Les "Sans Nom" : comme au temps des premiers chrétiens

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Les "Sans Nom" : comme au temps des premiers chrétiens

29 avril 2004
Une tente d’évangélisation a été plantée pour trois semaines à La Sarraz
Elle est animée par des prédicateurs professionnels, ce qui n’est pas courant en Suisse. D’autant plus lorsqu’ils font bande à part, se réclament du modèle néo-testamentaire et viennent de petits groupes sans dénomination et sans lieu de culte. Enquête. Mon nom est personne. La célèbre réplique du western spaghetti va comme un gant aux deux évangélistes. Yeux bleus intenses et sourire épanoui, Ralf Wendt est devenu un professionnel de la prédication voilà douze ans. Plus jeune, Alexandre Sauvageot a quitté sa banque de Lugano il y a trois ans pour « accomplir, après des hésitations, ce que Dieu m’avait mis dans le cœur ».

Sans famille, « non parce que c’est interdit, mais parce que c'est difficilement conciliable », sans domicile, ils vivent de dons et sont en route pour aller où Dieu les appelle. Depuis fin avril et pour trois semaines, ils ont dressé leur petit chapiteau en bordure de la rue principale à La Sarraz pour faire « entendre la Bonne Nouvelle ». Ils sillonnent depuis longtemps le pays avec leur tente dans laquelle ils dorment et mangent. « L’été dernier, nous étions déjà dans le canton de Vaud, à Moudon, puis à Champagne. Ces jours-ci, nous avons deux collègues qui travaillent dans l’arc lémanique ».Comme aux premiers sièclesLe duo est issu de groupements méconnus, et pour cause, puisqu’ils ne possèdent ni nom, ni dénomination, ni lieu de culte. « Nous sommes simplement des croyants qui nous réunissons les uns chez les autres, à la manière des premiers chrétiens », se borne à expliquer Ralf Wendt.

Les deux évangélistes se réclament du modèle néo-testamentaire, comme l’Eglise de Corinthe ou d’Ephèse. En insistant, on apprend que le mouvement est arrivé en Suisse dans les années 30 en provenance de Nouvelle-Zélande et des Etats-Unis. Qu’il existe aussi dans d’autres pays européens, en Italie et en Grèce notamment. Ces « Eglises sans Nom », puisqu’il faut bien leur en donner un, compteraient environ 500 membres en Suisse, dont une poignée d’évangélistes professionnels comme Ralf Wendt et Alexandre Sauvageot.

Dieu reconnaîtra les siens. En attendant, pas étonnant que personne ne les remarque. Ils ne prennent jamais contact avec les paroisses catholiques ou protestantes, et pas davantage avec les autres groupements religieux de l’endroit. A Moudon, par exemple, c’est tout juste si le pasteur Patrice Hesslein se souvient de leur passage. « Ca me dit quelque chose. Mais ils n’ont averti personne et nous n’avons eu aucun retour de la part de nos membres ». A La Sarraz, même topo : L’un des deux ministres de la petite ville, Michel Lemaire, reconnaît d’ailleurs qu’il était « un peu fâché en découvrant le papillon distribué par les évangélistes dans les boîtes aux lettres, qui font comme si aucune Eglise n’existait dans la région. Si la démarche ne nous dérange pas, la manière nous paraît étrange ». Sa consoeur, Sonja Musy, dit son étonnement et en même temps une certaine admiration pour un tel engagement.

On n'en sait pas beaucoup plus du côté de l’Alliance évangélique romande, dont le président Jean-Paul Zürcher avoue « qu’il a vaguement entendu parler de prédicateurs annonçant l’Evangile deux par deux ». Même ignorance du côté de Campus pour Christ, où Thomas Weber, qui est aussi responsable de l’Action commune d’évangélisation de Lausanne (ACEL) pensait que seule la mission tzigane continuait à travailler sous chapiteau. En revanche, le théologien et sociologue Olivier Favre, qui rédige en ce moment une thèse sur les évangéliques, voit de quoi il s’agit. Il ne considère pas ce type d’approche dangereuse ou sectaire, « même si elle est sans doute discutable du point de vue ecclésiologique ». Le chercheur ne classe pas ces groupes dans la galaxie des évangéliques, parce qu’il leur manque l’aspect inter-dénominationnel, soit « le sentiment d’appartenir d’abord à une grande famille de foi avant de se sentir membre de telle ou telle Eglise locale ».D’un autre tempsLes deux évangélistes croient au modèle néo-testamentaire, et à de petites communautés qui se retrouvent dans les maisons. Pas la peine d’avertir les Eglises instituées, cela ne les intéresse en général pas », souligne le plus jeune.

La mode de ce type d’évangélisation, où l’on invite la population à venir sius une tente est largement passée de mode. « Il y a plus de 50 ans, plusieurs communautés évangéliques sont nées des passages de la Tente Romande, qui était la mission intérieure des Assemblées évangéliques, se remémore Richard Fosserat. Aujourd’hui, ça ne marche plus ». Lui même converti sous un chapiteau de gitans à Genève après une adolescence mouvementée, le pasteur de l’Eglise évangélique de Cossonay regrette cet ostracisme, mais reconnaît à la démarche un certain courage. « Si c’est leur appel, pourquoi pas! ».

Après La Sarraz, où ils louent leur place à un privé, les deux Sans Nom iront monter leur chapiteau du côté de Vallorbe, pour autant que la commune leur donne son accord. D’ici là, ils espèrent bien qu’à raison d’une heure de rencontre six jours sur sept, plusieurs habitants franchiront la porte de leur maison de toile. Alexandre Sauvageot et son compagnon professent en tout cas une foi inébranlable : « Parfois, personne ne vient, et c’est un peu décourageant. Mais on trouve force et courage dans la Parole ».