En Inde, les couples interreligieux subissent des violences

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En Inde, les couples interreligieux subissent des violences

Bhavya Dore
4 mai 2018
Les couples de religions et castes différentes n’ont jamais eu la vie facile en Inde, mais depuis que le parti Bharatiya Janata est arrivé au pouvoir en 2014, les violences se sont faites de plus en plus nombreuses

Photo: Shafin et Hadiya. Contesté par le père de la mariée, leur mariage a été annulé puis réhabilité par la justice. DR/

, RNS/Protestinter, Mumbai, Inde

Quand un homme musulman et sa femme qui a grandi dans l’hindouisme sont tombés amoureux après une rencontre en ligne, ils se doutaient bien qu’il y aurait des ennuis avec leurs familles. Ils étaient loin de se douter que cela irait jusqu’à un kidnapping. Craignant pour leur vie, ils ne souhaitent pas que leurs noms apparaissent.

Venant du sud de l’Inde, elle s’est installée à Mumbai en juillet passé. Elle s’est convertie à l’islam, au travers d’une déclaration officielle et cela a été le début des pressions qu’elle a subies de ses parents. Elle a fini par poser plainte auprès de la police locale contre son père qui menaçait de la kidnapper. Une fois, des hommes inconnus ont même attaqué la maison du couple.

En décembre, le couple était dans un centre commercial, et un groupe d’hommes— que le mari soupçonne d’agir à la demande de ses beaux-parents— a embarqué sa femme de force dans une voiture. Il a alors porté à nouveau plainte et est intervenu avec son avocat auprès de la Cour Suprême. Grâce à ces démarches, le couple s’est retrouvé début février et la famille semble commencer à accepter la situation.

«C’est une histoire de famille. La société ne devrait pas s’en mêler», dénonce le mari. «Mais les leaders politiques ont créé une atmosphère qui a porté atteinte à nos vies personnelles.» Ce récit n’est, en effet, pas un cas isolé. Il s’inscrit dans une véritable tendance en Inde, où les couples de religions et castes différentes subissent de plus en plus de violence, de harcèlement, d’opposition familiale et même de menaces de mort.

Une violence en progression

En février, une page Facebook appelant à la violence contre plus d’une centaine d’hommes musulmans qui avaient épousé ou fréquentaient des femmes hindoues, a été supprimée à la suite des protestations en ligne. Le même mois, Ankit Saxena, un homme hindou, a été tué à Delhi, soi-disant par la famille de sa copine musulmane. Certains des attaquants présumés ont plus tard été arrêtés. En décembre, des groupes hindous d’extrême droite ont fait irruption dans une célébration de mariage interreligieux près de Delhi. On rapporte de tels incidents régulièrement dans les différents états, y compris dans le Madhya Pradesh, le Kerala et l’Uttar Pradesh.

Les couples de religions et castes différentes n’ont jamais eu la vie facile en Inde, mais depuis que le parti Bharatiya Janata (BJP) est arrivé au pouvoir en 2014, l’atmosphère est devenue de plus en plus polarisée. Les chiffres publiés récemment par le Parlement montrent que le nombre de cas de violence interreligieuse en 2017 (822) est plus élevé qu’en 2016 (703) et 2015 (751). Ces hausses s’accompagnent d’une rhétorique de plus en plus anti-musulmane.

Une société divisée

«Depuis la montée au pouvoir du BJP, on parle beaucoup de religion et de castes,» selon Rajpalsingh Shinde, un avocat de la ville de Nashik qui a permis à plus de 200 couples de religions et castes différentes de se marier. «L’atmosphère est de plus en plus divisée.»

Shinde, un hindou qui a subi des pressions quand il a épousé une bouddhiste, affirme que les opinions anti-Dalit se sont aussi intensifiées ces dernières années. (Les Dalits étaient naguère considérés comme le groupe social le plus bas et étaient appelés «les intouchables».) «Beaucoup de jeunes sont frustrés,» précise-t-il. «Les relations sont brisées, les gens ne peuvent s’opposer à leurs familles ou à la société, ils sont déprimés.» Parfois, ces pressions poussent les couples interreligieux au suicide.

En Inde, une société qui reste encore très stratifiée, on constate encore des «crimes d’honneur» dans les mariages entre religions et castes.

