Réensauvager… ou mieux cohabiter?

Réensauvager… ou mieux cohabiter? / ©iStock/proxyminder
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Réensauvager… ou mieux cohabiter?
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Réensauvager… ou mieux cohabiter?

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Face à la chute massive et toujours plus rapide de la biodiversité, de nombreuses initiatives pour la conserver se développent. Si l’humain est un problème pour la nature, il est aussi une solution.

60'000 km2 , c’est la surface qui a été ajoutée aux 138'000 km2 déjà existants de la réserve marine des îles Galapagos (Pacifique) par le président équatorien. En France, le botaniste Francis Hallé porte le projet de recréation d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest, allant de l’Allemagne à l’Italie, en passant par la Suisse. En Russie, Sergueï Zimov, scientifique spécialiste du pergélisol, développe avec son fils Nikita une réserve pour permettre le retour d’une mégafaune dans la toundra, dans le but d’éviter le dégel du permafrost. Et ce, sans cacher son rêve: cloner des mammouths.

Toutes ces initiatives participent au mouvement de rewilding: il s’agit, selon le Cambridge Dictionary, de «protéger un environnement et de retrouver son fonctionnement naturel, par exemple en permettant le retour des espèces animales sauvages qui y vivaient autrefois». Un terme qui couvre une série de pratiques: renaturation, conservation, restauration… Toutes englobées dans la notion française de «réensauvagement», non encore définie dans un dictionnaire.

Relier les êtres vivants

Si le réensauvagement a pour but de permettre à des espaces naturels de retrouver leur fonctionnement, cela ne signifie pas stricto sensu qu’on laisse la nature se débrouiller. «On peut lui donner de petits coups de pouce, en réintroduisant des animaux, en effaçant un barrage dans une rivière», expliquent Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, un couple de naturalistes français spécialistes du sujet, et engagés dans cette pratique. «L’enjeu est de relier tous les êtres vivants entre eux, de redonner à un milieu sa fonctionnalité, liée à leur présence.»

Et ça marche! Dans leurs nombreux ouvrages de vulgarisation sur le sujet, citant souvent l’exemple du parc national suisse, les Cochet démontrent que la protection récente des grands mammifères a permis leur essor: l’ours des Pyrénées compte 70 individus, contre 5 en 1994. Les chamois étaient environ 10'000 dans les Alpes suisses en 1910, ils sont 85'000 aujourd’hui. Et cela vaut pour beaucoup d’autres espèces sauvages en Europe! Des nouvelles qui redonnent le sourire. «Faire revenir les grosses bêtes, ça fonctionne», constate Gilbert Cochet.

Extinctions moins visibles

Mais ce dernier concède aussi avoir moins bien communiqué sur l’extinction d’animaux moins visibles, mais tout aussi précieux pour leurs services écosystémiques: invertébrés, insectes, oiseaux des champs… Sans compter les poissons. «En France, les sols agricoles sont stérilisés, en termes de biodiversité. Et la pêche industrielle vide les fonds marins. Le flétan, par exemple, a été exploité à 99,7 %. Il ne reste que 0,3 % des individus.» Une étude parue en janvier 2022 dans Biological Review estime que la sixième extinction de masse actuelle est largement sous-estimée, car elle ne prend pas en compte les invertébrés qui représentent pourtant la majorité des espèces animales connues.

Face à ce drame silencieux, le rewilding peut paraître illusoire. «Il ne s’agit pas de réensauvager toute l’Europe. Mais de reconsidérer et d’augmenter la place qu’on laisse au sauvage, aux espaces en libre évolution, sans activité extractive, ni occupation humaine. C’est une réflexion sur la part du vivant non humain, bénéfique pour l’humanité aussi», plaide Béatrice Kremer-Cochet.

Repenser l’agriculture

L’enjeu principal pour la biodiversité, notamment en Suisse, se joue désormais au niveau des pratiques agricoles. «L’agriculture, extensive avant la Première Guerre mondiale, ne parvenait pas à nourrir la population. Elle a été intensifiée, ce qui a dégradé beaucoup de milieux. Depuis les années 1990, un virage écologique a été entamé», résume Jean-Yves Humbert, enseignant et directeur de recherches en biologie à l’université de Berne. «Les menaces principales aujourd’hui sont la combinaison entre pratiques intensives, ajout de pesticides, d’engrais, homogénéisation des cultures… Mais aussi l’abandon de certaines parcelles, en montagne, où la forêt reprend le dessus. La disparition des prairies entraîne celle de certaines espèces de papillons et de plantes.»

Un discours bien connu des agriculteur·rices, qui, «s’ils font partie du problème, font tout autant partie de la solution», pointe Jean-Yves Humbert. De fait, les pistes pour concilier maintien, voire essor, de la biodiversité et culture sont nombreuses: travailler en permaculture, augmenter la densité de la production sur certaines surfaces, associer le «sauvage» à la production agricole, comme le raconte le documentaire Des fraises pour le renard (voir encadré).

