Un chercheur d’emploi âgé sera soupçonné de manquer de flexibilité

Les travailleurs seniors sont perçus comme ne pouvant pas s’intégrer dans une équipe. / © iStock
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Les travailleurs seniors sont perçus comme ne pouvant pas s’intégrer dans une équipe.
© iStock

Un chercheur d’emploi âgé sera soupçonné de manquer de flexibilité

PRÉJUGÉS
Têtus, moins dynamiques, moins à l’aise avec la technologie, incapables de s’intégrer dans une équipe ou de résister au stress… sur le marché du travail, les stéréotypes sont nombreux à viser les travailleurs seniors.

«Un travailleur expérimenté risque moins le licenciement qu’un jeune», souligne Daniel Oesch, professeur associé au Centre de recherche sur les parcours de vie et les inégalités de l’Université de Lausanne. «Par contre, si cela lui arrive, il restera plus longtemps au chômage», note le chercheur en sociologie économique qui rappelle: «On croit souvent que la carrière de toute une vie, cela n’existe plus, mais en fait les chiffres de l’OCDE montrent que la durée moyenne des contrats reste stable.» Une constance qui se retrouve également dans ses recherches: «Par exemple, quand une entreprise va vouloir remplacer un cadre, elle va souvent favoriser les mutations internes.» Un processus qui rend difficile l’accès de travailleurs expérimentés à toute sorte de postes.

Prétentions salariales

«En fait, à en croire les employeurs, la principale raison pour laquelle leur choix ne se porte pas sur les travailleurs plus âgés est leurs prétentions salariales.» Daniel Oesch explique: «Quand on a eu un parcours au sein d’une même entreprise, on a pu voir son salaire augmenter par paliers, souvent parce que l’on accumule objectivement des compétences. Mais lorsqu’il faut changer de travail, souvent une partie de celles-ci ne s’avèrent pas utiles pour le nouveau poste. Pratiquement, en cas de changement de poste, il est difficile de justifier d’une expérience professionnelle apportant des avantages bien supérieurs à ceux d’un candidat de 35 ans.» Ainsi les chômeurs âgés auraient bien davantage de chances de retrouver un poste, s’ils revoient rapidement à la baisse leurs prétentions salariales.

Ce genre de stéréotypes est très largement admis dans notre société

C’est d’autant plus important, que les chercheurs d’emploi de plus de 50 ans font effectivement face à un certain nombre de préjugés qui leur sont défavorables. On les soupçonne d’être moins flexibles, de s’intégrer moins bien dans une équipe, «et parfois les employeurs préfèrent simplement s’entourer de jeunes en s’imaginant que cela permettra une meilleure ambiance de travail ou que cela donnera une meilleure image de leur entreprise. Parfois ils ont simplement peur d’engager des personnes subalternes plus âgées qu’eux», souligne Daniel Oesch qui constate que dans le monde du travail, l’on reproduit aussi un certain nombre de clichés présents dans le reste de la société: «Regardez la publicité! Elle valorise systématiquement des personnes jeunes», constate-t-il. «Dans certains métiers qualifié, on rechigne à engager des employé·e·s âgé·e·s car le retour sur investissement ne se fait pas avant quelques années – la durée nécessaire pour être pleinement productif dans un nouveau poste. Si la durée jusqu’à la retraite est trop courte, l’engagement ne se fait pas. Dans mon domaine, il est rare que l’on engage un professeur de 55 ans et plus, à moins qu’il s’agisse d’une sommité. Sinon cet engagement sera perçu comme un engagement de transition.» Daniel Oesch invite toutefois les personnes concernées à ne pas perdre espoir: «Là on parle de statistiques, mais il ne faut pas oublier que dans les faits, ce n’est pas impossible: tous les jours, il y a des aînés qui retrouvent un emploi!»

