Exit à l'hôpital: des aumôniers très partagés

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Exit à l'hôpital: des aumôniers très partagés

9 janvier 2006
La « porte étroite » entrouverte par le CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois) en autorisant dès 2006, dans de très rares circonstances*, un patient en fin de vie à se donner la mort dans les murs de l’hôpital n’a pas laissé les aumôniers indifférents
Qu’ils soient catholiques ou protestants, les pasteurs et prêtres actifs au sein des hôpitaux romands livrent des avis divergents à l’idée d’accompagner l’aide au suicide d’un malade incurable et dont la fin est proche. Si certains estiment qu’apporter leur soutien à de tels patients est inconciliable avec les principes chrétiens, et si ces aumôniers s’y refusent donc absolument, une majorité répond comme l’abbé Gérald Carrel (Hôpitaux Universitaires de Genève) : « Je ne partage pas ce choix, au sens éthique du terme. Notre mission n’est toutefois pas de juger les personnes, mais de les accompagner et de les écouter, quoi qu’elles vivent ».« J’ai réfléchi à ce propos, à la suite de la rencontre de formation organisée à notre attention en fin d’année », explique le Père Michel Myotte-Duquet, aumônier de l’Hôpital cantonal de Fribourg. Sa conclusion : « La personne qui fait appel à EXIT le fait librement, en pleine possession de ses moyens. Comme ce choix est fait en étant sain d’esprit, le patient sait qu’il va à l’encontre des principes chrétiens. Je vois donc une contradiction entre avoir recours à l’aide au suicide et demander le ministère d’un prêtre. Si on est chrétien, on accueille le message de Jésus dans sa totalité ou on le refuse. Comment peut-on implorer sa miséricorde et accomplir un tel geste ? Il y a là quelque chose qui ne va pas et l’Eglise devrait se prononcer plus nettement à ce sujet ». Plus mesurée, Annette Mayer, responsable de l’aumônerie catholique au CHUV serait « d’accord d’accompagner la personne en fin de vie, mais je ne serai pas présente lorsqu’elle accomplira le geste ultime. Je suis personnellement opposée à cette pratique. En dehors de toute condamnation, il s’agit pour moi d’un geste illicite, d’un acte de transgression auquel je ne veux pas m’associer. » L’aumônière dit avoir aussi « plus de points d’interrogation que de certitudes sur la liberté de la personne en fin de vie. Ma grande crainte est de banaliser totalement un processus auquel, dès qu’il est en route, il est difficile de mettre un frein».

D’autres aumôniers catholiques disent avoir changé d’avis en prenant de l’âge : « L’aide au suicide pose certainement un problème éthique relatif à la valeur de la vie. Je n’y suis pas favorable, mais si vraiment quelqu’un a besoin d’un prêtre à ce moment-là, je me devrai de répondre présent », explique le Père Jean-Pierre Modoux, 64 ans, lui aussi aumônier à l’hôpital cantonal de Fribourg. « Je n’aurai pas dit cela il y a dix ou quinze ans. J’en ai parlé avec un jeune curé de la paroisse Sainte-Thérèse à Fribourg, à laquelle je suis rattaché, et qui ne comprenait pas ce souhait de la part du malade en fin de vie. Moi, personnellement, je ne dirai pas non pour un accompagnement spirituel». « Accompagner ne veut pas dire cautionner », renchérit l’abbé Gérald Carrel, aumônier aux Hôpitaux Universitaires de Genève. « Je ne partagerai pas le choix de la personne qui choisit l’aide au suicide, je le regretterai profondément, mais je puise dans l’Evangile la nécessité d’accueillir celui qui est en détresse, comme le Christ a accueilli la femme adultère. Allons plus loin : cela peut être aussi celui qui choisit une fin de vie volontaire. Je pourrai même accomplir cette réflexion fondamentale avec quelqu’un qui ne serait pas croyant. »

Les aumôniers protestants sont également très partagés : « J’ai été confronté à des personnes qui avaient le désir de mettre fin à leur vie. Je ne suis pas fermé à un accompagnement, mais je me suis rendu compte qu’il y avait peu de gens réellement concernés, si on les écoutait bien », explique Pierre Chenuz, aumônier protestant au sein du Service d'aumônerie oecuménique du CHUV. Cet hôpital a enregistré trois demandes d’aide au suicide en cinq ans. « En parlant avec un patient de ce qui motivait ce désir, je me suis rendu compte que la priorité était de résoudre des tensions familiales. Lorsque ce patient a pu s’exprimer et a su qu’il pouvait faire appel à EXIT, il a soudainement déclaré qu’il avait « bien le temps ». Tout comme Gérald Carrel, il relève la difficulté liée au lieu symbolique qu’est l’hôpital, où l’on vient pour être soigné et non pour mourir ; le but premier des demandes d’aide au suicide est souvent lié à des souffrances insupportables, qui devraient être mieux maîtrisées avec les soins palliatifs. « Ma résistance à ce procédé serait de couper court à des miracles possibles, tel celui de ce patient à qui on ne donnait plus que quelques jours à vivre et dont l’existence se prolonge depuis plusieurs mois », conclut Pierre Chenuz.

Protestant lui aussi, l’aumônier Rémy Wuillemin, qui pratique aux hôpitaux neuchâtelois Pourtalès et de la Providence, se dit « heureux de n’avoir jamais été confronté à une telle demande ». « Si c’est une personne que j’ai accompagnée et qui émet une demande récurrente, si je n’ai pas réussi à ce que son décès se fasse « naturellement », cela me remettrait beaucoup en question. Je le ressentirai un peu comme un échec. Nous tentons souvent de donner, au travers la présence de proches, un sens à cette fin de vie. Je me sentirai très partagé si je recevais une telle demande. » Globalement, il estime difficile « d’avoir une position tranchée et de condamner ou d’approuver cette pratique. Partir en guerre ou effectuer une condamnation en règle d’EXIT n’est pas le rôle de l’Eglise, me semble-t-il ».

*Si un patient en fin de vie hospitalisé au CHUV et incapable de rentrer chez lui demande une assistance au suicide, et cela malgré des soins palliatifs proposés et mis en œuvre, il pourra être accompagné dans sa démarche avec l’aide d’accompagnants extérieurs (association EXIT notamment). Les critères suivants doivent être remplis : Persistance de la demande, maladie incurable et fin proche, capacité de discernement, examen externe de la demande par le bureau de la commission d'éthique, alternative (soins palliatifs, supports psychiatriques et spirituels) proposés et mis en œuvre avec l’accord du patient, geste létal accompli par le patient lui-même.