A Antakya, une messe dans les décombres

Le 6 février au matin, une messe commémorative a eu lieu à l'endroit où la rum ortodox kilisesi (église orthodoxe grecque) était construite et a été détruite pendant le séisme, à Antakya, en Turquie. / © Cerise Sudry-Le Dû
i
Le 6 février au matin, une messe commémorative a eu lieu à l'endroit où la rum ortodox kilisesi (église orthodoxe grecque) était construite et a été détruite pendant le séisme, à Antakya, en Turquie.
© Cerise Sudry-Le Dû

A Antakya, une messe dans les décombres

Mathilde Warda
20 février 2024
Décombres
Deux séismes ont détruit le sud-est de la Turquie le 6 février 2023. Dans la ville d’Antakya, l’antique Antioche, berceau du christianisme, la communauté chrétienne orthodoxe continue tant bien que mal de résister.

De l’église Saint-Paul, il ne reste qu’une façade, le reste s’est effondré. Deux barnums sont installés au milieu des débris pour célébrer la messe. Derrière, au milieu des gravats, Lora Suadeoğlu coupe des bouts de dragonniers qui continuent de pousser. Elle manque de tomber à plusieurs reprises. «Ce sont les plantes de notre église. J’ai travaillé ici et j’en ai pris soin comme la prunelle de mes yeux. Quand j’ai vu qu’elles étaient encore vertes, je me suis dit que j’allais les prendre et les planter chez moi pour les revitaliser», explique-t-elle. Après avoir travaillé pendant 28 ans dans cette église, «je ressens un grand vide, se désole-t-elle, l’endroit que je chérissais tant a disparu».

Office en trois langues

Le 6 février 2023, deux séismes de magnitude supérieure à 7 ont ravagé la région, tuant selon le bilan officiel 53'537 personnes. La ville d’Antakya a été l’une des plus détruites. De nombreux bâtiments historiques de cette cité millénaire sont en ruine, à l’image de l’église grecque orthodoxe d’Antakya, dans la province d’Hatay au sud-est du pays. Elle fut le siège du patriarcat d’Antioche et a été reconstruite après un séisme destructeur en 1872.

De nombreux croyants s’effondrent en pleurs devant ce qu’il reste de l’église. Sous l’un des barnums, une affiche présente les photos des membres de l’Eglise tués par le séisme. D’une enceinte posée sur les décombres, le son d’une cloche annonce le début du service. Environ 150 croyants sont venus assister à cet office, les plus âgés assis sur des chaises, les autres debout à côté. Une femme en contre-haut sur une butte de débris sanglote toute la durée de la célébration. L’office religieux organisé pour le premier anniversaire du séisme se tient en arabe, turc et grec ancien. Certains diffusent en direct la messe à leurs proches depuis leur portable.

Vingt familles

Antakya est un haut lieu du christianisme et compte cinq patriarcats (de différentes juridictions orthodoxes et catholiques, voir encadré). L’église voisine Saint-Pierre, creusée dans la roche, épargnée par le séisme, et aujourd’hui devenue un musée, serait la première église chrétienne de l’histoire, fondée par l’apôtre Pierre, selon la tradition chrétienne. «Antakya est le centre de la civilisation, de notre histoire et de notre héritage», souligne Mişel Orduluoğlu, un jeune croyant. Il participe au collectif «Nehna» («nous», en arabe), qui a pour but de mettre en valeur la culture des chrétiens orthodoxes arabophones de la région. «La communauté d’Antakya ne compte actuellement que vingt familles», calcule Fadi Hurigil, qui préside la fondation de l’église, contre normalement mille personnes. Les membres sont désormais dispersés. Quarante et un sont morts pendant le séisme et, depuis, de nombreuses personnes ont quitté la ville et parfois la région. Lui-même habite dans une autre ville, sur la côte, où il y a de meilleures conditions et un meilleur accès à l’éducation pour ses enfants. La reconstruction prendra du temps, «au moins quatre ou cinq ans», estime-t-il.

L’église est administrée par une fondation indépendante, mais, comme toutes les fondations dans le pays, elle est enregistrée auprès de l’Etat. Celui-ci peut décider d’aider à la restauration ou la protection des lieux enregistrés. «Nous allons demander à l’Etat s’il peut contribuer. S’il ne peut pas, nous essayerons de faire au mieux avec notre fondation», explique-t-il. Malgré les conditions de vie difficiles, les habitants s’accrochent à leur ville et à leur foi et les célébrations continuent d’avoir lieu normalement dans les villes voisines, à Iskenderun ou Samandağ. A la fin du service, où les noms des membres de la communauté tués par le séisme sont égrainés, les croyants sont invités à se rendre au cimetière chrétien pour une prière commémorative. Les ruines de l’église se vide au compte-gouttes, alors que les participants passent du temps à se réconforter les uns les autres.

Depuis 1964, Antioche compte cinq patriarcats chrétiens: l’Église grecque-orthodoxe d’Antioche, l’Église syrienne orthodoxe, l’Église grecque-catholique melkite, l’Église catholique syrienne, l’Église maronite. Ces Eglises sont issues d’une division de l’Eglise d’Antioche entre sa branche occidentale et sa branche orientale. Depuis que la Turquie est musulmane, le siège effectif de ces patriarcats a été transféré pour certains en Syrie pour d’autres au Liban.