Autres pistes, notamment suivies en Suisse: «Les produits phytosanitaires sont moins utilisés, on essaie de s’en passer quand c’est possible. Le désherbage mécanique gagne en importance. La sélection variétale cherche à développer des variétés résistantes aux maladies fongiques, ce qui permet de réduire les traitements. Les exemples en arboriculture, en viticulture ou en grandes cultures sont nombreux», détaille Marco Meisser, directeur de Mandaterre, bureau spécialisé dans l’environnement, dépendant de Prométerre, organisation vaudoise de vulgarisation agricole et de défense professionnelle.

Zones refuges

Enfin, depuis 1992, la politique agricole suisse exige des exploitant·es – contre rémunération – qu’ils ou elles consacrent une portion toujours plus importante de leurs territoires à des surfaces sans engrais, ni produits de traitement, pour favoriser la biodiversité. Résultat, près de 19 % de la surface agricole suisse est composée de ces zones, précieux refuges pour de nombreuses espèces. Un score qui cache cependant encore de grandes disparités entre les montagnes et plaines, où ces espaces sont bien plus réduits, et au sein de ces zones elles-mêmes. «Une haie en soi n’est pas optimale d’un point de vue écologique, tout dépend de sa structure, de son entretien…» détaille Anne-Claude Jacquat, biologiste et vulgarisatrice pour Proconseil, autre entité liée à Prométerre.

Au fil des ans, les recherches et les exigences sur les «surfaces de promotion de la biodiversité» se sont multipliées. Transformant au passage les agriculteur·rices en véritables «jardiniers de la Confédération» ou «protecteurs du vivant», selon les points de vue. «Les producteurs aiment comprendre à quoi servent les efforts demandés et ils le font alors volontiers. Notamment lorsqu’ils constatent que favoriser certains insectes protège leurs cultures des ravageurs», constate Anne-Claude Jacquat.

Impact au sol

Si les méthodes de culture s’améliorent l’autre enjeu, pour maintenir la biodiversité, est de réduire l’impact de l’humain sur les sols. «Constructions, agriculture intensive, barrages, ski… Il va nous falloir réduire le plus possible l’anthropisation du sol pour laisser davantage de place à la nature», assure Jean-Yves Humbert.

Une dimension qui complexifie encore l’équation globale. En effet, comment respecter, voire développer, la biodiversité par des méthodes moins intensives tout en maintenant, voire en augmentant la productivité, (le taux d’approvisionnement de l’agriculture suisse ne dépasse pas 60 % selon les calculs)? «Il n’y a pas de solution unique et simple. A chaque exploitation, à chaque milieu naturel son équilibre», estime Jean-Yves Humbert.

A noter aussi que chaque exploitation doit faire des choix à long terme: «On ne peut pas du jour au lendemain changer tout son outil de production et passer de la culture de la betterave à celle du quinoa», explique Anne-Claude Jacquat. Les producteur·rices confronté·es ne sont pas les seul·es à l’immense responsabilité de freiner l’effondrement de la biodiversité. Consommer local et de saison permet de prendre sa part dans ce défi collectif.

«Des fraises pour le renard»

Ce documentaire de Stéphane Durand et Thierry Robert suit trois exploitations agricoles qui ont décidé de travailler avec des espèces sauvages. Un producteur de fraises jurassien mise sur le renard pour lutter contre les campagnols. Des éleveurs de chèvres travaillent avec les vautours pour contourner l’équarrissage traditionnel. Des cultivateurs parient sur les «mauvaises herbes» pour favoriser l’apparition d’insectes utiles.

Des fraises pour le renard

Infos : Des fraises pour le renard, 52 min, 2021

Le parc national suisse, une réussite exemplaire

Sur 170 km2 (la superficie du Liechtenstein), la plus grande réserve naturelle suisse est aussi l’un des parcs les plus anciens d’Europe. Né en 1914 en Engadine (GR), le parc a une longue expérience qui inspire aujourd’hui, associant succès économique, scientifique, pédagogique.

150'000 personnes visitent chaque année le parc. Deux visiteur·euses sur trois sont des habitué·es.

20 millions de francs apportés par le parc, durant sa période d’ouverture, aux entreprises de la région. La somme ne comprend pas les 400'000 francs annuels versés par la Confédération aux communes sur lesquelles la réserve est établie.

36 amendes ont été distribuées en 2020. Les règles du parc sont strictes: pas de vélo, pas de camping, interdiction de toucher à la nature et de sortir des sentiers.

60 projets de recherche sont menés en moyenne chaque année dans le parc national.

1'500 cerfs vivent dans le Parc actuellement. Il n’y en avait aucun à sa création. Certains estiment ce nombre trop élevé. L’arrivée, dans les années à venir, de loups permettrait une régulation naturelle.

2 espèces ont été réintroduites exceptionnellement par l’humain dans ce sanctuaire. Le bouquetin en 1920 et le gypaète barbu en 1991. Ces animaux vivaient dans la région par le passé.

0 projet ne prévoit d'introduire de nouvelles espèces dans le parc. L’enjeu est de développer les corridors écologiques pour permettre aux animaux de circuler dans d’autres parcs en Europe, à commencer par le parc voisin du Stelvio (Italie).

(Source: Parc national suisse)

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