Pourquoi la vaccination contre le covid est un devoir moral, aussi et surtout pour les chrétiens

Hippocrate et Galien, les fondateurs de la médecine occidentale (fresque du XIIIe siècle)
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Hippocrate et Galien, les fondateurs de la médecine occidentale (fresque du XIIIe siècle)

Pourquoi la vaccination contre le covid est un devoir moral, aussi et surtout pour les chrétiens

4 août 2021

L’éthique ne s’occupe pas de promulguer des règles ayant force de loi, c’est-à-dire des règles dont le respect peut être imposé à tous par le pouvoir étatique. Elle a pour tâche de déterminer ce qui est juste ou ce qui est bon. Dire que faire quelque chose (ou ne pas faire autre chose) constitue une obligation éthique ne signifie pas que celui qui enfreint cette obligation sera l’objet de sanctions. On peut ainsi convenir que ne pas mentir gratuitement ou afin de s’assurer un avantage personnel, aider un ami en difficulté ou veiller à modérer sa production de gaz à effet de serre constituent des obligations morales. Mais aucune d’entre elles ne fait l’objet d’une obligation légale. Celui qui y contrevient sera peut-être l’objet de l’opprobre public ; il ne risque aucune sanction légale. Le concept éthique de l’obligation diffère donc du concept juridique. Argumenter en faveur de la thèse affirmant que la vaccination contre le covid est un devoir moral n’implique donc nullement de plaider pour rendre cette vaccination légalement obligatoire. En décider est une question d’opportunité politique.

 

Cela posé (et il fallait le poser pour éviter que l’on interprète ma réflexion comme un appel à rendre légalement obligatoire le vaccin contre le covid), essayons de comprendre quels arguments plaident en faveur du caractère moralement obligatoire du vaccin contre le covid. Dans la discussion éthique actuelle, on distingue trois grandes approches : l’éthique déontologique (dont le principe fondamental est la notion de devoir), l’éthique utilitariste (dont le principe fondamental est la maximalisation du bonheur de tous) et l’éthique des vertus (dont le principe fondamental est l’idée d’une excellence nécessaire à la vie humaine). J’aimerais brièvement montrer pourquoi ces trois approches arrivent au même résultat : quiconque ne souffre pas d’une incompatibilité médicale a l’obligation morale de se faire vacciner contre le covid.

 

Le vaccin contre le covid est-il un devoir moral ?

 

Commençons par l’approche déontologique. À quelle(s) condition(s) une règle peut-elle prétendre constituer un devoir moral, c’est-à-dire une obligation s’imposant à toutes et à tous sans exception ? La réponse classique, formulée par Kant, est la suivante : s’il est possible de vouloir que cette règle devienne une loi universelle. Parmi les règles satisfaisant cette condition figure le devoir de ne pas nuire à autrui, que ce soit par une action ou une omission. Dans la mesure où le vaccin contre le covid diminue très fortement le risque qu’une personne vaccinée transmette le virus à des tiers, la vaccination contre le covid tombe sous cette exigence morale : se faire vacciner contre le covid est une action par laquelle j’évite de nuire à autrui, fût-ce involontairement. Se faire vacciner conte le covid semble donc constituer un devoir moral.

On objectera toutefois que cette argumentation contrevient à un autre principe de l’éthique déontologique, lui aussi formulé par Kant : il n’est jamais permis de considérer la personne humaine seulement comme un moyen ; elle doit toujours être considérée aussi comme une fin. On remarquera d’emblée que Kant est trop bon philosophe pour opposer de façon abstraite la personne comme fin en soi et la personne comme moyen. Ce que la loi morale exclut, c’est de réduire la personne à être seulement un moyen, et pas aussi une fin, c’est-à-dire à instrumentaliser la personne en vertu d’une fin qui lui reste totalement étrangère (comme dans le cas du mensonge égoïste, où la confiance d’un tiers est utilisée pour servir les intérêts du menteur). Dans le cas du vaccin contre le covid, on fait fréquemment valoir que la maladie ne représente aucun risque médical sérieux pour les enfants et, de façon plus générale, pour les personnes en bonne santé de moins de quarante ans, de sorte que prôner une obligation vaccinale s’imposant à elles reviendrait à les instrumentaliser : ils n’auraient personnellement aucun avantage à se faire vacciner et, s’ils le font, ce serait uniquement en faveur des tiers auxquels ils pourraient transmettre la maladie (tiers qui, pour des raisons médicales, ne peuvent pas être vaccinés ou ne développent pas suffisamment d’anticorps pour développer une immunité).

