Face à l'économie ultralibérale, les mouvements citoyens ont un rôle essentiel à jouer
20 décembre 2005
Restructurations, délocalisations, privatisations : l’ultralibéralisme fait fi des conséquences sociales
L’écart entre riches et pauvres se creuse inexorablement. En Suisse, la barre des 300’000 personnes dépendantes de l’aide sociale est désormais franchie alors que les 300 plus grosses fortunes ont amassé 31 milliards de plus en une année et que les bénéfices des 150 plus grandes entreprises culminent à 50 milliards. L’engagement chrétien dans tout ça ? Entretiens avec des personnalités de l’Arc jurassien et un ancien conseiller national qui affichent leur engagement chrétien.Pas un jour ne s’écoule sans que l’on ne prenne connaissance de licenciements, de fermetures d’usines, de fusions ou de volonté de privatisation. On peut mentionner Swissmetal où la logique de profit de ses dirigeants n’aura fait qu’une bouchée de la détermination exemplaire des employés à sauver le site. Patron d’une entreprise de décolletage dans l’Arc jurassien, Daniel S. s’est battu pour que survive sa « boîte ». Aujourd’hui, il jette l’éponge. Chrétien engagé, il a toujours refusé d’utiliser les mêmes armes que ses adversaires : « Avoir une éthique chrétienne nous aide à rester droit, intègre, mais en revanche on subit l’injustice. Je ne suis pas d’accord de perdre mon salut pour essayer de gagner plus. Cela dit, j’ai peur pour la région, car beaucoup d’entreprises vont déposer les plaques dans un proche avenir ». .
Logique guerrière
« Quand on est dans une guerre, il n’y a plus d’éthique, remarque le veveysan Pierre Aguet, ancien conseiller national. Et nous sommes dans une logique guerrière à voir ce qui se passe dans l’économie. On place des tueurs à la direction des entreprises pour servir l’actionnariat ». Président de la Fédération romande des socialistes chrétiens, il rappelle que le phénomène de concentration capitaliste était annoncé de longue date par Karl Marx : « Il imaginait que le monde serait contrôlé par environ 3000 entreprises à la fin du 20e siècle ! La présence du monde communiste pendant quelque 70 ans aura sans doute retardé cette concentration puisque les multinationales sont encore 30’ 000 en ce début de 21esiècle. Mais quel acharnement et quelle efficacité elles mettent à rattraper le temps perdu !» lâche-t-il.
Selon Pierre Aguet, l’effondrement des vraies valeurs n’est pas fortuit, il a été voulu, organisé, planifié et mis en pratique à partir de 1977 à l’occasion d’une rencontre de hauts dirigeants à la Fondation Rockfeller à New York. « Désormais, le marché est devenu la seule référence de l’homme ; il a fini par prendre la place de Dieu et de ses préceptes », commente-t-il, quand le Christ est venu dans ce monde, il a choisi le camp des pauvres et des exclus, il leur a montré que les valeurs à défendre étaient autres que la richesse et la puissance».
Pas de place pour des sentiments tièdes. Pour Pierre Aguet, un chrétien d’aujourd’hui ne saurait répondre à l’injustice par l’indifférence : «Il n’est plus possible de n’être que des contemplatifs. Nous devons servir, agir, nous engager ».
Alors qu’il était conseiller communal, Pierre Aguet a connu la fermeture des ateliers mécaniques de Vevey, au début des années nonante. Un épisode tragique. Aussi parle-t-il d’expérience. La solidarité, l’entraide, le soutien à ceux qui sont dans le besoin ne sont pas des mots vides, ils ont une valeur essentielle dans sa conception de socialiste chrétien : «Dieu est prioritairement – et c’est sa résidence principale – dans le cœur de tous les humains. Cette présence donne à tous les hommes une extraordinaire responsabilité par rapport à l’organisation de la société, par rapport à leurs prochains qu’ils doivent aimer comme eux-mêmes. Personnellement, je garde un très fort espoir de changement. J’observe aujourd’hui que les gens en ont marre. Des mouvements se créent et des voix s’élèvent pour dénoncer la dérive économique, y compris dans les milieux acquis à l’idéal néolibéral».Si le Titanic coule, tout le monde couleLe pasteur Pierre Paroz de Corcelles (BE), enseigne l’éthique et la religion au gymnase français de Bienne. Son regard sur les déséquilibres socioéconomiques du monde actuel croise l’analyse de Pierre Aguet. Selon le pasteur, les labels, les banques alternatives, le commerce équitable, les mouvements citoyens au sein des entreprises notamment, ont désormais un rôle essentiel à jouer. Ces associations, embryonnaires pour l’heure, ouvriront bientôt des voies nouvelles ; elles trouveront leur place dans l’économie mondiale offrant une dimension plus juste et un caractère plus humain.
