S’attendre à ce que nous ne voyons pas venir

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S’attendre à ce que nous ne voyons pas venir

4 avril 2023

À nouveau cette séquence : temps de la Passion – Vendredi saint – Pâques. En tant que chrétiennes et chrétiens, nous sommes chaque année confrontés au défi de nous plonger dans ce drame. Certains préfèrent sauter Vendredi saint. La mort de Jésus n'est alors qu'un point de départ pour la joie et le triomphe de la fête de Pâques. Pour eux, Pâques suit la trame d’un Disney : la tragédie du Vendredi saint n'est qu'un prélude à la réjouissance et à l'harmonie dans lesquelles l'histoire se termine. On peut savourer l'agneau pascal sans avoir jeûné. Nous préférerions que Pâques se déroule sans Vendredi saint.

Dans les bonnes années et les périodes heureuses, cela peut paraître possible.  Mais cette année, Vendredi saint est trop présent pour que nous puissions faire l'impasse dessus. Personne ne peut occulter la guerre en Ukraine, ne serait-ce que parce que ce sont nos voisins qui sont en quête de protection : il n'y a pas de justice en vue. Depuis plus d'un an déjà. La mort, les viols et les profanations, la torture et le mépris de l'être humain ont mis la main sur la vie, et ce à quelques heures de voiture de chez nous. Peut-il y avoir une issue heureuse ? Dieu ressuscitera-t-il les jeunes soldats tués ? Séchera-t-il les larmes de leurs parents ? Dans les cieux, reconstruira-t-il les maisons criblées de balles ? Va-t-il demander des comptes aux meurtriers et aux violeurs ? Et comment ? Au lieu de nous tenir devant une tombe vide, nous entendons parler de fosses communes dans lesquelles les occupants russes ont enterré des civils. Nous ne voyons pas une ancienne prophétie s'accomplir, mais nous nous sentons impuissants et renvoyés à une époque que nous pensions révolue depuis longtemps. Celui ou celle qui est sincère, qui ne veut pas noyer ses sentiments dans du kitsch religieux, celui ou celle qui reste fidèle à la terre et à ses habitants, celle-là ne peut pas se joindre à la liesse pascale sans avoir mauvaise conscience. Et il n'y a pas que la guerre, il y a aussi tous les autres Vendredis saints : le deuil d’un être cher qui n’arrive pas à prendre fin. Un cancer, où les personnes doivent porter leur désespoir d'une chimiothérapie à l'autre. On ne sait pas ce que sera Pâques. Un Vendredi saint sans Pâques.

C'est comme si nous nous réveillions encore et toujours à Samedi saint : Pâques ne veut pas avoir lieu. Dieu reste absent. Mort, comme s'il n'avait jamais existé. Vendredi saint sans Pâques – éternel Samedi saint.

Mais il est peut-être bon de s'arrêter un instant sur le Samedi saint : comme nous le confessons dans le Symbole des Apôtres, lors du Samedi saint Christ est descendu dans le royaume de la mort. Ce lieu, dans lequel on se sent abandonné de Dieu, a été comblé par sa présence. Alors que personne ne le voyait, alors que le royaume de Dieu ne semblait plus être qu’une utopie, il s'est couché avec les morts et est ainsi venu rejoindre toutes celles et ceux qui ressentent la mort éternelle, dans les ténèbres éternelles. Et c'est précisément en cela qu'il a retiré l'épine de la mort, car nous espérons depuis lors que même la mort ne nous séparera pas de la sollicitude aimante de Dieu. Le Samedi saint tient les deux ensemble. La mort, l'abandon de Dieu et la transformation en une vie nouvelle. Tout cela est arrivé le Samedi saint. On ne peut le voir qu'à partir de Pâques.

Vendredi saint et Pâques ne sont pas seulement des dates de fêtes dans le calendrier. Ils sont une réalité qui traverse nos vies. Simultanément. Cela nous rappelle que nous ne sommes jamais totalement prisonniers du monde et de sa souffrance, ni de nos limites et de notre impuissance.

Je suis impressionnée par toutes ces personnes qui parviennent à exprimer dans leur vie cette simultanéité de Vendredi saint et de Pâques, témoignant ainsi de la foi pascale et la traduisant en vie. Il y a par exemple ces artistes ukrainiens qui peignent des icônes sur des caisses à munitions, répandant ainsi courage et espoir parmi les victimes de la guerre. Il y a ces chrétiens syriens qui, dans la misère de la guerre et du tremblement de terre, ouvrent leurs églises aux personnes et partagent le peu qu'ils ont afin que tous puissent survivre ensemble. Ils perpétuent ainsi leur espérance. Et je me souviens des personnes mourantes que j'ai pu accompagner et avec lesquelles j'ai fait l'expérience que c'est précisément maintenant que nous sommes portés par Dieu.

Vendredi saint et Pâques n’offrent pas d'explication. Ils ne justifient pas la souffrance. Mais par leur simultanéité, ils sont une fenêtre pour nous, les humains. La guerre, les villes touchées par le tremblement de terre ou la maladie n'ont pas disparu, mais la force de Pâques y rayonne malgré tout. En croyant qu'à côté du Vendredi saint, il y a toujours Pâques, nous reconnaissons que Christ est avec nous. Au milieu de la souffrance, de la tristesse, de l'incertitude. Et avec lui, nous attendons ce que nous n'avons tous pas vu venir.

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