de légumes et de bouillon.

Jean-Michel Dolivo (AGT) accuse la nouvelle loi vaudoise sur l’intégration de discrimination, parce qu’elle ne s’applique pas aux sans-papiers. Peut-on faire de l’intégration en oubliant les 15'000 sans-papiers vivant dans le canton ?

C’est une question politique, un débat qui a eu lieu au Parlement et on ne peut le refaire. Ce dont je me réjouis, c’est que l’intégration ne s’adresse plus aux seuls permis B et C, mais désormais aussi aux admissions provisoires (permis F), dont beaucoup de titulaires séjournent depuis longtemps en Suisse. Or à ces personnes, certaines écoles, comme des écoles d’infirmières, restent fermées, en dehors de demandes très spécifiques. Il y a là matière à faire progresser le débat

Que pensez-vous de la discussion actuelle sur la criminalité des jeunes migrants ?

Il me paraît faussé, parce que l'on n'a pas assez travaillé les statistiques pénales disponibles. J'aimerais commencer par en faire l'analyse et connaître pour mieux comprendre. Le discours médiatique se focalise sur des faits divers comme s'ils étaient représentatifs de l'ensemble du débat. Ils en font certes partie, mais on manque d'informations chiffrées à ce sujet, ce d'autant que l'égalité des chances des migrants n'est pas assurée sur le plan professionnel. Et les familles d'étrangers ont peut-être peur, elles aussi, de vivre dans ces quartiers. Une peur que l'écho ne fait qu'augmenter.