Donner sa vie

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Donner sa vie

26 avril 2022

En ce temps des fêtes pascales, je constate que la mort de Jésus est souvent présentée comme un sacrifice. Jésus offrirait sa vie, comme on présente un sacrifice à Dieu, par amour pour ses disciples ou pour les humains. Un des textes qui sert d’appui ou d’illustration est celui du bon berger dans Jean 10,11-18, en particulier au v. 11 : « le bon berger donne sa vie pour ses moutons » (Bible en français courant), acte décrit comme le plus grand amour dans Jn 15,12-13.

La difficulté de cette lecture est que ni le vocabulaire utilisé ni le contexte n’invite à une telle interprétation. L’expression grecque utilisée vient du langage philosophique et exprime l’idéal de l’amitié. L’ami vrai est celui qui est prêt à risquer sa vie pour les siens ou pour sa cité afin d’assurer leur avenir. Le contexte de Jn 10 va dans le même sens. Le comportement du bon berger est opposé à celui du mercenaire qui, quand survient le loup, s’enfuit et abandonne ses brebis, Jn 10,12. Le but du berger n’est pas d’offrir sa vie à Dieu (qui serait alors symbolisé par le loup ?), comme dans un sacrifice, mais de s’opposer aux forces adverses, quitte à y laisser sa vie, pour assurer la survie de son troupeau. Jésus précise en plus que, s’il a le pouvoir de se dessaisir de sa vie, il a aussi celui de la reprendre, Jn 10,18. Dans une perspective sacrificielle, cette reprise n’a pas de sens. Personne n’offre un sacrifice pour le récupérer ensuite.

Le discours sur le bon berger vient éclairer le sens de la mort de Jésus et il est bien en lien avec l’amour mais son modèle n’est pas sacrificiel. Il recourt à l’idéal philosophique grec de l’amitié et à la figure du berger développée dans l’Ancien Testament, notamment dans Ez 34. La mort et la résurrection de Jésus révèlent la qualité de son amour pour les siens et des relations entre eux, son Père et lui. Jésus vit de l’amour de son Père et le met en œuvre jusqu’à engager son existence même pour la vie de ses disciples. Il le fait dans la confiance car il connaît son Père et compte sur son amour. En révélant l’amour qui vient du Père et en l’incarnant, Jésus ouvre l’accès à Dieu et offre aux siens de partager son intimité avec Dieu. Il assure la vie et la sécurité de ses brebis. Il offre aux humains une identité nouvelle dans son troupeau, c’est-à-dire parmi ses amis (Jn 15,14-15). Sa révélation de la grandeur de l’amour est aussi promesse et commandement pour une vie heureuse et féconde (Jn 15,9-16). Il est donc bien le bon berger, celui qui offre la vie en abondance et ouvre la porte de la communion avec Dieu (Jn 10,7-10).

La lecture sacrificielle de la figure du berger voile le sens du texte johannique et conduit à des contre-sens. L’évangile selon Jean connaît une interprétation sacrificielle de la mort de Jésus mais il l’exprime dans un autre langage, celui de l’agneau pascal qui enlève le péché du monde (Jn 1,29.36 ; 19,14.36). Le premier texte à interpréter la mort de Jésus à la fois comme sacrifice et acte d’amour est Ep 5,2 mais avec un vocabulaire différent. Pour les premiers auteurs chrétiens, le langage sacrificiel vient de leurs pratiques cultuelles et des textes de la Bible hébraïque. Ils y recourent parfois comme à des images pour tenter de donner sens à la mort de Jésus. Dans l’Ancien Testament et dans le culte juif du Temple, les sacrifices sont une composante rituelle importante, avec des types et des fonctions divers. Ils peuvent exprimer l’hommage à Dieu, la reconnaissance pour ses bénédictions, la joie de la communion avec lui, le désir de le voir demeurer dans sa maison, la recherche de sa faveur ou la reconnaissance d’une faute et la disposition à recevoir pardon ou réconciliation. Dans la tradition chrétienne ultérieure, la mort de Jésus va devenir le sacrifice par excellence et servir de clé pour lire beaucoup de textes du Nouveau testament. Des interprétations étrangères y seront introduites, comme l’idée que la victime sacrificielle devrait satisfaire l’exigence de justice de Dieu ou qu’elle se substituerait à la personne du sacrifiant. Lire les textes dans le respect de leur contexte d’origine demande de tenir compte des types de langages utilisés et de leur provenance. Il est alors possible d’éviter des contre-sens et de valoriser la diversité des interprétations[1].

 

[1] Pour l’exégèse de Jn 10,11-18 ; 15,12-17 voir les commentaires récents, en particulier Jean Zumstein, L’évangile selon saint Jean, Genève, Labor et Fides, vol. 1, 2014, vol. 2, 2007. Sur les fonctions et sens des sacrifices dans l’Ancien Testament, voir Guy Lasserre, Les sacrifices dans l’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2022.

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