Eglises africaine en Suisse: l'explosion

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Eglises africaine en Suisse: l'explosion

29 mars 2006
Le nombre des Eglises africaines en Suisse explose
Rien que dans la région lausannoise, on ne recense pas moins de vingt-cinq communautés chrétiennes issues de l’immigration. La Conférence des Eglises africaines en Suisse cherche à les fédérer afin qu'elles soient des partenaires reconnus dans le dialogue avec les autorités politiques et les Eglises traditionnelles pour lesquelles elles sont un vrai défi . « La différence ne devrait pas être un obstacle à être ensemble dans la même Eglise », estime Innocent Himbasa, pasteur de l’Eglise réformée à Estavayer-le-Lac. Etat des lieux.Travailler à l’unité des multiples communautés africaines, voilà le casse-tête du Révérend Joseph Mudimba Kabongo, Secrétaire Général de la Conférence des Eglises Africaines en Suisse. « Comment faire la symbiose entre la culture d’origine et celle du pays d’accueil, se demande ce pasteur, responsable depuis 1993 de l’Eglise chrétienne du Chablais, une communauté évangélique qui réunit jusqu’à 90 paroissiens pour le culte dominical à Aigle. Nous n’avons pas encore trouvé la formule magique! C’est pourquoi nous avons besoin de l’aide des Eglises d’ici pour canaliser toutes ces communautés et surmonter les tensions qui les divisent ».

Nombreuses sont en effet les communautés qui se multiplient,se séparent, à un moment donné et s’étiolent après scission. Il suffit d’un pasteur autoproclamé, arrivé en Suisse de fraîche date et jouissant d’un certain charisme, pour qu’une nouvelle assemblée se forme autour de lui. Dans ce foisonnement de communautés hétéroclites, il est bien difficile de repérer les groupes sectaires et les prédicateurs au comportement de gourou. Par ailleurs, des méfiances et des tensions surgissent fréquemment entre les membres d’une même assemblée formée de réfugiés, d’étudiants et de fonctionnaires internationaux, venus de pays très différents et parfois en conflit. « Aux yeux des requérants d’asile, la moindre question posée par des Africains qui étudient en Suisse prend des accents policiers. Les étudiants sont très vite assimilés à des espions du gouvernement de leur pays d’origine », explique Joseph Kabongo, arrivé en Suisse en 1980 et qui en connaît long sur la question, ayant accompagné bien des requérants d’asile à Genève, Vallorbe et Bex, par le biais du réseau ELISA. « Il m’est arrivé de me retrouver avec des Congolais de la République démocratique du Congo, des Erythréens, des Ethiopiens, des Tchadiens, pris dans des tensions ingérables liées à des problèmes politiques ». Travailler à l’unitéAvec deux autres collègues pasteurs, Jospeh Kabongo a participé à la création en 1996 de la Conférence des Eglises Africaines (CEAS) en Suisse pour travailler à l’unité de toutes ces Eglises, favoriser leur intégration, assurer leur crédibilité et éviter qu’elles ne se replient sur elles-mêmes. « Nous organisons des séminaires religieux et des conférences sur des problèmes de société, nous encourageons les prédicateurs à acquérir une véritable formation théologique ou à se perfectionner et à ne pas se contenter d’un cours sur Internet. Nous cherchons à nous assurer que ces assemblées partagent toute la même confession de foi de base, à savoir reconnaître Jésus Christ comme Seul Seigneur et Sauveur, reconnaître l’autorité de la Bible comme seul véhicule de la Parole de Dieu et croire en la doctrine de la Trinité, Père, Fils et Saint Esprit. Nous cherchons également des partenariats avec la Fédération des Eglises Protestantes de Suisse (FEPS), avec l’Alliance Evangélique de Suisse Romande (AER) et avec la Communauté de travail des Eglises Chrétiennes en Suisse. Des contacts réguliers ont désormais lieu avec la FEPS qui se réjouit des collaborations ponctuelles envisagées, notamment concernant la formation des pasteurs.L’esprit de communautéMais pourquoi les ressortissants africains de confession protestante s’empressent-ils de créer de nouvelles communautés et ne rejoignent-ils que rarement les Eglises du lieu où ils se sont exilés ? Pour Innocent Himbasa, pasteur de l’Eglise réformée fribourgeoise à Estavayer-le-Lac, d’origine rwandaise, ce phénomène est propre aux protestants venus de l’étranger en général, sans être le seul fait des ressortissants africains. Il a constaté que les catholiques africains s’intègrent plus volontiers dans l’Eglise catholique du lieu où ils s’installent, alors que les protestants préfèrent se retrouver entre eux, quitte à créer une nouvelle communauté. Il déplore cette dispersion et cette tendance au ghetto. « La différence n’est pas un obstacle pour être ensemble. Je me réjouirais de voir des Africains protestants rejoindre une Eglise locale. Chacun pourrait s’enrichir au contact de l’autre. Au contraire, on assiste à un appauvrissement des deux côtés. Il est vrai aussi que des Eglises protestantes d’ici ont aussi tendance à diriger les Africains vers des Eglises ethniques ». Ce qui est regrettable à ses yeux.

Samuel Kobia, secrétaire général du Conseil Œcuménique des Eglises (COE) va dans le même sens dans le récent ouvrage qu’il vient de signer aux Editions du Cerf, « Le courage de l’espérance" : pour lui, « les Eglises africaines en Europe peuvent aider les Eglises européennes à retrouver ce qu'elles ont perdu à cause de la modernité, en particulier le sens de l'appartenance, l'esprit de communauté ".

A Zurich, ça déménage à l’Eglise française

Pasteur de l’Eglise française de Zurich, Michel Baumgartner accueille dans sa paroisse des Africains depuis une dizaine d’années, cherchant à mieux répondre à leur besoin de partage et de fraternité, à leur façon très vivante de vivre leur foi. « Ces communautés ont quadruplé en quelques années et nous appellent à prendre conscience qu’il est urgent d’intégrer la dimension multiculturelle dans nos Eglises réformées », constate-t-il. Finis les services religieux réformés monocolores et austères qui se terminent à l’heure. Au culte francophone à Zurich, ça déménage avec la chorale africaine qui participe au service dominical. Il arrive aussi à Michel Baumgartner d’assurer au pied levé un service pour l’un de ses paroissiens africains endeuillé et d’y parler de résurrection et de pardon, puis de voir ensuite un membre de l’assemblée se lever et prendre spontanément le micro après lui et prendre le contre-pied de sa prédication en proférant des imprécations contre les péchés et tous les pécheurs. Une contradiction qui le laisse sans voix ! « Il faut faire preuve d’une grande souplesse formelle sans toutefois trahir notre liturgie réformée, poursuit Michel Baumgartner, et nous ouvrir à des sujets que nous n’avons pas l’habitude d’aborder, comme les questions de la guérison ou de l’exorcisme des démons ». Célébrations joyeusesPour le pasteur Martin Hoegger, en charge du dialogue œcuménique dans le cadre de l’Eglise Evangélique réformée vaudoise (EERV), « ces nouveaux paroissiens sont un facteur de renouvellement pour notre Eglise, qu’il faut chercher à intégrer pour qu’ils se sentent chez eux ». Le pasteur vaudois se souvient de la préparation à célébration de la Parole à la cathédrale de Lausanne qui a réuni, en septembre dernier, une quinzaine de communautés protestantes africaines, la plupart évangéliques et pentecôtistes, ainsi que la communauté catholique africaine. « C’était très joyeux ! » se souvient-il, cette préparation a eu le mérite de leur rappeler l’importance du devoir d’unité ».