Fin de l'exception vaudoise:L’Eglise réformée prépare sa révolution copernicienne

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Fin de l'exception vaudoise:L’Eglise réformée prépare sa révolution copernicienne

30 septembre 2004
La nouvelle Constitution cantonale met catholiques et protestants sur pied d'égalité
Pour l’EERV, qui cesse d’être une Eglise d'Etat, il s’agit d’un changement de perspective fondamental. Explications. Entrée en vigueur en 2003, la nouvelle Constitution vaudoise demeure l’une des rares à reconnaître la « dimension spirituelle » de l’être humain. Des lois d’application concernant les communautés religieuses y ont donc leur place, et leur rédaction font actuellement l’objet d’intenses négociations. Tous les dix jours environ, des délégués des quatre partenaires se rencontrent: L’Etat bien sûr, les Eglises réformée et catholique romaine - désormais toutes deux reconnues de droit public - mais aussi la communauté israélite qui obtient le seul statut d’intérêt public.

Conséquence d’une société largement multiculturelle et pluriconfessionnelle, ce texte législatif signe la fin d’une longue exception vaudoise et du « règne » spirituel sans partage des protestants. Ainsi que le note prosaïquement Antoine Reymond, membre permanent et porte-parole du Conseil synodal : « Nous ne sommes plus tout seuls ».

Si tout va bien, la consultation parlementaire aura lieu à l’horizon 2006. L’entrée en vigueur des nouvelles dispositions sera pour l’année suivante. Mais d’ores et déjà, l’on sait que plus rien ne sera comme avant pour les deux Eglises chrétiennes cantonales. Partenaire administratif de l’Etat, la Fédération des paroisses catholiques doit ainsi se transformer d’un organisme privé, telle qu’elle fonctionne depuis sa fondation en 1964, à une entité de droit public. Pour y parvenir, les catholiques ont entamé deux gros chantiers. L’un concerne la planification pastorale qui aboutira à un redécoupage géographique du territoire vaudois et de l’ensemble du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. L’autre s’appelle « Mosaïc » et ajustera, à terme, la mission et le fonctionnement de l’Eglise elle-même.Indépendance et responsabilitésDu côté protestant, pareille réorganisation des structures et des modes opérationnels a déjà eu lieu en l’an 2000, la fameuse « Eglise à venir » (EAV). Or Antoine Reymond l’avoue sans peine : Contrairement aux catholiques, EAV n’a forcément pas pu prendre en compte les horizons ouverts par la refonte législative, et notamment le renforcement des relations œcuméniques. Regrettable hasard du calendrier, puisque « l’œcuménisme constitue l’un des gros défis pour les deux Eglises, par exemple dans les domaines du social ou de l’aumônerie. »

Votée par le Synode et le Grand Conseil, la nouvelle loi ecclésiastique augure de ce que sera la nouvelle donne des relations entre l’EERV et les autorités publiques : davantage d’indépendance, mais aussi plus de responsabilités. « Il est clair que nous ne pourrons plus tout attendre de l’Etat », reconnaît encore Antoine Reymond. Entre spécificités et points communsAinsi, ce n’est plus le Conseil d’Etat mais l’autorité ecclésiale qui nomme les ministres. De même, l’EERV n’est plus stricto sensu un service de l’Etat. Le Conseil d’Etat effectuera-t-il un pas supplémentaire en décidant de ne plus en faire un service public ? Certains s’en montrent persuadés, dès lors que le statut juridique des réformés sera identique à celui des catholiques. « A terme, il me semble que l’on se dirige vers un système d’enveloppe budgétaire que devra gérer l’institution. Ce qui signifie que les pasteurs et diacres deviendront uniquement dépendants de l’Eglise », note le pasteur Claude Schwab, qui a beaucoup réfléchi à ce type de questions. Cela voudrait également dire que le salaire des ministres ne se verrait plus aligné sur les barèmes de la fonction publique, ou encore que ceux-ci sortiraient de la caisse de pension cantonale. Bref, la fin d’une historique et longue exception vaudoise. « Rien n’est décidé, affirme Antoine Reymond. Nous pourrions aussi obtenir le même état que certaines institutions du parapublic, par exemple ». Concernant les salaires, le porte-parole du Conseil synodal rappelle « que les charges familiales d’un pasteur ne sauraient être comparées à celle d’un prêtre ». Mais, conclut-il, la question financière n’est pas la plus importante. « Et nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans un marchandage mercantile. Il s’agit avant tout de définir quelles sont les missions de chaque Eglise, en quoi consiste leur rôle commun mais aussi leur spécificité ».

Reste une question. Cette indépendance retrouvée vis-à-vis du canton, qu’elle que soit son ampleur, signifiera-t-elle davantage de liberté ? Nos deux interlocuteurs le pensent. Claude Schwab : « Une situation à la française où l’on dépend de sa hiérarchie ou du bon vouloir des paroissiens laisse largement moins de marge de manœuvre ». De même, le travail au service de tous, véritable profession de foi ecclésiale, paraît à Antoine Reymond « mieux assuré avec un lien étatique fort ». Des aspects auxquels n’avait sans doute pas songé le théologien Alexandre Vinet, lorsqu’il écrivait au XIXe siècle que la séparation avec le pouvoir politique est, pour l’Eglise, une condition nécessaire de sa liberté.