Université de Lausanne:Comment les fils et les filles de survivants de la Shoah vivent leur judaïté ?

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Université de Lausanne:Comment les fils et les filles de survivants de la Shoah vivent leur judaïté ?

7 décembre 2006
Psychologue, maître de conférence à Paris 8, Nathalie Zajde étudie la question de la transmission intergénérationnelle du traumatisme de la Shoah
Elle anime des ateliers de parole où des fils et des filles de survivants posent parfois d’étranges questions dont ils voudraient être délivrés. Invitée à l’Université de Lausanne par le professeur Jacques Ehrenfreund, titulaire de la toute nouvelle chaire de judaïsme, elle a parlé de son travail. Et proposé que la psychologie intègre le religieux pour trouver des chemins de guérison.

Nathalie Zajde a réalisé au cours de ses recherches que le fait d’être juif n’intéresse pas les psychologues. Ces derniers n’ont jamais pris en considération cette donnée religieuse et identitaire pour soigner les survivants et leurs descendants. « Etre juif n’a aucune valeur scientifique », constate la jeune chercheuse qui estime pour sa part qu’on ne peut faire abstraction du Dieu des Juifs, « psychorigide et qui contraint les gens à être ce qu’ils sont », ni du fait que les nazis ont anéanti tout un peuple et une culture, un monde très ancien disparu en peu de temps, pour la simple raison que ce peuple avait un Dieu juif. Pour comprendre ce que les gens vivent, on ne peut ignorer cette donnée religieuse, encore moins la Shoah qui a eu des effets psychopathologiques sur les survivants et leurs enfants, qui ont modifié leur vie, leur espace social, leur identité et même leur perception du temps.

«Ce ne sont pas les gens qui viennent consulter qui ont un problème, estime Nathalie Zajde, mais la société qui n’a pas encore saisi ce qui s’est passé. C’est en fait l’événement qui a fabriqué des humains souffrants. Etre juif et avoir vécu l’Holocauste, ça a une incidence sur la vie de ceux qui ont survécu. Voir son peuple et toute une culture, fort ancienne, disparaître d’un seul coup, est un traumatisme qui modifie l’espace social et la perception des survivants. Il n’y a plus personne autour d’eux pour dire qui ils étaient, d’où ils viennent. Ils sont terriblement seuls au monde. Ce sont des émigrés clandestins qui préfèrent taire leur histoire, que d’ailleurs personne ne veut véritablement entendre. Pour l’ethno psychologue, il est impossible de faire abstraction de ce que ces gens ont vécu pour trouver un chemin de guérison.

Nathalie Zajde s’est aperçu que la seconde génération, dont elle fait partie, trimballe les mêmes cauchemars récurrents que les survivants. Le génocide a fabriqué des questions dont héritent les enfants des survivants. Ceux-ci hésitent entre la vengeance et la plainte. « J’ai l’habitude de dire aux gens qui viennent dans nos ateliers de parole : Le problème, ce n’est pas vous, mais ce qui vous est arrivé ! ». Elle cherche avec eux des propositions qui peuvent les apaiser, les débarrasser des interrogations qui les hantent, convoquant au besoin leur Dieu, voire même les morts qui n’ont pas été enterrés, pour les libérer de l’errance dans laquelle les survivants pensent qu’ils se trouvent, et du même coup délivrer la génération d’après la Shoah. La psychologie a tout à gagner à intégrer la divinité : telle est la proposition de Nathalie Zajde. « Le nazisme a tué un monde. Ne sont restés que des individus fragiles, qui ont souvent rompu avec le divin. Renouer avec les mythes fondateurs de leur religion peut les aider à surmonter leurs souffrances ; les générations d’après peuvent peut-être mieux comprendre les désirs de leurs vieux parents, telle cette mère qui voulait que sa fille la fasse incinérer, - ce qui est inconcevable dans la religion juive - et qu’elle envoie ses cendres à Auschwitz, auprès des siens morts au camp.