L’accident est ce que l'art connaît de plus réel

Broadway Looking Towards, peinture de Richard Estes, 2001, musée d'Antioquia, Medellin. / © Alamy
i
Broadway Looking Towards, peinture de Richard Estes, 2001, musée d'Antioquia, Medellin.
© Alamy

L’accident est ce que l'art connaît de plus réel

Création
Les peintres ont longuement recherché une représentation parfaite de la réalité. L’arrivée de la photographie les a amenés à repenser le sens de leur pratique.

«Dans le domaine de l’art, je ne sais pas ce qu’est la perfection. Ce qui est évident, c’est qu’aujourd’hui, les artistes ne la recherchent pas», assène David Lemaire, directeur du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds. Les arts figuratifs ont peut-être longtemps recherché la perfection mimétique.

Une quête inaccessible

«La quête de l’œuvre parfaite est un thème qui a été traité par différents auteurs, mais en général, cela se finit mal», constate David Lemaire, évoquant Balzac et Zola. En effet, Balzac dans sa nouvelle, «le chef d’œuvre inconnu» présente un artiste qui, lorsqu’il pense avoir atteint la perfection, est incompris et met le feu à toutes ses toiles, alors que dans «L’Œuvre» de Zola, un peintre se donne la mort pour un tableau qu’il ne parviendra pas à terminer. C’est l’avènement de la photographie qui va profondément changer le sens de la démarche picturale. «A partir du moment où c’est la lumière elle-même qui produit l’image, qui peut rivaliser?», interroge l’historien de l’art. «La photographie, c’est le pinceau de la nature, ou le pinceau de Dieu, ce qui est peut-être la même chose. Dès ce moment, les artistes vont vouloir exprimer une vérité que la simple représentation de la réalité ne dit pas», explique David Lemaire. L’idée sera donc de faire passer des messages, de faire naître des émotions au-delà de la représentation elle-même.

«L’art n’est qu’un moyen, un langage qui sert la quête d’une rencontre»

«Je pense par exemple à des artistes tels que le plasticien Donald Judd, son œuvre est une recherche minimaliste de formes parfaites.» Il produira ainsi des volumes composés des formes de base simples jouant sur les répétitions et les couleurs. «Il était fasciné par l’industrie automobile. Il voyait une forme de perfection dans le fini industriel.» A la même époque, la peinture américaine est marquée par l’hyperréalisme. «Avec des artistes tels tels que Ralph Goings ou Richard Estes, on s’approche à nouveau d’une œuvre mimétique, mais très souvent, c’est pour insister sur la vacuité de la société de consommation.»

Une communication parfaite

En fait, l’art ne vise plus alors la représentation parfaite, mais une transmission. «L’art n’est qu’un moyen, un langage qui sert la quête d’une rencontre. Et quand on y pense, cela a toujours été le cas, il faut avoir conscience que notre regard est formé par les découvertes de la Renaissance sur les perspectives linéaires», souligne David Lemaire. «L’artiste fait donc une proposition et le visiteur ou la visiteuse doit faire une partie du chemin et s’approprier l’œuvre. S’il y a une recherche de perfection, c’est dans cette quête de toucher.»

Et à ce titre-là, c’est l’accident qui permet de toucher au plus près du réel. «Je pense à cette anecdote que l’on attribue à Eugène Delacroix pour qui l’accident faisait partie de l’œuvre. Ne parvenant pas à peindre de l’écume telle qu’il l’aurait souhaitée, il aurait, de rage, jeté son éponge sur son oeuvre, ce qui aurait produit exactement le résultat espéré. L’accident peut être fructueux, mais surtout l’accident est réel, il fait percevoir quelque chose de l’ordre de la fragilité humaine. Pensez aux sculptures en crin de cheval de Pierrette Bloch. Elles incarnent une certaine fragilité tout en projetant des univers.» Des imperfections qui ouvrent ainsi un langage bien plus riche.