La pensée de Pierre Viret enfin réhabilitée

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La pensée de Pierre Viret enfin réhabilitée

13 mai 2004
Les éditions de L’Age d’Homme publient un premier volume de l’Instruction chrétienne,la principale œuvre du grand Réformateur vaudois qui n’avait jamais été rééditée depuis le XVIe siècle
Rencontre avec le pasteur Arthur-Louis Hofer, chef d’orchestre du projet. A Lausanne, tout le monde ou presque connaît le nom de Pierre Viret. Pourtant, même si sa rue longe la bibliothèque de Rumine, l’œuvre du Réformateur vaudois n’en occupe guère les rayons. L’histoire de la Réforme de ce côté-ci de la Sarine a surtout retenu les figures de Calvin et – dans une moindre mesure - de Farel. Le seul représentant réellement romand (Farel était de Gap, Calvin de Noyon) du mouvement qui bouleversa la chrétienté est, lui, tombé dans l’oubli. Fait symptomatique, la dernière édition de l’Instruction chrétienne, dans laquelle ce natif d’Orbe avait rassemblé l’essentiel de sa pensée, date de…1564.

Aujourd’hui, cette double injustice se voit réparée. Paraissant sous l’égide de L’Age d’Homme et de l’Association Pierre Viret, le premier volume – il y en aura huit - de cette imposante somme théologique vient de sortir. Pasteur à la retraite, Arthur-Louis Hofer a travaillé durant cinq ans à cette première réédition depuis le XVIe siècle. « Le 500e anniversaire de Pierre Viret tombe en 2011. Il est important de rappeler qu’il ne s’agit pas d’un Réformateur mineur ; qu’il est aussi l’un des meilleurs écrivains réformés, recourant à tous les procédés littéraires possibles pour exposer ses idées ». Arthur-Louis Hofer rappelle qu’en 1565, seuls la menace de ses adversaires et son état de santé empêchent Viret de prendre à Neuchâtel la succession de Farel. Un grand vulgarisateurPierre Viret fut aussi l’un des artisans du retour de Calvin à Genève en 1541. Il restera ensuite plusieurs mois à ses côtés. Selon Arthur-Louis Hofer, il convient de "ne pas opposer les trois grands Réformateurs, qui partageaient des vues doctrinales et ecclésiologiques identiques ». On retrouve ainsi, chez Calvin comme chez Viret, un même intérêt pour la discipline ecclésiastique, accordant notamment aux ministres le droit à l’excommunication de la Cène. Cette prérogative fut l’une des raisons pour lesquelles Calvin fut chassé de Genève en 1538, et Viret de Lausanne vingt ans plus tard. Entre temps, ce dernier aura été la cheville ouvrière de l’Eglise du Pays de Vaud dont il fut le premier pasteur, et l’un des principaux animateurs de l’Académie lausannoise fondée en 1537.

Professeure à l’Institut genevois d’Histoire de la Réformation, Irena Backus se réjouit du début de ce vaste travail de réédition. « Pierre Viret considérait son Instruction comme le versant pratique de l'enseignement de Calvin. C’est donc un recueil catéchétique, remanié à plusieurs reprises, à l’intention du peuple plutôt que des théologiens. On peut dire que l’œuvre de Viret complétait celle de Calvin en vulgarisant les concepts de la Réforme pour les laïcs ».

Du point de vue de la forme, l’une des originalités de Viret est d’avoir écrit une majorité de dialogues, un peu à la manière d’Erasme. Si, aux yeux d’Irena Backus, ceux de l’Instruction chrétienne apparaissent un peu moins intéressants que d’autres ouvrages à la tournure plus satirique, cette nouvelle édition constitue néanmoins un « grand pari, celui de réhabiliter la place de Viret dans l’histoire d’un mouvement dont il a été un acteur important ». D’un point de vue universitaire, la théologienne note que cela permettra ddorénavent de dispenser des cours sur le Vaudois, tentative jusqu’alors délicate en raison de la langue française du XVIe siècle dans laquelle l'ouvrage a été écrit, aujourd'hui peu abordable pour le néophyte. A cet égard, le choix de ne pas traduire le texte en français moderne, mais d’en moderniser l’orthographe, ne lui paraît pas un réel obstacle : « Le style est assez simple, et les tournures sont expliquées en note ». Bref, la pensée de celui que l’on appelait « le sourire de la Réforme » brille à nouveau.