«Je mesure déjà des signes encourageants. Il faut ranimer la foi dans l’action citoyenne. Mieux vaut allumer une chandelle, aussi petite soit-elle, que de se résigner à l’obscurité ». Et de poursuivre : «Ceux qui disent que la machine est lancée et que désormais on ne peut plus l’arrêter, ce sont les bailleurs de fonds et les actionnaires d’entreprises. Leur éthique est minimaliste. On ne pourra plus indéfiniment couvrir des principes qui mettent la planète en danger. Si le Titanic coule, tout le monde coule, les premières classes comme les fonds de cale. Laisser faire la libre concurrence a une limite ! Personnellement, je crois à une réaction citoyenne qui va être le fer de lance de la réintroduction de l’éthique dans le monde économique de demain».Plus d’actes et moins de parolesA Lausanne, Georges Aegler conjugue social et économie. Cet ancien directeur de grandes enseignes a choisi de mettre son temps, son talent de créateur et de gestionnaire d’entreprises au service de personnes tombées « en panne» dans le système économique actuel. Grâce à un fonds de solidarité alimenté par des legs et des dons, il encourage la création de petites entités de travail du type micro-entreprise. Son association a pour mission d’aider par un financement et un encadrement personnel, les personnes désireuses de monter leur entreprise et qui n’auraient pas accès au crédit bancaire pour faciliter leur intégration dans le monde socioéconomique. Les prêts sont remboursés au gré de l’importance du montant, les modalités sont adaptées à chaque cas. Ce coup de pouce providentiel favorise le démarrage de projets de créations d’entreprises qui n’auraient jamais vu le jour autrement.
En 6 années d’activité, 710 projets ont été analysés, 74 prêts ont été accordés générant 88 emplois. La fondation de Georges Aegler, porte le nom de ASECE ; elle commence d’être largement connue même au-delà de nos frontières et fait des émules. La Suisse alémanique ainsi que les cantons de Fribourg et Neuchâtel bénéficieront prochainement de leur propre antenne ASECE.
A 95 ans, Georges Aegler reste un travailleur infatigable ; il se donne corps et âme à sa cause avec enthousiasme et chaleur. Il est chrétien et témoigne de sa foi par ses activités quotidiennes. Pour autant, son appartenance à l’église réformée ne l’empêche pas de poser un regard critique sur l’Eglise : «Aujourd’hui les gens désertent l’Eglise parce qu’elle n’a pas les mots pour parler et pour soutenir une population déboussolée. Sa mission a des failles». Plus d’actes et moins de paroles, voilà sa conviction.
Logique guerrière
« Quand on est dans une guerre, il n’y a plus d’éthique, remarque le veveysan Pierre Aguet, ancien conseiller national. Et nous sommes dans une logique guerrière à voir ce qui se passe dans l’économie. On place des tueurs à la direction des entreprises pour servir l’actionnariat ». Président de la Fédération romande des socialistes chrétiens, il rappelle que le phénomène de concentration capitaliste était annoncé de longue date par Karl Marx : « Il imaginait que le monde serait contrôlé par environ 3000 entreprises à la fin du 20e siècle ! La présence du monde communiste pendant quelque 70 ans aura sans doute retardé cette concentration puisque les multinationales sont encore 30’ 000 en ce début de 21esiècle. Mais quel acharnement et quelle efficacité elles mettent à rattraper le temps perdu !» lâche-t-il.
Selon Pierre Aguet, l’effondrement des vraies valeurs n’est pas fortuit, il a été voulu, organisé, planifié et mis en pratique à partir de 1977 à l’occasion d’une rencontre de hauts dirigeants à la Fondation Rockfeller à New York. « Désormais, le marché est devenu la seule référence de l’homme ; il a fini par prendre la place de Dieu et de ses préceptes », commente-t-il, quand le Christ est venu dans ce monde, il a choisi le camp des pauvres et des exclus, il leur a montré que les valeurs à défendre étaient autres que la richesse et la puissance».
