Un œcuménisme du cœur

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Un œcuménisme du cœur

22 octobre 2022

Qu’est-ce que je retiens, plus d’un mois après cet événement remarquable qui a rassemblé plus de 4000 chrétiens au palais des congrès de Karlsruhe, du 31 août au 8 septembre, pour la onzième Assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises (COE).

Trois mots me viennent à l’esprit : amour, unité et pèlerinage. Dans cet article, je réfléchis sur le premier.

Certainement le thème « l’amour du Christ mène le monde à la réconciliation et à l’unité » est original, quand on le place dans l’histoire de ces assemblées.

C’est au comité central du COE de 2018 (lors de la visite du pape François au COE) qu’Olav Tveit, alors secrétaire général, avait proposé ce thème, à partir de la réflexion de Paul sur la réconciliation : « l'amour de Christ nous étreint » (II Cor. 5,14-15).  « L’amour du Christ », si central dans la foi chrétienne n’avait en fait jamais été thématisé dans le COE. Certains avaient des doutes sur la pertinence d’un tel thème. D’autres s’en réjouissaient au contraire.

Après les thèmes centrés sur Dieu des trois dernières assemblées – influence de l’ouverture au dialogue interreligieux - il se focalise sur le cœur de la foi : le Christ ressuscité qui nous aime et nous appelle à être artisans de réconciliation et d’unité. Le temps est maintenant venu de « rendre compte de l’espérance qui est en nous » (1 Pierre 3,15) : si nous voulons rencontrer tous sans exclusions, c’est parce que le Christ est mort et ressuscité pour tous.[1]

Fonder la recherche de l’unité dans l’amour trinitaire révélé dans la mort et la résurrection du Christ donne un fondement solide à l’œcuménisme. Mais le langage de l’amour sera-t-il compris dans un contexte sécularisé ? Jerry Pillay, le nouveau secrétaire général élu, avait alors estimé (en 2018) qu’il renouvellerait l’engagement pour l’unité. Pour travailler à l’unité de l’humanité, il faut commencer par la maison de Dieu.

Le pape François a d’ailleurs demandé dans son message à l'Assemblée : « comment pouvons-nous proclamer de manière crédible l’Évangile de la réconciliation sans nous engager également, en tant que chrétiens, à promouvoir la réconciliation entre nous ?...La réconciliation entre les chrétiens constitue la condition fondamentale d’une mission crédible de l’Église. L’œcuménisme et la mission vont de pair et sont interdépendants.»

Tveit discerne l’influence de la « spiritualité de communion » dans le choix de ce thème qui met l’accent sur l’importance des relations.[2] Ce thème a inspiré à Agnès Abouom, la présidente du COE, l’expression « œcuménisme du cœur ». Voici ce qu’elle écrit dans son rapport présidentiel : « Les Églises devront s’efforcer de surmonter leurs divisions en s’appuyant sur un « œcuménisme du cœur », c’est-à-dire un œcuménisme qui regarde d’abord les autres Églises à la lumière de la communion autour de l’amour de Jésus compatissant, à la lumière de notre engagement commun au service du royaume de Dieu. Et c’est seulement sur les bases solides de cette unité en Christ que nous examinerons ce qui les sépare en matière de foi, de ministère ordonné ou d’éthique » (§5).

Lors de la conférence de presse initiale, l’évêque Mary Ann Swenson, de l’Eglise méthodiste unie des USA, vice-présidente du COE, lui fait écho : «J’espère que cette assemblée nous permettra d’être plus parfaits dans l’amour. Nous voulons y vivre un oecuménisme du cœur. Que les gens puissent dire comme des premiers chrétiens « regardez comme ils s’aiment » ! »   

Quant à Ioan Sauca, le secrétaire général par intérim du COE, il affirme dans son rapport que cet œcuménisme du cœur se traduit dans une respectueuse attitude d’accueil et de dialogue : « Les disciples du Christ que nous sommes ont reçu le ministère de la réconciliation... Il serait très facile d’utiliser le langage des politiques, mais nous avons pour vocation d’utiliser le langage de la foi, de notre foi. Il est facile d’exclure, d’excommunier et de diaboliser, mais nous avons pour vocation, au COE, de proposer une plateforme libre et sûre pour nous rencontrer et dialoguer, de nous réunir pour nous écouter mutuellement, même quand nous sommes en désaccord » (§53).  C’est ainsi qu’il a répondu aux demandes d'expulsion de l'Église orthodoxe russe de la communauté du COE.

Le nouveau président du comité central du COE, l'évêque luthérien Heinrich Bedford-Strohm, prêchant sur les paroles de saint Jean « Dieu est amour, celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui » (I Jean 4,16) a demandé : « Serons-nous les témoins de ce bel amour éternellement fidèle dans ce monde blessé » ?

Cet « oecuménisme du cœur », était le fil rouge de cette assemblée. Elle a voulu affirmer que la recherche de l'unité chrétienne s’enracine dans l’amour du Christ. Il me semble que cela a été un peu vécu durant cette semaine bénie avec des frères et sœurs venus de toutes les Églises et des cinq continents !

L’amour est au centre du beau message final adopté par l’assemblée, dont voici les dernières lignes : « Son amour qui est ouvert à tout le monde, y compris celles et ceux qui font partie des « derniers », des « plus petits » et des « égarés » (en anglais : « the last, the least, and the lost »)... peut nous mener vers un pèlerinage de justice, de réconciliation et d’unité et nous donner des moyens d’agir à travers lui ».

Le défi est de travailler ensemble, frères et sœurs, malgré nos différences, pour témoigner du Christ ensemble. Comme derrière les divisions, il y a souvent des manques d’amour, seul l’Esprit saint a la force de guérir et de réunir. C’est un appel à prendre au sérieux le « Commandement nouveau » du Christ, à le vivre entre chrétiens et à l’élargir à tous. 

C'est précisément cet amour qui nous pousse à devenir des pèlerins de réconciliation et d’unité, comme l’apôtre des nations l’annonçait avec force : « C’est au nom du Christ que nous sommes en ambassade, et par nous, c’est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous en supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu » (1 Cor 5,20).

 

[1] Les thèmes des assemblées précédentes étaient :  Harare 1998 : « Tournons-nous vers Dieu, dans la joie de l’espérance ». Porto Alegre 2006 : « Dieu, dans ta grâce, transforme le monde ». Busan - Corée 2013 : « Dieu de la vie, conduis-nous vers la justice et la paix. »

[2] Il est intéressant de noter qu’O. Tveit a écrit dans l'épilogue du livre de Chiara Lubich, My ecumenical journey (New City 2020, p. 127) : « Il se pourrait bien que ce soit sous l'influence de Chiara (Lubich) et de son charisme pour l'unité chrétienne que le COE ait été inspiré de choisir ce thème de la 11e assemblée... ».

Sur l'assemblée de Karlsruhe, autre articles de ma plume :

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