Le travail, difficile vecteur d’intégration?

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Le travail, difficile vecteur d’intégration?

Élise Perrier et Nicolas Meyer
25 août 2020
Le travail est souvent vu comme la voie royale vers l’intégration dans une société. Pourtant, à entendre les personnes qui arrivent dans notre pays, il n’est de loin pas le seul facteur. Tout comme disposer d’un emploi ou de revenus stables n’implique pas automatiquement une installation accomplie.
«On commence à s’intégrer quand on cesse de partir à l’étranger tous les week-ends!»
Magdalena, 40 ans. Mariée et maman d’une fille de 6 ans. Traductrice et artiste à Genève.

«Je me considère comme une ’double immigrante’! Je suis née en Pologne, mais j’ai vécu plus de vingt ans à Londres. Je suis arrivée à Genève en suivant mon mari, qui a trouvé un emploi ici. Mes cinq premières années étaient horribles, principalement parce que je ne parlais pas le français. Cela a représenté la plus importante barrière pour m’intégrer. Je n’avais pas de travail et n’effectuais pas d’études. Genève étant une ville très internationale, j’ai trouvé qu’il était difficile de rencontrer des vrais Suisses. Ils ont leur communauté d’amis, leur famille, leurs repères, leur métier… J’ai aussi l’impression qu’un Suisse se sent d’abord Valaisan, Genevois, Vaudois avant de se sentir Suisse. Je ne suis pas certaine de pouvoir m’identifier à ces nuances. Même si j’ai finalement appris le français, il était plus facile d’entrer en lien avec la communauté internationale, grâce à mon métier de traductrice. C’est là que je me suis principalement fait des amis. On commence vraiment à s’intégrer quand on cesse de comparer Genève et Londres et de partir à l’étranger tous les week-ends! Puis je suis tombée enceinte. Ma fille était inscrite à l’école de notre quartier, en français. J’avais un point d’accroche facile pour nouer la conversation et pour m’engager. Cela a joué un rôle fort. Après plus de 15 ans ici, je vais pouvoir devenir citoyenne suisse. Ce sera un pas de plus vers l’intégration, car cela me donnera le droit de voter. La politique occupe une place majeure dans la vie des Suisses et je pourrai y participer.»

«Ingénieure, on m’a conseillé de changer de métier»
Marie-Eve, 38 ans. Ingénieure d’origine québécoise, responsable qualité dans une entreprise de micromécanique jurassienne.

«Le plus dur pour moi a été de trouver des équivalences. Etant au bénéfice d’un bachelor en génie mécanique et d’un master en technologie de la santé à Montréal, j’avais de la peine à me profiler dans les offres de postes. Bien que j’aie effectué une année d’échange à l’EPFL à Lausanne, je restais quelque peu perdue dans les appellations des diplômes suisses. On peut dire que les agences de placement ne m’ont pas vraiment aidée. On m’a même conseillé de changer de métier. C’est très différent au Québec, où les personnes étrangères bénéficient d’un accompagnement plus poussé en vue de leur intégration professionnelle. Je pense que les conseillers que j’ai rencontrés ne comprenaient pas forcément en quoi consistait ma formation, qu’elle était trop spécialisée. De plus, ils ne devaient pas souvent voir des femmes ingénieures. En Suisse, le cliché de l’ingénieur «homme» garde la vie dure, même si les mentalités commencent à changer. Mariée à un Suisse, j’avais la chance de parler français, mais je ne savais pas le suisse-allemand. Je me suis donc mise à apprendre une langue qui n’a pas été très facile d’accès pour moi et à prospecter par moi-même sur internet. Dans les dix dernières années, j’ai occupé plusieurs postes et pu faire des formations post-grades pour étoffer mon CV. Aujourd’hui, je peux dire que je peux enfin mettre mes compétences à contribution. Si je devais émettre certaines réserves sur le monde du travail industriel suisse, ce serait notamment le fait que les Suisses ont peur du changement. Combien de fois j’ai entendu la phrase: ‹On a toujours fait comme cela, pourquoi on changerait?»

«Enseignante aux Philippines, femme de ménage à Genève»
Maria*, 42 ans. Originaire des Philippines. Mariée et maman de deux enfants. Femme de ménage et nounou à Genève.