Cet argument peut-il emporter la conviction ? Non, sauf à défendre un individualisme tout à fait abstrait, ne tenant pas compte de l’inscription de chacun dans un réseau familial et social dont les liens définissent celui qu’il est. La personne considérée comme une fin, c’est la personne concrète, avec ses liens familiaux et sociaux. Même si quelqu’un peut estimer que le covid ne lui fait guère courir de risque médical, il ne peut faire abstraction des liens concrets dans lesquels il vit. Pour les personnes auxquelles il est lié, le covid peut représenter une menace plus sérieuse. Du coup, ne pas transmettre le covid à ces êtres chers devient une forme du souci de soi. On ne saurait prétendre que satisfaire à ce souci reviendrait à être instrumentalisé au seul profit d’autrui. Dès lors, il doit accepter d’être aussi un moyen, parce que c’est de cette façon seulement qu’il peut rester fidèle à celui qu’il est et aux fins qui constituent la personne concrète qu’il est.

D’un point de vue déontologique, se faire vacciner contre le covid constitue donc une obligation morale.

 

Le vaccin contre le covid sert-il le bonheur de tous ?

 

Qu’en est-il dans une perspective utilitariste ? Pour simplifier la discussion, je poserai ici que le bonheur se définit comme la maximalisation des préférences satisfaites. L’utilitarisme estime qu’est moralement obligatoire ce qui permet le mieux de satisfaire les préférences du plus grand nombre. Pour juger du poids à accorder à une préférence, l’utilitarisme accorde une grande importance aux critères objectifs (lorsqu’il en existe) : qui fonde ses préférences sur la crainte d’une invasion des martiens ne pourra prétendre les voir prises en compte au même titre que celui qui les fonde sur les craintes des effets des changements climatiques. D’un point de vue utilitariste, il s’agira donc de savoir si les préférences des adversaires au vaccin pèsent plus ou moins lourd dans la balance que les préférences des personnes favorables au vaccin.

De quelles préférences s’agit-il à chaque fois ? Dans le cas des personnes qui refusent de se faire vacciner, la préférence en jeu est l’intégrité corporelle : elles ne veulent pas se faire injecter une substance étrangère, quels que soient les motifs de ce refus. Dans l’état actuel des connaissances scientifiques, les risques d’effets secondaires graves (du moins avec les vaccins autorisés en Suisse) sont quasiment inexistants, malgré les centaines de millions de doses injectées ces derniers mois. On ne voit donc pas de quel mal sérieux les adversaires du vaccin entendent se protéger (un jour de légère fièvre ne pèse pas bien lourd dans la balance). Et on voit encore plus mal quel est le bien visé par ce refus : la méfiance face à la science et à la médecine aurait, à terme, des conséquences gravissimes pour la plupart d’entre nous.

Face à la préférence accordée à l’intégrité corporelle, quelle est la préférence des personnes favorables au vaccin ? Outre le désir d’éviter d’attraper le covid et de risquer de le transmettre à des tiers, leur préférence se porte sur la possibilité pour tous (pour eux et pour les autres) de profiter du droit au libre développement de la personnalité, avec ses corollaires en matière de vie sociale et culturelle, de formation, et d’activité économique. Ce sont en effet ces possibilités concrètes de donner forme à l’auto-détermination constitutive de la notion de personne que limitent les mesures étatiques prises pour lutter contre la pandémie.

