Qui est mon prochain - Du rapport à l'autre en temps de Corona

Maximilien Luce, 1896 - Wikimedia Commons / Le bon samaritain
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Maximilien Luce, 1896 - Wikimedia Commons
Le bon samaritain

Qui est mon prochain - Du rapport à l'autre en temps de Corona

30 juillet 2020

L'autre jour, nous descendions sur le chemin escarpé de la Dent d'Oche, une main sur la chaîne judicieusement posée pour aider les randonneurs, l'autre appuyée sur le rocher, cherchant soigneusement où poser les pieds. Viennent deux personnes en face. Nous nous arrêtons sur un petit ressaut, les laissant traverser un passage plus difficile où un croisement aurait été hasardeux. Elles nous rejoignent sur ce petit ressaut, et l'une s'exclame : « Eloignez-vous, à cause du Corona ».

 

La stupéfaction me saisit ! J'attendais un « Merci », je reçois une agression verbale.

 

Dans un autre registre, sous forme institutionnelle, j'ai entendu dire qu'un EMS a stoppé du jour au lendemain sa prestation de repas pour les personnes en appartement protégé, en mars. Refusant ainsi une prestation d'assistance existentielle (se nourrir) - alors que les mesures de protection étaient connues et le personnel déjà formé (les épidémies de gastro sont monnaie courante en EMS) – comme si la réflexion sur les solutions n'avait pas eu lieu. Qu'ont ressenti les personnes âgées, dépendantes, brutalement laissées à elles-mêmes dans la solitude ?

 

Ces deux exemples sont emblématiques de mécanismes de peur primordiale réveillés par les directives actuelles. Il n'est plus possible d'aider un voisin à porter ses courses, de se pencher avec une connaissance sur un formulaire qu'elle ne comprend pas, de prendre un auto-stoppeur, etc. Toutes ces petites actions de soutien, de partage, avec des personnes connues, ou moins connues, sont nouvellement vues comme potentiellement dangereuses. Au lieu de générer un « merci », elles génèrent un refus, parfois violent. L'humain en tant qu'être social est refoulé, interdisant les gestes de solidarité et d'humanité.

 

Et refoulé, rejeté, pour quelle raison ? Parce qu'il pourrait représenter un danger – parce qu'il pourrait très éventuellement être porteur d'une maladie. Pour 1 personne malade, qui aurait une probabilité de transmetttre le virus lors d'un contact suffisamment rapproché et prolongé, 100'000 personnes sont refoulés, rejetées sans motif puisqu'elles ne sont pas porteuses du virus.

 

Refoulées, rejetées, là où le choix d'un principe de précaution pourrait impliquer une simple désinfection des mains. Ou un bref échange – sur le sentier de la Dent d'Oche, un « Merci » aurait été plus bref qu'un rejet et permis de continuer son chemin heureux – au lieu de susciter une sensation désagréable sans avoir réellement changer quelque chose à la situation.

 

Une question de proportionnalité des mesures se pose, se discute, dans les médias, sur les réseaux sociaux, par des acteurs politiques ou de la société civile, par exemple cette Commission d'enquête extraparlementaire européenne.

 

Mais au-delà des questions de proportionnalité, il y a un choix radical, un choix humain, un choix de société, que nous allons devoir faire : l'autre, le vis-à-vis, connu ou inconnu, est-il d'abord dangereux, coupable potentiel d'homicide par négligence comme le signifient les amendes distribuées pour non-respect de quarantaine ?

Ou d'abord un semblable, un humain comme moi, dont la rencontre pourrait apporter un plus d'humanité, de partage, d'échange, de solidarité? Comment est-ce que je rencontre autrui ? Comme menace ou comme enrichissement ? Et comment est-ce que j'agis dans la rencontre ? Je rejette ou j'accueille ? Je témoigne de peur ou de confiance ? D'agressivité ou d'amour ?

 

Ce ne sont rien de moins que ces fondamentaux qui sont en jeu, un choix radical, qui se déclinera dans des actions, dans des formes qui sauront s'adapter à la situation.

 

Qui est mon prochain ? A qui dois-je confiance, amour, solidarité ? Question bien connue, pharisienne, juridique : où sont les limites de mon exposition sociale? Cette peur qui surgit avec le virus du Corona n'est pas nouvelle, cette question visant à se protéger d'autrui potentiellement nuisible existe de tout temps. Elle mérite réponse, de tout temps.

 

Traditionnellement la réponse a été : le bon samaritain. Qui est-il, aujourd'hui ? Celui qui va s'arrêter pour t'aider. Il est impossible de prévoir qui cela pourra être. Un peu comme dans les rencontres amoureuses – impossible d'anticiper qui pourrait être la personne qui apportera le bonheur. Blanc, noir, jaune, sage ou déjanté, rencontré parmi vos amis ou dans le plus grand des hasards ?

 

Mon prochain, ce pourrait être cette personne qui me retient et m'évite la chute dans le vide sur le sentier de la Dent d'Oche, ce pourrait être ce passant qui contient une hémorragie grave en attendant l'ambulance, ce pourrait être cet inconnu qui prend le temps d'un café et ouvre une porte dans une situation de crise. Mon prochain, ce pourrait même être une personne atteinte sans le savoir du CoVid, qui néanmoins sauve une vie ou trouve les mots justes pour rassurer. Alors que choisir ? Le rejet par précaution, ou la rencontre par humanité ?

 

Ariane de Rham

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