Juifs, chrétiens et musulmans : que pensent-ils les uns des autres ?

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Juifs, chrétiens et musulmans : que pensent-ils les uns des autres ?

19 mai 2004
Chaque religion prétend à la vérité et juge les autres selon sa conception de l’absolu, ce qui pose sans cesse problème
Et si l’on essayait de se mettre à la place de l’autre pour mieux le comprendre? Et si l’on posait un regard extérieur sur son propre texte sacré ? Un livre témoigne des regards croisés de Juifs, de chrétiens et de musulmans et invite au dialogue sans langue de bois. Mettre le doigt sur les difficultés qui empêchent le dialogue de se nouer ou qui le confinent au registre incantatoire des bonnes volontés : c’est ce défi que l’Université de Genève a voulu relever en organisant en 2001 un cycle de conférences sous le titre « Juifs, chrétiens et musulmans : regard croisés ». Les exposés des intervenants juifs, catholiques, protestants, orthodoxes et musulmans sollicités par Albert de Pury et Jean-Daniel Macchi, viennent d’être publiés aux Editions Labor et Fides. Ils témoignent, chacun à leur manière, d'un contexte très chargé du point de vue historique, intellectuel et émotionnel ; mais aussi de la nécessité d’être soi-même, très clair sur son identité, en allant à la rencontre de l’autre. Le théologien Pierre Bühler rappelle combien il est important de concevoir le regard sur l’autre comme un égard, comme un respect. Ce sont les conditions mêmes pour l’ouverture à la reconnaissance et au dialogue. Car les sujets de discorde, les ressentiments ne manquent pas entre les religions juive, chrétienne et musulmane, issues toutes trois d’Abraham qu’elles se reconnaissent comme ancêtre commun. Mais leur histoire réciproque est jonchée de cadavres.

« La reconnaissance de la légitimité de l’Autre, en tant qu’Autre, n’est certainement pas le fort de la tradition du Dieu un », écrit le professeur Jean-Christophe Attias, titulaire de la chaire de judaïsme médiéval à l’Ecole des Hautes Etudes de Paris, qui ouvre les feux. Chaque monothéisme se montre méfiant à l’égard des deux autres, le catalogue des reproches prenant toujours le dessus sur l’énumération des mérites. Jean-Christophe Attias refuse de se laisser submerger par une pensée juive entièrement marquée par la mémoire du conflit et de la souffrance infligée par la polémique judéo-chrétienne au sujet de Jésus, et ses terribles conséquences, mais dit la forte conscience qu'ont les Juifs d'avoir éré dépossédé de leur texte sacré par les chrétiens. Il se réjouit que le terrain soit aujourd’hui moins miné depuis que les Eglises chrétiennes ont fait leur examen de conscience, battu leur coulpe et multiplié les preuves d’un changement d’attitude à l’égard des Juifs, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Mireille Hada-Lebel, professeur de judaïsme antique, rappelle pour sa part que le judaïsme pèse peu du point de vue numérique, soit treize millions d’individus environ, tandis que le christianisme et l’islam dépassent chaque le milliard. Elle analyse la rupture qui s’est faite avec Paul entre Juifs et chrétiens, et son message qui affirme la primauté de la foi en Jésus ressuscité sur la Loi. Pour elle, la rencontre des deux religions ne peut se faire qu’autour d’un Jésus strictement humain, un sage, un réformateur, un Juif dissident. Elle est toutefois consciente que « c’est sans doute bien trop peu d’un point de vue chrétien ».

Par rapport à l’islam, elle rappelle que l’Oummah (communauté des croyants) veut englober tous les vrais croyants et que le Coran abroge tout autre livre. Ce qui pose problème, d’autant plus quand les mouvements islamistes les plus extrêmes réactivent les vieux textes contre les Juifs.

Tarik Ramadan, écrivain et philosophe genevois, cherche les convergences et les divergences et rappelle que pour l’islam Jésus n’est qu’un messager, qu’un prophète parmi d’autres. Il met le doigt sur les versets qui font notamment problème :« Celui qui désire une autre religion que l’islam ne se verra point accepté et il sera dans l’au-delà au nombre des perdants » (Coran 3/85). Un passage qui rend difficile la cohabitation et le dialogue interreligieux. Juifs, chrétiens, musulmans, que pensent les uns des autres ?, avril 2004 128 pages, éd. Labor et Fides.