Est-il possible de pondérer ces deux types de préférences ? Il me semble que oui. On relèvera d’abord que la préférence des personnes favorables à la vaccination n’est pas égoïste : elle ne porte pas sur un droit dont elles seules profiteraient, mais sur une situation dont, en principe, tous profitent, puisqu’elle permet à chacun de réaliser ses préférences personnelles (assister à un match ou aller à l’opéra). En revanche, la préférence des adversaires du vaccin porte sur un droit dont certes tous peuvent se prévaloir, mais dont l’exercice n’ouvre aucune autre possibilité, ni à soi ni aux autres. La préférence articulée par les personnes favorables au vaccin elle est la condition de possibilité qui permet à chacun de satisfaire ses préférences concrètes. Les adversaires du vaccin optent pour leur part pour une préférence qui, potentiellement, privera tous les autres de la possibilité de satisfaire leurs préférences concrètes, sans que les adversaires puissent faire valoir que cette privation est indispensable pour les mettre à l’abri d’un mal. Dans ces conditions, l’utilitariste ne peut conclure qu’à l’obligation morale de se faire vacciner contre le covid. La vaccination contre le covid est en effet le meilleur moyen pour permettre à chacun de satisfaire ses préférences, donc pour maximaliser le bonheur de tous.

 

Est-il vertueux de se faire vacciner contre le covid ?

 

L’éthique des vertus s’interroge sur les qualités requises pour mener une vie humaine digne de ce nom. Pour faire bref, on dira qu’une vie humaine se caractérise par au moins deux traits : une vie humaine est tissée de préférences fondées, pour partie au moins, sur des délibérations rationnelles ; cette rationalité pratique va de pair avec une dépendance plus ou moins marquée vis-à-vis des autres êtres humains, ainsi que de la nature dans son ensemble. L’être humain ne vit pas seul, il a un besoin vital des autres qui prennent soin de lui dans certaines phases de son existence (enfance, grand âge), et parfois durant toute sa vie (handicap) ; et il est dépendant de la nature qui constitue son environnement, le monde dans lequel il vit. L’être humain est donc, selon la formule du philosophe américain Alistair MacIntyre « un animal rationnel dépendant ». Il doit par conséquent développer les vertus requises pour mener une telle vie. Ce sont essentiellement les vertus pratiques qui lui permettent de prendre soin des autres et d’accepter que d’autres prennent soin de lui, et les vertus théoriques dont il a besoin pour délibérer afin de déterminer rationnellement ses préférences.

Quelles conséquences cela a-t-il pour la question du vaccin contre le covid ? En tant qu’être dépendant dont dépendent d’autres êtres dépendants (en particulier les personnes malades ou âgées), l’être humain doit se demander comment il peut prendre soin d’eux en leur faisant courir le minimum de risques et faire intervenir le résultat de ces délibérations dans la formation de ses préférences. Concrètement, la vertu de prudence l’amènera à opter pour le vaccin afin de ne pas mettre en danger la vie des personnes dépendantes dont il a à prendre soin. En tant qu’être rationnel, il s’efforcera de développer ses préférences fondamentales sur la base de délibérations rationnelles. C’est ici de la vertu de sagesse qu’il s’agit. Une délibération rationnelle le portera à développer des préférences compatibles avec une reconnaissance réciproque des préférences concrètes des uns et des autres et à rejeter des préférences dont la conséquence prévisible est de limiter les préférences disponibles pour les autres. Le refus de la vaccination est un exemple typique d’une préférence incompatible avec la vertu de sagesse parce qu’elle menace indirectement la possibilité pour les autres de satisfaire les préférences qu’ils ont développées sur la base d’une délibération rationnelle. Les vertus de prudence et de sagesse commandent donc de se faire vacciner contre le covid. Il est par conséquent vertueux de se faire vacciner contre le covid.

 

Ces vertus philosophiques peuvent sans peine être reformulées dans un cadre théologique. Ainsi la seconde épître à Timothée souligne que « Dieu ne nous a pas donné un esprit de peur, mais un esprit de force, d’amour et de sagesse » (Ti 1,7). Les vertus philosophiques sont aussi des vertus chrétiennes ! Dès lors, il serait de la tâche des Églises de rappeler que chacun est responsable de faire preuve d’amour et de sagesse dans son comportement et que ces vertus chrétiennes impliquent que chacun doit se faire vacciner contre le covid s’il en a la possibilité. Le silence des Églises sur cette question est incompréhensible et injustifiable.

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