Les Eglises réformées seraient-elles (encore) misogynes?

La prochaine Conférence Femmes et Genre de l'EERS se tiendra le 1er juin autour de "l'épuisement des femmes" et "leur contexte structurel". / IStock
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La prochaine Conférence Femmes et Genre de l'EERS se tiendra le 1er juin autour de "l'épuisement des femmes" et "leur contexte structurel".
IStock

Les Eglises réformées seraient-elles (encore) misogynes?

«Poussées à bout de forces», les femmes seraient victimes d’un «système misogyne» au sein des Eglises réformées, qui leur demanderait d’en faire toujours plus que les hommes. Une journée de réflexion sur ce thème aura lieu le 1er juin à Berne.

«Quand on est une femme dans l’Eglise, il faut assez souvent faire le double qu’un homme», regrette Marie-Claude Ischer, actuelle présidente de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV). «De plus, je suis une femme laïque: cela fait aussi pour certains une différence.»

Alors qu’elle a annoncé sa démission en décembre dernier pour raisons de santé et de gouvernance trop tendue, Marie-Claude Ischer interviendra le 1er juin prochain, à Berne, lors d’une journée de réflexion consacrée à l’épuisement des femmes, et plus particulièrement en Eglise.

Selon la Conférence Femmes et Genre de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS), organisatrice de l’événement, il existerait en effet des «causes systémiques» à l’épuisement des femmes, que l’on retrouverait également dans les milieux ecclésiaux réformés, pourtant réputés progressistes. Ainsi, l’Eglise ferait encore partie «de ce système misogyne» et pousserait également les femmes «à bout de forces». 

Au travail et dans le foyer

Ce rendez-vous annuel s’appuiera sur les travaux et un exposé de Franziska Schutzbach. Selon cette sociologue allemande en poste à l’Université de Bâle, qui vient de publier un ouvrage sur la question, on demanderait en effet aux femmes une constante disponibilité, notamment sur le plan émotionnel. Ces dernières seraient donc victimes d’un modèle de société où les valeurs de bienveillance et de soin, peu valorisées par le capital, leur seraient encore réservées. 

«Un des exemples frappants de cette surcharge subie par les femmes est notamment le travail social qu’implique la charge pastorale: une femme s’investira plus facilement dans un suivi personnel avec certains fidèles», relève Miriam Neubert, qui interviendra à Berne le 1er juin. Selon cette chargée du développement du personnel pastoral des Eglises réformées Berne-Jura-Soleure (BEJUSO), on en demanderait «toujours un peu plus aux femmes», sans que celles-ci ni leur entourage professionnel ne s’en rendent toujours compte. 

Même constat du côté de la théologienne et historienne genevoise Lauriane Savoy, auteure de Pionnières. Comment les femmes sont devenues pasteures. «Les femmes prennent souvent la responsabilité de l’harmonie du milieu dans lequel elles sont actives, ce qui les pousserait notamment à se montrer plus exigeantes envers elles-mêmes que les hommes», explique-t-elle. 

La sociologue Franziska Schutzbach pointe également le fait que les femmes demeurent «responsables de l’attention émotionnelle» de leur entourage et dévolues à «des activités qui sont invisibles et ne reçoivent pratiquement aucune reconnaissance ou rémunération».  Et Miriam Neubert de rappeler que «dans la sphère privée également, les femmes restent toujours plus sollicitées que les hommes, portant bien souvent une lourde charge mentale, notamment dans la prise en charge de proches».

Une femme quand ça va mal

Cela expliquerait-il, de fait, les récentes démissions de plusieurs femmes au sein des exécutifs des Eglises réformées, dont les présidentes vaudoise et genevoise? Lauriane Savoy se refuse de tirer des conclusions, mais répond qu’il est fréquent de voir certaines femmes «renoncer à leur charge quand les conditions leur permettant de faire un travail de qualité ne sont pas réunies». Pour Marie-Claude Ischer, «cela s’est d’ailleurs vérifié récemment dans la politique internationale, avec la démission de la première ministre britannique Liz Truss». 

«Souvent, quand une institution ou une entreprise est en crise, c’est une femme que l’on met à sa tête», remarque Eva Di Fortunato. Cette sociologue de formation, qui vient de démissionner de la présidence de l’Eglise protestante de Genève (EPG) «pour de toutes autres raisons», quitte en effet une Eglise en grandes difficultés financières et en mal de fidèles. Dans son ouvrage, Lauriane Savoy avait d’ailleurs soulevé ce phénomène appelé «falaise de verre».

«Les femmes ont tendance à voir dans une situation problématique l’occasion de relever un challenge», explique Marie-Claude Ischer. Toutefois, selon cette dernière, le fait que des «femmes accèdent de plus en plus à des postes de pouvoir, jusqu’alors réservé aux hommes», n’empêche pas la conservation d’«une certaine misogynie». La Vaudoise confie avoir noté chez certains, lors des Synodes (assemblées législatives), une différence de comportement à l’égard des femmes de l’Exécutif. «Pour certaines fonctions dirigeantes, les femmes ne sont pas encore considérées comme étant complètement compétentes», souligne-t-elle, en précisant que ces éléments figuraient dans sa lettre de démission. 

Un positionnement victimaire?

«Je suis surprise que ce thème ne soit abordé que par des femmes», avoue Rita Famos, présidente de l’EERS, où il n’existerait «pas de discrimination systématique envers les femmes». Pour cette ancienne responsable de la formation des pasteurs pour l’Eglise réformée zurichoise, «l’épuisement est un sujet qui concerne tous les genres et, effectivement, les pasteurs sont de plus en plus confrontés au burn-out».

Même son de cloche du côté d’Isabelle Ott-Baechler, ancienne présidente de l’Eglise réformée évangélique du canton de Neuchâtel (EREN), qui témoigne, à titre personnel, «n’avoir été que très peu confrontée à la misogynie en Eglise». Elle tient d’ailleurs à relever que «l’EREN octroie  depuis plusieurs décennies le même salaire à ses ministres. Et si l’on trouve des personnes machistes dans les Eglises réformées, elles sont plutôt moins nombreuses que dans la société.»

Isabelle Ott-Baechler estime en outre que «ce genre de réflexion, dans une Eglise où les femmes votent depuis 1910, est contre-productif». «Il serait plus judicieux que les femmes et les hommes discutent ensemble des chances et des risques liés aux sollicitations multiples», formule également la présidente des réformés. «Sinon, nous ne faisons que renforcer les clichés éculés et les stéréotypes de genres.»

Une opinion encore partagée par une autre femme occupant un fonction dirigeante au sein d’une Eglise réformée romande: «Impossible pour moi d’adhérer à un tel présupposé victimaire», déclare-t-elle. Préférant rester anonyme, elle justifie ce choix en avançant qu’à propos de ces questions, «nager à contre-courant demeure trop fatiguant». 

 

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