«Aux Philippines, j’ai obtenu un bachelor puis j’ai exercé comme enseignante durant neuf ans à l’école élémentaire. C’était ma passion! Mais je ne gagnais que 200 francs par mois. Avec deux enfants et un mari absent, je n’arrivais pas à joindre les deux bouts. Alors quand ma cousine qui vit en Suisse m’a proposé de venir pour m’occuper de ses enfants, je n’ai pas hésité. Pour la somme de 5000 francs, elle a trouvé un Zurichois qui acceptait de ‹m’inviter› en Suisse. C’était crucial pour pouvoir rester. Lorsque je suis arrivée à Genève, j’avais 28 ans et des enfants de 4 ans et 1 an, restés aux Philippines. Je ne les ai revus que neuf ans plus tard. Mes emplois permettaient de leur envoyer de l’argent. J’effectue environ 45 heures de travail de femme de ménage par semaine et je gagne autour des 2500 francs par mois. J’ai eu de la chance, tous mes employeurs étaient très respectueux. Mais aucun n’a accepté de me déclarer. Je sous-loue une chambre que je partage avec une amie philippine. Je fréquente une communauté chrétienne composée principalement de personnes de mon pays. Je m’y suis fait la plupart de mes amis. Je me suis adaptée à la nourriture et à la culture! Mais je ne parle que très peu le français. Aujourd’hui, mes enfants vivent avec mon frère. C’est encore difficile d’être loin d’eux, mais ils sont allés dans une école privée, ils ont une maison, chacun a sa chambre, ils sont bien nourris. Alors je suis heureuse. Et les moyens de communication modernes m’aident beaucoup. Je peux leur parler presque tous les jours. Je pense qu’ils ont compris pourquoi je suis partie, car beaucoup de leurs amis ont des parents qui ont dû faire le même choix que moi. »

*Prénom d'emprunt

«J’ai dû envoyer 250 postulations sans résultat»
Moussa, 46 ans, originaire de la Côte d’Ivoire, employé des ateliers protégés La Pimpinière à Tavannnes (BE)

«J’ai quitté mon pays il y a 17 ans pour rejoindre un ami en Suède. Les choses ne se sont pas passées comme prévu et j’ai atterri à Zurich où j’ai fait une demande d’asile. Durant plus de six ans, mon permis N m’interdisait de travailler. J’ai ensuite passé plusieurs années en France où obtenir un titre de séjour m’a facilité l’accès à l’emploi. J’ai travaillé comme intérimaire dans le domaine de la logistique, j’étais conducteur de chariot élévateur. Ma situation restait précaire étant donné mes contrats de travail de durée déterminée. Par la suite, je me suis marié à une Suissesse et nous avons décidé de revenir en Suisse.

Etant ‹en règle›, je me suis dit qu’il me serait dès lors plus facile de trouver un emploi. Mais les entreprises suisses n’engagent pas si facilement des personnes sans formation adéquate. Au total, j’ai dû envoyer quelque 250 postulations sans résultat. J’ai eu la chance d’avoir un bon conseiller d’orientation. Malheureusement, l’accès à une formation n’était pas possible pour moi. D’après ce que j’ai compris, les conditions se sont durcies ces dernières années. J’aurais souhaité apprendre à manœuvrer une pelle mécanique de chantier. C’est finalement grâce à mon propre réseau que j’ai pu être engagé. J’occupe actuellement un poste de remplaçant à durée indéterminée dans l’intendance.» 

Ressources

Podcast «Wir sind hier» Episode 6 (en allemand)

«Votre formation n’est pas suisse», «est-ce que vous projetez d’avoir un enfant bientôt?»: si le marché du travail européen est officiellement flexible et ouvert, et que les manques de main-d’œuvre sont criants dans certains secteurs en Suisse, les barrières institutionnelles et culturelles à l’intégration professionnelle demeurent nombreuses et insidieuses, en particulier pour les femmes. C’est ce que décortique cette conversation approfondie entre Nicole Westerfeld, biochimiste allemande, Sahra Hofmann, travailleuse sociale d’origine suédoise et colombienne et Tobias Müller, professeur universitaire. Cette série de podcasts de la Commission fédérale des migrations propose plusieurs autres contenus en français et en italien.

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