«Roots», une main tendue vers l’ennemi

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«Roots», une main tendue vers l’ennemi

20 août 2018
Hanan, Hadassah et Shaul sont des colons juifs, Khaled et Ali des villageois palestiniens. Ensemble, ils tissent des liens à travers «Roots», une organisation unique en son genre.

La nuit vient de tomber sur la route 60 qui relie les colonies juives de Cisjordanie. Un peu à l’écart, deux ou trois maisons, un enclos où se serrent quelques moutons et un mini-verger où croissent des oliviers et un figuier. C’est là que ce soir, se réunit une trentaine d’Israéliens et de Palestiniens.

Au nom d’Abraham

L’initiative est d’autant plus remarquable en ces temps perturbés qu’elle rassemble deux populations qui se détestent particulièrement: des colons juifs et des villageois musulmans. La rencontre est organisée par l’association «Roots» («racines», en français), créée il y a quatre ans. Elle vise à rétablir le lien entre juifs, musulmans et chrétiens afin d’imaginer un autre horizon que celui du conflit, au nom de l’héritage monothéiste d’Abraham.

Deux des fondateurs sont présents ce soir: le rabbin Hanan Schlesinger et le chef de village Khaled Abu Awwad. On ne saurait imaginer interlocuteurs plus dissemblables. Hanan Schlesinger, d’origine américaine, est un colon et il assume ce terme. On sent chez cet homme chaleureux un enthousiasme inépuisable lorsqu’il parle de sa rencontre avec des Palestiniens. Khaled Abu Awwad est, lui, issu d’une famille palestinienne connue et puissante, résistant de longue date à l’occupation israélienne: on lit sur ses traits burinés l’expression d’une vieille fatigue.

«La haine coûte trop cher»

«Roots» est le fruit de leur chemin intérieur. Khaled, fils d’un Palestinien que la création de l’État d’Israël en 1948 a transformé en réfugié, l’a parcouru dans la douleur. «Mon frère Youssouf a été tué par les Israéliens en 2000. Toute notre famille a alors réalisé que le prix à payer pour continuer ce conflit était trop élevé», lâche-t-il dans un souffle. Lorsqu’ils ont l’occasion de rencontrer des Israéliens, quelques mois plus tard, les Abu Awwad acceptent. «Nous qui n’avions jamais vu en eux que des colons ou des soldats, nous avons découvert des êtres humains qui se préoccupaient de notre sort». Khaled et son clan prennent progressivement conscience du fait que «le discours visant à nier le droit des juifs à vivre sur cette terre ne mène à rien. Oui, cet endroit leur appartient aussi. Oui, il faut trouver un moyen de vivre ensemble. La haine coûte trop cher», dit-il avec lassitude.

«Nos deux récits sont authentiques»

À ses côtés, Hanan se dit encore «honteux» de la manière dont il considérait les Palestiniens avant la rencontre qui a «transformé» sa vie il y a quatre ans. «Je suis un rabbin orthodoxe. L’histoire d’Israël est gravée en moi et jusqu’à il y a peu, elle excluait les Palestiniens. Ils étaient comme des figurants dans une pièce dont nous serions les seuls protagonistes», dit-il avec indignation. Installé en Judée-Samarie (nom donné par la droite religieuse israélienne à la Cisjordanie, ndlr) il y a de nombreuses années, il a mené, dit-il, une vie «déconnectée de la réalité». Cette «cécité» prend fin lorsqu’il décide de rencontrer les Palestiniens dont il entend davantage parler sur petit écran qu’autour de lui, alors qu’il ne vit qu’à quelques minutes d’eux. «En trois heures, ma vie a changé. J’ai réalisé que nous niions leur lien à cette terre au profit de notre vérité. En réalité, nos deux récits sont authentiques et Khaled a autant le droit que moi de vivre ici», dit le rabbin avec émotion.

Traîtres ou naïfs

Ces rencontres marginales suscitent de virulentes critiques, surtout de la part des Palestiniens: ceux qui dialoguent avec l’«occupant juif» passent pour des traîtres. Du côté des colons, on méprise souvent pour leur naïveté ceux qui s’aventurent à parler avec les «Arabes», perçus comme des idéalistes déconnectés de la réalité. Concrètement d’ailleurs, quelles solutions politiques Khaled et Hanan imaginent-ils? «L’occupation est un crime: les Palestiniens doivent bénéficier des mêmes droits que nous en Judée-Samarie. Ils vivront à nos côtés, car notre présence ici est une évidence: cette région est le berceau de notre histoire», rétorque Hanan Schlesinger. Pour Khaled, «il faudrait mettre en place un processus de réconciliation nationale avant d’établir un État palestinien, dans lequel les Israéliens aussi puissent vivre en paix».

«On n’a pas le choix»

En somme, coexister dans l’égalité et en bon voisinage. Un objectif – certains diraient: une utopie – qui nécessiterait une profonde transformation intérieure des protagonistes. «De tous les murs qui nous séparent, celui construit par les Israéliens sera le plus facile à abattre», résume Khaled. Une entreprise frôlant l’impossible, mais Khaled est résolu. «C’est ça, ou s’entretuer pendant cent ans encore. Nous n’avons donc pas le choix», conclut-il, approuvé par son ami Hanan.

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