Les couples ont vraiment peur

En 2016, un groupe de jeunes du Maharashtra ont créé Sairat, un «groupe de mariage» pour aider les couples de religions et castes différentes. Plus de 200 personnes les ont consultés et ils reçoivent une dizaine d’appels d’aide ou de soutien par mois, explique le coordinateur, Harshal Lohakare. «Notre travail a augmenté et les défis sont de plus en plus nombreux. Les couples ont vraiment peur.»

La même année, une affaire a passionné les médias: un homme du Kerala, KM Asokan, a signalé la disparition de sa fille Akhila. Quand cette dernière s’est présentée devant la haute cour du Kerala, elle a expliqué qu’elle avait changé son nom en Hadiya et choisi de se convertir à l’islam et d’épouser un homme musulman. Son père a alors soutenu qu’elle avait été endoctrinée. En mai 2017, la cour a annulé le mariage et remis la garde de la fille à son père. Même si la conversion volontaire est légale en Inde, cela peut entrainer des problèmes. Plus tard, le cas a été porté devant la Cour Suprême qui a supprimé l’annulation et statué que Hadiya était une adulte et que la cour n’avait pas le droit de décider de la validité de son mariage.

Accusation de jihad de l’amour

Ce cas a ravivé le fantasme du «jihad de l’amour». Certains hindous prétendent, en effet, que les hommes musulmans séduisent des femmes hindoues pour les faire convertir à l’islam. Ce terme a été largement utilisé en 2009 quand la haute cour du Kerala a ouvert une enquête pour savoir s’il y avait une campagne de conversion à grande échelle. Les rapports de police ont dit que ce n’était pas le cas, mais la formule a marqué les esprits.

«Depuis 2014, on recommence à parler du jihad de l’amour», constate Pratik Sinha, co-fondateur de Altnews.in, qui se considère comme un site journalistique anti-propagande. Altnews a publié pour la première fois l’histoire de la liste Facebook répertoriant les couples hindo-musulmans le 4 février et la page a été supprimée peu après. «En cette période agitée, ce genre de liste peut être mal employé et les personnes deviennent des cibles», souligne Pratik Sinha.

Positions claires, mais peu suivies de la Cour Suprême

Plus tôt dans l’année, la Cour Suprême de l’Inde a statué que personne ne pouvant s’immiscer dans un mariage entre deux adultes consentants, et a réprimé les khap panchayats, ces groupes communautaires qui font office d’instances judiciaires coutumières et se prononcent souvent sur des mariages.

Dans un jugement précédent, en 2011, la Cour avait recommandé que des fonctionnaires de haut rang soient suspendus et soumis à l’investigation s’ils ne prenaient aucune mesure contre les auteurs de crimes d’honneur. «On entend parfois parler de crimes “d’honneur” pour des personnes qui se marient entre castes ou religions différentes de leur propre volonté», peut-on lire dans l’arrêt de 2011. «Ces crimes n’ont rien d’honorable, au contraire, ce sont des meurtres barbares et honteux commis par des personnes à l’esprit féodal et qui méritent la pire des punitions. C’est la seule manière d’abolir ce genre de barbaries.»

Mais d’après Sanjoy Sachdev, président des «Love Commandos», une organisation à Delhi qui assiste les couples qui désirent se marier par amour, ces directives n’ont jamais été prises au sérieux par aucun parti majeur. «Les partis politiques n’ont rien à faire de l’amour,» selon lui. «Le BJP donne des billets d’élection (la possibilité de devenir candidat) aux leaders des khap panchayat. Le parti du Congrès dit que les khaps font partie de notre culture.»

Les Love Commandos déclarent avoir aidé des milliers de couples depuis 2010 et proposent assistance légale et protection pour ceux qui en ont besoin. Le groupe a reçu des menaces, mais Sanjoy Sachdev ne se laisse pas décourager. Il affirme: «nous allons repousser la violence avec la non-violence. Nous voulons en faire une mission pour les personnes.»

Malgré tout, les «happy end» restent encore possible «Quand le frère de ma femme a appris pour nous, on s’est bagarré parce qu’il a dit, “que vont dire les gens?”», raconte Nitin Kasar, un homme de 22 ans venant du groupe de la caste dominante Maratha, et qui a épousé une femme d’une autre caste l’année dernière. «Nous savions que les gens auraient de la peine à accepter une union entre castes. Mais nos familles ont fini par l’accepter.»