Pas de place pour des sentiments tièdes. Pour Pierre Aguet, un chrétien d’aujourd’hui ne saurait répondre à l’injustice par l’indifférence : «Il n’est plus possible de n’être que des contemplatifs. Nous devons servir, agir, nous engager ».
Alors qu’il était conseiller communal, Pierre Aguet a connu la fermeture des ateliers mécaniques de Vevey, au début des années nonante. Un épisode tragique. Aussi parle-t-il d’expérience. La solidarité, l’entraide, le soutien à ceux qui sont dans le besoin ne sont pas des mots vides, ils ont une valeur essentielle dans sa conception de socialiste chrétien : «Dieu est prioritairement – et c’est sa résidence principale – dans le cœur de tous les humains. Cette présence donne à tous les hommes une extraordinaire responsabilité par rapport à l’organisation de la société, par rapport à leurs prochains qu’ils doivent aimer comme eux-mêmes. Personnellement, je garde un très fort espoir de changement. J’observe aujourd’hui que les gens en ont marre. Des mouvements se créent et des voix s’élèvent pour dénoncer la dérive économique, y compris dans les milieux acquis à l’idéal néolibéral».Si le Titanic coule, tout le monde couleLe pasteur Pierre Paroz de Corcelles (BE), enseigne l’éthique et la religion au gymnase français de Bienne. Son regard sur les déséquilibres socioéconomiques du monde actuel croise l’analyse de Pierre Aguet. Selon le pasteur, les labels, les banques alternatives, le commerce équitable, les mouvements citoyens au sein des entreprises notamment, ont désormais un rôle essentiel à jouer. Ces associations, embryonnaires pour l’heure, ouvriront bientôt des voies nouvelles ; elles trouveront leur place dans l’économie mondiale offrant une dimension plus juste et un caractère plus humain.
«Je mesure déjà des signes encourageants. Il faut ranimer la foi dans l’action citoyenne. Mieux vaut allumer une chandelle, aussi petite soit-elle, que de se résigner à l’obscurité ». Et de poursuivre : «Ceux qui disent que la machine est lancée et que désormais on ne peut plus l’arrêter, ce sont les bailleurs de fonds et les actionnaires d’entreprises. Leur éthique est minimaliste. On ne pourra plus indéfiniment couvrir des principes qui mettent la planète en danger. Si le Titanic coule, tout le monde coule, les premières classes comme les fonds de cale. Laisser faire la libre concurrence a une limite ! Personnellement, je crois à une réaction citoyenne qui va être le fer de lance de la réintroduction de l’éthique dans le monde économique de demain».Plus d’actes et moins de parolesA Lausanne, Georges Aegler conjugue social et économie. Cet ancien directeur de grandes enseignes a choisi de mettre son temps, son talent de créateur et de gestionnaire d’entreprises au service de personnes tombées « en panne» dans le système économique actuel. Grâce à un fonds de solidarité alimenté par des legs et des dons, il encourage la création de petites entités de travail du type micro-entreprise. Son association a pour mission d’aider par un financement et un encadrement personnel, les personnes désireuses de monter leur entreprise et qui n’auraient pas accès au crédit bancaire pour faciliter leur intégration dans le monde socioéconomique. Les prêts sont remboursés au gré de l’importance du montant, les modalités sont adaptées à chaque cas. Ce coup de pouce providentiel favorise le démarrage de projets de créations d’entreprises qui n’auraient jamais vu le jour autrement.
En 6 années d’activité, 710 projets ont été analysés, 74 prêts ont été accordés générant 88 emplois. La fondation de Georges Aegler, porte le nom de ASECE ; elle commence d’être largement connue même au-delà de nos frontières et fait des émules. La Suisse alémanique ainsi que les cantons de Fribourg et Neuchâtel bénéficieront prochainement de leur propre antenne ASECE.
A 95 ans, Georges Aegler reste un travailleur infatigable ; il se donne corps et âme à sa cause avec enthousiasme et chaleur. Il est chrétien et témoigne de sa foi par ses activités quotidiennes. Pour autant, son appartenance à l’église réformée ne l’empêche pas de poser un regard critique sur l’Eglise : «Aujourd’hui les gens désertent l’Eglise parce qu’elle n’a pas les mots pour parler et pour soutenir une population déboussolée. Sa mission a des failles». Plus d’actes et moins de paroles, voilà sa conviction.