Colloque à Genève sur les offres de guérison : Pour guérir, tous les moyens sont bons, même les miracles

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Colloque à Genève sur les offres de guérison : Pour guérir, tous les moyens sont bons, même les miracles

20 février 2006
Pour ne pas rester sans rien faire face à la maladie et à la souffrance, certains ont recours aux médecines parallèles ou à des pratiques religieuses de guérison
« Une façon de se donner le sentiment d’agir de façon légère, directe, autonome et économique sur sa santé », explique l’un des intervenants au colloque consacré à la question de la concurrence ou de la complémentarité des offres de guérison de la médecine officielle et des pratiques non orthodoxes, organisé vendredi passé à Genève par le Centre intercantonal d’information sur les croyances, l’Observatoire des religions et l’Université. Un sentiment d’échec marque notre société désenchantée, qui a perdu à la fois ses repères traditionnels et sa foi dans le progrès, constate l’anthropologue Ilario Rossi. L’homme se sent largué dans le monde globalisé d’aujourd’hui, dominé par l’économie toute puissante. « On ne pense plus aujourd’hui que le progrès sauvera l’humanité ou encore qu’il suffit de savoir pour guérir et que le mal découle de l’ignorance scientifique, constate Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la Revue médicale suisse. Le désenchantement et le scepticisme entraînent une nostalgie : on ne lâche pas facilement les grandes promesses. Si bien que les croyances s’introduisent en contrebande dans notre univers moderne », tant l’homme a besoin de croire à la toute-puissance de la pensée et à l’absence de limites.

Dans une société qui a fait de la compétition sa norme et qui largue tous ceux qui ne sont pas suffisamment performants, se remettre sur pied est de la plus haute importance pour pouvoir reprendre son travail, celui-là même qui rend parfois malade. Pour cela, tous les moyens sont bons, même les plus saugrenus ou ceux qui en appellent à des croyances et des rituels religieux. Pour Bertrand Kiefer, le fait qu’on se soit désintéressé de l’individu et écarté des lois de la nature, a favorisé l’émergence et le foisonnement de pratiques et d’offres de guérison non orthodoxes dans nos sociétés multiculturelles marquées par des migrations importantes.

Dans ce contexte, la volonté de croire est centrale pour guérir, explique Bertrand Kiefer. Pour guérir, il faut croire à une guérison possible, donc à la puissance de l’action entreprise pour retrouver la santé, que ce soit en médecine traditionnelle ou à l’aide de thérapeutiques parallèles.

Thomas Sandoz, psychologue et épistémologue, constate pour sa part que plus les patients en savent sur leur santé et comprennent l’art officiel de guérir, plus ils se tournent vers des pratiques de soins dissidentes, alternatives à l’idéologie médicale dominante. Il explique : « Le consommateur fait appel aux deux médecines pour lutter contre l’incertitude qu’entraîne la maladie. Avoir recours à des thérapeutiques parallèles, comme par exemple l’homéopathie, est un rituel profane de conjuration. En cherchant des solutions annexes, on lutte contre l’impuissance médicale, on contourne le verdict biomédical et on évite d’être passif face à la maladie. On lutte aussi par la même occasion contre le mouvement moderniste et la médicalisation de la société, contre la raison et le matérialisme scientifique perçus comme la force des dominants ».

Dans l’espoir de guérir, certains ont recours à la prière et en appellent au miracle. Professeur de sociologie de la religion à l’Université de Lausanne, Jörg Stolz a assisté à un ministère de guérison pentecôtiste qui a réuni 1500 personnes à Oron-la-Ville (VD) en juin 2003. Il a analysé d’un point de vue strictement sociologique comment l’officiant charismatique et les participants à cette célébration de guérison ont créé des miracles et investi de sens les événements. Décorticage lucide de ce qui se passe quand des gens s’avancent devant l’assemblée pour témoigner de leur guérison. «Il ne faut pas oublier que pour les pentecôtistes, les causes de la maladie, ce sont les forces du Mal, et que par conséquent pour se soigner, il faut se battre contre le Diable ».

Le sociologue a relevé quelques éléments constants utilisés dans la liturgie au cours de ces grands rassemblements pour contribuer à la guérison. En premier lieu la sujétion qui peut créer un état de transe : « Jésus est là ici et maintenant ». L’évangéliste livre ensuite les clés de la guérison : « Dieu seul guérit et il faut le louer ». Des consignes sont données pour faciliter la guérison : Il faut fermer les yeux, lever les mains, se décontracter, être calme, oublier sa maladie. L’évangéliste impose ensuite les mains sur l’assemblée, exorcise les forces du Mal, lance des prophéties de guérison dans le public, affirme qu’ici ou là des gens sont guéris, se gardant bien de les désigner clairement et nommément. « Est-ce que c’est moi qui suis guéri ?», se demande alors chaque participant. Le leader charismatique demande aux gens guéris de s’avancer et de confirmer qu’ils sont guéris. « Il y a des interactions certaines entre l’emphase de l’évangéliste et les témoins qui se rendent peu à peu sur scène pour témoigner ». Jörg Stolz relève qu’aucune vérification n’est faite, mais qu’on se contente d’autoconfirmation.