Les Eglises orthodoxes peinent à surmonter leurs différences
Certains responsables orthodoxes affirment que les Eglises doivent se réunir pour débattre de questions d'intérêt commun et parler d'une seule voix sur des sujets aussi importants que la bioéthique, la sexualité et l'environnement. Toutefois, les différends qui subsistent à propos de questions complexes telles que les diptyques et l'autocéphalie (le statut d'indépendance des Eglises orthodoxes) sont profonds.
Les chrétiens orthodoxes sont au nombre d'environ 250 millions à travers le monde, répartis dans 14 ou 15 Eglises orthodoxes indépendantes, suivant quelle est l'Eglise qui compte. Par exemple, le Patriarcat de Constantinople ne reconnaît pas l'autocéphalie (indépendance) accordée par Moscou à l'Eglise orthodoxe d'Amérique (OCA) en 1970 et ne célèbre pas l'OCA dans ses diptyques.
La question des diptyques ne relève pas du dogme, mais elles sont au cœur du protocole ecclésial. Un responsable de l'Eglise orthodoxe géorgienne a rappelé que son Eglise avait été fondée au 5e siècle et que c'est la raison pour laquelle elle ne renoncerait aucunement à ses exigences d'une plus grande reconnaissance.
Si l'Eglise géorgienne se contente de l'actuelle neuvième place qu'elle occupe dans les diptyques du Patriarcat œcuménique de Constantinople et de la plupart des autres Eglises orthodoxes, a expliqué le métropolite Théodore d'Akhaltiske et Tao-Klarjeti à la correspondante d'ENInews, « cela signifie que nous tirons un trait sur toute notre histoire. C'est pourquoi nous ne pouvons en aucun cas accepter cette situation ». Le Patriarcat de Géorgie figure en sixième place dans les diptyques de l'Eglise orthodoxe russe, avec laquelle elle est très proche, malgré les tensions qui existent entre la Géorgie et la Russie.
Réunion à ChambésyLe métropolite Théodore faisait partie des 14 représentants d'Eglises orthodoxes qui se sont réunis fin février au Centre orthodoxe du Patriarcat œcuménique, à Chambésy, près de Genève, afin de tenter une nouvelle fois de parvenir à un consensus concernant la préparation d'un Concile panorthodoxe. Cependant, la réunion de Chambésy s'est achevée sans autre accord.
Les consultations en vue de la tenue d'un concile à l'époque contemporaine ont commencé dans les années 1970. Le processus a été interrompu après la chute du communisme, les Eglises s'étant retrouvées aux prises avec leur liberté retrouvée et des questions juridictionnelles.
L'Eglise orthodoxe russe post-soviétique a acquis une place prépondérante dans l'orthodoxie mondiale et elle s'irrite lorsqu'on suggère que le patriarche de Constantinople – qui porte le titre de patriarche œcuménique en raison de son rôle en tant que dirigeant symbolique de l'orthodoxie – est comparable à un pape. L'Eglise russe a obtenu son indépendance de Constantinople au 16e siècle. L'orthodoxie se fonde sur sept grands conciles – les Conciles œcuméniques – qui ont affirmé la doctrine. Le dernier s'est tenu en 787.
Les Patriarcats de Moscou et de Constantinople s'accordent à dire que l'orthodoxie doit rationaliser les procédures relatives aux déclarations publiques et à l'octroi de l'indépendance. « C'est justement la raison pour laquelle l'Eglise catholique a organisé le Concile Vatican II: il a permis de tirer de nombreuses questions au clair », a déclaré à la correspondante d'ENInews le métropolite Emmanuel de France, qui représentait Constantinople à Chambésy. « Ce n'est pas parce que l'Eglise catholique a organisé son Synode que nous devons avoir le nôtre, mais je pense que tout le monde est d'accord pour dire que notre Eglise a besoin d'une position claire et unanime. Nous ne pouvons pas nous préparer pendant 50 ans sans parvenir à un quelconque accord. »
L'archiprêtre Nikolaï Balashov, qui représentait l'Eglise russe à Chambésy aux côtés du métropolite Hilarion de Volokolamsk, a affirmé à la correspondante d'ENInews que les déclarations qui sont présentées comme la position unique de l'orthodoxie ne doivent pas être perçues comme étant de l'initiative du patriarche œcuménique seulement. « Pour que le patriarche œcuménique parle au nom de toutes les Eglises, celles-ci doivent se réunir au préalable afin d'échanger leurs opinions », a-t-il préconisé.
Le métropolite Emmanuel a indiqué que les procédures permettant d'accorder l'indépendance discutées à Chambésy prévoient que le patriarche œcuménique proclame l'autocéphalie et signe un tomos – une déclaration d'indépendance – qui serait alors transféré aux primats de toutes les autres Eglises pour qu'ils le signent. Il a ajouté que les Eglises n'étaient pas toutes d'accord quant à la forme que ces signatures devaient prendre. Regain de tension entre Moscou et ConstantinopleCette question semble avoir suscité un regain de tension entre Moscou et Constantinople, tension qui, aux yeux des non-initiés, semble mineure, mais qui revêt une grande importance symbolique au sein de l'orthodoxie et constitue un vestige de son histoire tumultueuse. Le tomos du 11e siècle de l'Eglise géorgienne a par exemple disparu au cours des guerres contre les Turcs et les Perses, au 13e siècle.
L'archiprêtre Balashov a affirmé que le Patriarcat de Moscou ne craint pas que ce soit le patriarche œcuménique qui signe en premier, mais il a précisé qu'un débat a eu lieu pour savoir si sa signature « doit d'une certaine manière se démarquer fondamentalement de celles des autres primats ».
L'archevêque Jeremiasz de Wroclaw et Szczecin, de l'Eglise orthodoxe polonaise, a affirmé que l'orthodoxie ne doit pas nécessairement imiter Rome en prenant position sur des questions relatives à la politique, à la sexualité et à d'autres questions sociales. « Si chaque Eglise locale est une Eglise entière, universelle, unie et apostolique, alors l'Esprit Saint l'habite, et il montrera à l'Eglise polonaise et aux Eglises d'Alexandrie, de Constantinople et de Russie comment agir selon les circonstances », a-t-il déclaré à la correspondante d'ENInews. (956 mots-ENI-11-F-0034-JMP)