Stéréotypes admis

Directrice du Département des comportements organisationnels à la Faculté des hautes études commerciales de l’Université de Lausanne, la professeure Franciska Krings arrive à un constat similaire. «Pour les recruteurs, le candidat idéal a 35 ans et il a une expérience professionnelle d’au moins 5 ans dans un autre domaine.» Après 50 ans, la crainte que l’employé se montre têtu, moins flexible est grande. «Ce genre de stéréotypes est très largement admis dans notre société et souvent les recruteurs en parlent assez ouvertement. Il y a donc tout un travail à faire pour leur faire prendre conscience que ce sont des préjugés. En particulier, les études montrent que même si avec l’âge une personne peut avoir certaines difficultés, par exemple de mémoire à court terme, ses compétences professionnelles ne sont pas altérées. On ne perd pas de capacité dans les domaines dans lesquels l’on devient expérimenté.» Franciska Krings incite donc les chercheurs d’emploi plus âgé à contredire les stéréotypes: «Il ne faut pas hésiter, dans sa lettre de motivation à mettre en avant sa maîtrise des outils technologiques, sa résistance au stress ou son esprit d’équipe par exemple.»

Age réel et âge perçu

Chargée d’enseignement à l’Institut psycho, travail et organisations de l’Université de Neuchâtel, Irina Gioaba constate pour sa part que l’âge perçu joue un rôle très important. «Pour une étude, nous avons soumis à des recruteurs divers CV de candidats. Nous nous sommes aperçus que lorsque dans les loisirs nous faisions mention d’activités sportives ou de voyage, ils avaient davantage de chances d’intéresser les recruteurs.» Un avis que partage Franciska Krings: «Nous avons constaté que souvent les recruteurs associaient le fait d’être ‹fit› physiquement au fait de l’être également intellectuellement.» Enfin Irina Gioaba constate: «Nos travaux montrent qu’il y a une différence entre hommes et femmes. Ces dernières sont perçues plus tôt comme ‹vieilles›, mais de nombreux recruteurs hésitent moins à engager une femme âgée qu’un homme âgé.»

Mais un travailleur âgé risque bien d’être découragé avant même d’envoyer son dossier! «En étudiant la façon dont sont rédigées les offres d’emploi, on se rend compte que l’on y utilise tout un vocabulaire, souvent sans aucun lien avec le poste à pourvoir, mais qui peut retenir des personnes plus âgées. On va demander des personnes ‹énergiques›, ‹dynamiques›, ‹capables de s’adapter au changement›. Ce sont autant de signaux qui incitent les personnes d’un certain âge à ne pas postuler», constate Irina Gioaba.

Il est bien connu que l’une des principales solutions pour retrouver un emploi reste de faire appel à ses réseaux. Mais à l’heure de Twitter et Facebook, il vaut mieux parfois faire appel à des relations virtuelles. «Le fait de ne pas maîtriser ou de ne pas être actif sur les réseaux sociaux peut renforcer les préjugés qu’une personne ne soit pas à l’aise avec la technologie ou manque d’adaptabilité», prévient Irina Gioaba.

Rester dans le coup

Daniel Oesch insiste sur le fait qu’il est important pour les travailleurs de ne pas seulement accumuler de l’expérience, mais aussi de se tenir au fait de l’évolution de leur profession. «Nous avons une vraie lacune en Suisse avec la formation continue. Nous manquons d’incitation et d’aides pour continuer à nous former durant nos carrières ou pour nous accompagner en cas de changement», regrette-t-il. «Cela représente un coût social réel, et il n’y a pas grand-chose qui est fait au niveau public pour cela.»

Franciska Krings espère quant à elle un changement dans le monde du travail. «Les recruteurs sont sensibilisés aux questions de racisme et de sexisme. Ils savent qu’il existe une base légale qui interdit les discriminations et détectent immédiatement les stéréotypes liés à ces discriminations. En revanche, on ne parle jamais d’âgisme et souvent ces mêmes recruteurs ne se rendent pas compte que préjuger de quelqu’un et ses capacités uniquement sur la base de son âge est une fausse idée.»