Quelles notes pour dire Pâques ? Quatre musiciens livrent leurs préférences

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Quelles notes pour dire Pâques ? Quatre musiciens livrent leurs préférences

11 avril 2006
Guy Bovet, Armin Jordan, Elizabeth Sombart et Jean-Marc Grob expliquent les rapports qu’entretiennent, à leurs yeux, foi et musique, au moment de fêter la résurrection du Christ
Guy Bovet, organiste titulaire de la collégiale de Neuchâtel :« L’œuvre qui évoque pour moi l’esprit de Pâques est le prélude et fugue en ré majeur de Jean-Sébastien Bach, parce que c’est une œuvre joyeuse, optimiste, qui évoque la résurrection. Le début me touche particulièrement. La gamme éclatante de la fugue, sa joie et sa volubilité, contraste avec la réflexion plus grave de la seconde partie du prélude, qui est comme le souvenir de ce qui s’est passé auparavant. » L’organiste se dit cependant « très réticent envers les démarches visant à élucider les intentions du compositeur. Pierre Vallotton a travaillé sur la signification à donner à certains préludes et fugues pour orgue de J.-S. Bach et organisé ces pièces dans l’année liturgique. L’interprétation religieuse d’œuvres qui sont de la musique pure me paraît douteuse. De même, comme l’a fait le compositeur catholique Olivier Messiaen, mettre des titres théologiques compliqués à certaines pièces peut susciter un respect que parfois la musique ne mérite pas. Le message doit s’imposer de lui-même, on ne peut rien justifier par ce biais. » A l’inverse, il avoue aussi « ne pas aimer les mélanges, tels, dans certaines symphonies de Mendelssohn, l’arrivée d’un choral dans des pièces d’essence non religieuse ». Guy Bovet ne vit pas le temps de la résurrection du Christ en fréquentant les concerts de Passions : « Moi, je suis aux machines. Je constate toutefois la présence d’un public plus nombreux lorsque l’on organise les concerts au moment des fêtes religieuses. On ne peut pas juger de cet engouement, qui fait partie de notre culture chrétienne et qui possède une certaine authenticité. Mais ce qui est intéressant, c’est de jouer ces pièces au sein de civilisations non chrétiennes, qui ne connaissent pas ces thèmes et n’ont pas ces préjugés. L’expression du compositeur s’impose alors d’elle-même ».Armin Jordan, chef d’orchestre, dirigera l’Orchestre de la Suisse Romande dès le 10 avril 2006 à 20h. dans « La Ville morte » d’Erich Wolfgang Korngold au Grand Théâtre de Genève :« Il faut se méfier des compositeurs. Certains ont écrit des Passions tout en n’étant pas forcément croyants. Fauré par exemple, j’adore son écriture, c’est une œuvre musicale formidable ; mais il ne croyait vraiment pas à ce qui se passerait après la mort. Même s’il n’y croyait pas, c’est formidable qu’à cause de cette histoire (ou de ce conte de fée, si, comme moi, l’on ne croit pas en Dieu) il ait créé des pièces religieuses si bouleversantes. Cela en vaut la peine, ne serait-ce que pour le résultat de l’œuvre. C’est un peu comme les peintres : il est des tableaux de la résurrection formidables, qui ne sont pas toujours le fait de croyants ». La foi de l’interprète « peut cependant dégager quelque chose. Lorsque j’entends Michel Corboz, avec son génie catholique, interpréter les Passions de Bach, dans lesquelles transparaît la sincérité du compositeur, on sent qu’il croit aussi en Dieu, pas seulement en Bach. » Armin Jordan dit « envier les personnes qui vivent le temps de la résurrection en écoutant certaines œuvres. Moi, la seule chose que j’ai, c’est le plaisir d’entendre une musique fantastique ». Elizabeth Sombart, pianiste, prépare avec Jean-Christophe Geiser, organiste, l’Art de la fugue pour piano et orgue à la cathédrale de Lausanne, à l’occasion de Pentecôte. (dimanche 4 juin 2006 à 17h., intégrale de l’Art de la fugue vendredi 23 juin à 20h.) :« Pour moi, c’est l’Art de la fugue qui exprime le mieux l’esprit de Pâques, parce qu’il n’y a pas de fin à cette œuvre ; elle se termine en plein milieu. Bach n’a pas pu l’achever, mais il a fini autrement : toutes les recherches qui ont précédé nous mènent vers un silence qui n’est pas vide. La fin est contenue dans le début : la première fois que le thème est énoncé, il contient tout le chemin que l’homme doit faire pour arriver à un point où il n’y a pas de résolution. C’est la leçon de Pâques : la foi absolue dans quelque chose que l’on n’entend pas, que l’on ne peut entendre qu’en soi. » C’est pourtant dans le silence qu’Elizabeth Sombart veut vivre la période qui précède Pâques : « Je passe huit jours de retraite en silence dans le but d’atteindre un état d’abstraction totale et d’avoir accès à un autre ordre des choses. Le silence est le but suprême ; on fait de la musique pour se libérer d’en faire ».Jean-Marc Grob, chef d’orchestre et directeur musical du Sinfonietta de Lausanne :« L’œuvre qui résume Pâques ? C’est difficile de poser cette question à un athée ! Au premier niveau, je m’en contre-fiche. Le jour de Pâques, je peux très bien écouter une cantate de Noël. Par contre, certaines œuvres sont porteuses non pas tellement de l’histoire biblique, mais de la foi du compositeur. De cela, j’ai un respect absolu. Je citerai dans ce registre l’ensemble des Passions, et en tête celles de Bach ; basées directement sur les Evangiles de Jean et de Matthieu, ce sont des chefs-d’œuvre absolus. La passion selon Saint Matthieu est la plus imagée, c’est presque un opéra. Bach a fait très peu de musique descriptive ; or là, le récitant relate les événements, Jésus apparaît, on entend, on voit le voile du Temple se déchirer, il y a des chœurs qui donnent la chair de poule et des dissonances incroyables…Je comprends parfaitement que l’on puisse adhérer liturgiquement à ce qui se passe. Pour moi, c’est cependant une belle œuvre lyrique que l’on peut mettre en image, une œuvre qui se serait prêtée à un film. Un projet auquel on m’avait demandé de participer voici 25 ans et qui ne s’est jamais fait. »