La spiritualité des tout-petits mise en évidence par une chercheuse québécoise: « Le petit enfant touche au mystère de Dieu »

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La spiritualité des tout-petits mise en évidence par une chercheuse québécoise: « Le petit enfant touche au mystère de Dieu »

29 novembre 2005
Professeur de théologie pratique à l’Institut de pastorale des Dominicains à Montréal,Elaine Champagne a accompagné pendant une dizaine d’années des enfants gravement malades ou accidentés dans un hôpital pédiatrique
Les moments forts qu’elle a vécus avec eux l’ont convaincue que les tout-petits ont une spiritualité à laquelle il faut se mettre à l’écoute, qu’il faut accueillir sans condescendance et prendre au sérieux. Pour vérifier ses intuitions, elle a mené un travail de recherche dans un centre de la petite enfance. Interview. « Souviens-toi bien de Dieu, parce que moi, je suis en train de l’oublier ». Penchée sur le berceau de son petit frère, la fillette, cinq ans, lui fait cette recommandation. Plus qu’une anecdote, ce mot d’enfants nous rappelle que les tout-petits ont une spiritualité, intuitive, existentielle et relationnelle qu’il ne faut pas la négliger. « Je crois qu’ils ont une expérience spirituelle qui leur est propre, il suffit de bien les écouter sans s’amuser de leur naïveté, sans vouloir qu’ils expriment ce qu’on voudrait qu’ils disent, conseille Elaine Champagne, professeur de théologie pratique, auteur d’un travail de recherche qui vient de paraître, « Reconnaître la spiritualité des tout-petits. La théologienne a travaillé près de dix ans dans l’aumônerie d’un hôpital universitaire pédiatrique de Montréal. Ce qui lui a permis de découvrir que les enfants d’âge préscolaire, qu’on traite habituellement comme des sans voix ont quelque chose de neuf à nous révéler. « Et si ce que les petits disent faisait sens, un sens inattendu, autre, étonnant, mais vrai ? », s’est -elle demandé. « Dans mon travail à la pastorale, poursuit-elle, je devais faire le lien entre les besoins de l’équipe soignante et des familles, et soutenir les parents. Rien n’avait été envisagé pour aider les enfants sur le plan spirituel. Or cette question me préoccupait, car je me suis vite aperçue que se sont bien souvent eux qui aident leurs parents à traverser le choc de ce qui leur arrive, à eux. On avait tout simplement oublié qu’ils pouvaient avoir une vie intérieure, vu que souvent ils n’avaient pas de mots pour en parler, étant trop jeunes. J’ai donc décidé de faire un travail de recherche en m’appuyant sur l’observation et la parole des enfants de 3 à 6 ans que j’ai côtoyés suffisamment longtemps dans un centre de la petite enfance.

Si l’on définit la spiritualité comme l’expression d’une foi religieuse explicite, ou comme une démarche d’engagement, réfléchie et consciente, rien de ce qu’Elaine Champagne a observé ne lui permet d’affirmer que les petits enfants ont une spiritualité. Mais persuadée de la dimension intérieure et spirituelle des tout-petits, elle a observé leur approche sensible, intuitive, relationnelle et existentielle propre, qui les pousse à la transcendance, voire à la contemplation, elle a pu vérifier qu’ils ont un désir d’absolu qui les porte au dépassement et à la relation avec ceux qui lui permettent de devenir eux-mêmes.

Pour Elaine Champagne, cette dimension est à la racine même de tout être humain. « L’essentiel, le cœur de notre être, est déjà présent dans la petite enfance. Il y a véritablement une faculté chez l’enfant préscolaire d’être habité, de se laisser habiter, dans la joie et l’exubérance ou dans le silence et la tranquillité, par ce qu’il perçoit. Il est proche du mystère, de l’indicible, il a l’intuition de Dieu. Or l’intériorité n’est-elle pas cette capacité à se laisser toucher de l’intérieur ?

Pour Elaine Champagne, le mode d’être au monde de l’enfant témoigne d’une capacité naturelle à accueillir l’expérience du transcendant. Il en a les ressources mais pas encore les mots. C’est aux adultes qui l’accompagnent de favoriser l’émergence de sa force intérieure, de lui apprendre à reconnaître ce qui l’habite ; cette volonté d’accompagner l’enfant, de l’aider à se déployer et à s’ouvrir au monde, force l’adulte à se situer dans ses propres questionnements, sa spiritualité d’adulte. « Ce qui compte, insiste la chercheuse, c’est d’être en vérité avec soi, et par conséquent avec l’enfant. Ce dernier sent quand on n’est pas authentique.

Il y a bel et bien, pour la théologienne canadienne, une qualité d’être de l’enfant qui ouvre à la Promesse. Elle s’appuie sur les mots du théologien catholique Karl Rahner pour résumer le cœur de sa réflexion: « L’enfance elle-même touche au mystère de Dieu ».Elaine Champagne, « Reconnaître la spiritualité des tout-petits, éd. Novalis et Lumen Vitae, Canada, 2005.