Morts sans sépulture privés d'identité:L'enterrement au centre d'une réflexion pluridisciplinaire

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Morts sans sépulture privés d'identité:L'enterrement au centre d'une réflexion pluridisciplinaire

14 décembre 2005
A force d’éviter de penser la mort, n’ouvre-t-on pas tout grand les portes de la barbarie ? Telle est l’une des questions-clés posées par Pierre-Yves Brandt, professeur de psychologie de la religion, lors du colloque international sur le mythe d’« Antigone et le devoir de sépulture » qui a attiré la foule ce printemps à l’Université de Lausanne
A l’évidence, le sujet a fait mouche. On peut désormais retrouver les textes des intervenants dans un livre qui vient de sortir de presse. « La vie et la mort d’un être humain ne peuvent appartenir à une personne en propre », estime Pierre-Yves Brandt, professeur de psychologie de la religion à la Faculté de théologie des universités de Lausanne et Genève, qui se demande ce que signifie le fait que de plus en plus de gens enterrent leurs morts dans l’intimité, privatisant en quelque sorte la mort, signe évident que notre société contemporaine refuse de plus en plus de penser collectivement la destinée.

« Autant la reconnaissance des droits de l’individu et les revendications en faveur de la légitimité des identités individuelles les plus variées sont fortes aujourd’hui, autant la définition de l’identité paraît vouloir s’élaborer en faisant l’économie d’une réflexion sur la destinée », relève le chercheur qui a participé au colloque mis sur pied par Muriel Gilbert, maître-assistante en psychologie clinique à l’Institut de psychologie à Lausanne. Avec l’intervention de Pierre-Yves Brandt, on se trouve au cœur même du sujet : le devoir de sépulture, âprement défendu par Antigone, a pour but de préserver l’identité du défunt en obligeant les vivants à penser l’inscription sociale de sa destinée personnelle au-delà de la vie. L’historien des religions antiques Philippe Borgeaud, ne dit pas autre chose : « Le manquement à la sépulture constitue un manquement à la mémoire collective et donc au maintien de l’image du mort dans la conscience collective ». Il évoque le spectre du génocide qui hante le monde contemporain traumatisé par les innombrables cadavres laissés sans sépulture tout au long du 20e siècle.

Naasson Munyandamutsa, psychiatre, enseignant à l’Université nationale du Rwanda, fait part , lui, de son expérience auprès des patients ayant survécu au génocide qui a dévasté son pays et insiste sur le caractère central du respect dû aux morts dans sa culture. Il invite le lecteur à prendre conscience de l’importance des rites dans l’organisation sociale de tout groupe humain, du droit de chacun à honorer ses morts selon les rites traditionnels qui sont les siens. Un droit valable pour tous, même pour celui qui s’est rendu coupable d’un crime grave.L'enterrement comme signe de pardon « Aucune faute ne saurait causer un dommage définitif à cette dignité de tout être humain, relève Benjamin Gross, doyen honoraire de la faculté de lettres de l’Université de Bar-Ilan en Israël, avant de rappeler que dans la bible, l’enterrement est comme un signe de pardon accordé au pécheur. « Le retour du corps à la terre est un signe d’espérance absolue, pierre angulaire de la croyance en un ordre transcendant ».

En tout dix-huit chercheurs venus de tous horizons, - archéologie, histoire, ethnologie, philosophie, sociologie, psychologie de la religion, pédopsychiatrie, droit, praticien aux pompes funèbres – , éclairent dans cet ouvrage, chacun à travers sa discipline, la question du droit à la sépulture, qui fait partie pour l’Antigone, façonnée par Sophocle, des lois « qui régissent l’éternité ». Et qui est un symbole privilégié pour penser le lien social aujourd’hui. Antigone et le devoir de sépulture, sous la direction de Muriel Gilbert, 254 pages, nov. 2005, éd. Labor et Fides.