L’inclusivité, une pratique ancienne

L’inclusivité, une pratique ancienne / ©iStock
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L’inclusivité, une pratique ancienne
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L’inclusivité, une pratique ancienne

Analyse
Sur les plans historique, théologique, ecclésiologique, «être inclusif» pose la question des limites de l’Eglise. Une interrogation au coeur même de l’identité chrétienne.

L’inclusivité divise. Au sein du protestantisme, ce concept théologique a pourtant été forgé pour réduire les exclusions vécues par certains groupes sociaux. Donc pour réunir. C’est d’ailleurs le mantra du christianisme: le message biblique s’adresse à chaque groupe et personne, quelle que soit sa catégorie sociale, d’âge, etc. Voilà pour la théorie. Mais c’est dans la pratique que naissent les divergences. Prenons le protestantisme romand. Au XIXe siècle, dans un contexte de sécularisme grandissant, ses Eglises s’ouvrent à toutes et tous: il est possible de les fréquenter sans condition aucune. Une option qui s’oppose par exemple à l’évangélisme, «présent dès les années 1820 en Suisse romande, et pour qui le chrétien doit être un professant, adhérant explicitement à une profession de foi», précise Bernard Reymond, professeur honoraire de théologie pratique à la Faculté de théologie de Lausanne.

La position multitudiniste des réformés «est parfois discutée, mais jamais remise en question. Elle est partagée par la plupart des grandes Eglises suisses. Elle signifie qu’aucune confession de foi ne s’applique au pasteur et aux fidèles», explique Sarah Scholl, historienne du christianisme et professeure associée à la faculté de théologie protestante de l’Université de Genève. Concrètement, les Eglises protestantes, qu’elles soient séparées de l’Etat (comme l’Eglise de Genève dès 1907) ou Eglises cantonales (Landeskirche), «agissent comme des Eglises d’Etat qui ont pour vocation de couvrir un territoire et d’y offrir un service public du religieux», explique Sarah Scholl. Elles offrent baptêmes, mariages et enterrements sans condition, leur vocation étant d’accueillir le plus grand nombre.

Difficile d’être avant-gardiste

La conséquence? Difficile pour ces institutions d’être «prophétiques» sur le plan théologique, c’est-à-dire avant-gardistes sur les questions sociétales. «Historiquement, ces Eglises suisses sont profondément attachées au fait d’être des espaces de diversité. Ce qui leur fait manquer des trains. Certaines Eglises cantonales n’ont par exemple pas voulu prendre de position sur l’apartheid, pour ne pas s’aliéner une partie des fidèles, alors que d’autres organismes chrétiens l’avaient fait. A l’inverse, dans une même Eglise romande, on peut trouver un courant évangélique et une antenne inclusive pour les droits LGBTQI+, un groupe de chrétiens de gauche et des pro-UDC», résume la chercheuse.

Paroisses thématiques

De fait, des groupes d’intérêt ecclésiaux et des paroisses avec certaines colorations politiques et théologiques existaient déjà il y a une centaine d’années. «Le romancier Louis Dumur raconte de manière hilarante comment, à Genève, les paroissiens choisissaient quel sermon écouter à partir de la liste des prédicateurs publiée dans la presse, en sachant parfaitement lesquels étaient évangéliques, libéraux, etc.» décrit Sarah Scholl.

Si ces Eglises sont ouvertes à toutes et tous, une limite existe cependant: la prise de décision. «En principe, sont membres d’une assemblée de paroisse et peuvent y voter celles et ceux qui souscrivent à ses principes», pointe Bernard Reymond. Or, ce système a priori démocratique est souvent aussi marqué par les pouvoirs locaux, les habitudes, les alliances historiques. Alors, «comment faire place à des opinions minoritaires?», pointe la théologienne Elisabeth Parmentier: «Quid des personnes qui ne se sentent pas autorisées à prendre la parole? Qui souhaitent introduire de la nuance? Qui ne se retrouvent pas dans toutes les options – y compris inclusives – prises par une communauté?» C’est dans ces interstices très concrets et terre à terre que se joue l’inclusivité, tout autant que dans les grandes déclarations d’intention.