Des Juifs rescapés de la Shoah de retour à Caux

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Des Juifs rescapés de la Shoah de retour à Caux

Samuel Ramuz
11 mars 2011
Sur les 1684 réfugiés débarqués sur les hauts de Montreux en 1944, quatre retrouvaient, émus, le Palace de Caux ce mardi 8 mars. Tous étaient montés dans le train Kasztner
, du nom de ce jeune et brillant avocat transylvanien, assassiné en 1957 en Israël. Récit.


L'un d'eux se rappelle, alors qu'il savait à peine marcher, être descendu à pied jusqu'à Glion, quelques kilomètres en aval. « Avant que je sois raccompagné au palace (ndlr: à l'époque l'Hôtel Esplanade) », sourit l'homme, aujourd'hui installé à Berne. Un autre, devenu prof d'uni en Angleterre, tient entre ses mains un livre qu'il a dédié à la figure de Rudolf Rezsò Israel Kasztner, sorti en 2008 (lire ci-dessous): une version allemande vient de paraître.


Ce matin du 8 mars 2011, dans une annexe à la lumière printanière de l'établissement des hauts de Montreux, les récits de quatre rescapés juifs de la Shoah font revivre une Suisse qui semble lointaine: celle de la deuxième Guerre mondiale. « Ce sont les petites histoires qui font la grande », souligne, ému, le syndic de Montreux Pierre Salvi, au moment de l'accueil officiel. Pour l'édile vaudois, lui-même fils d'immigrés, « ces événements doivent être mis à la portée des jeunes générations ». Mais de quels événements parle-t-on?

Le 30 juin 1944, le train Kasztner quitte Budapest, avec 1684 personnes à son bord. L'avocat juif vient de pactiser avec le diable: Adolf Eichmann. Himmler, chef des SS, et les nazis ont besoin d'argent et de véhicules pour accélérer la solution finale. Réfugiés dans la capitale hongroise, des centaines de réfugiés juifs acceptent la médiation de l'avocat Kasztner: ils sont prêts à tout pour sauver leur vie.

Le convoi embarque toutes les couches de la population, et de toutes les tendances. « Kaszter y met aussi sa femme et son beau-père pour prouver que ce train n'ira pas aux camps de la mort », précise Andrew Stallybrass, d'Initiatives et Changement, fin connaisseur de l'histoire et organisateur de la journée de mardi. Cette arche de Noé, comme l'appelleront certains, est initialement destinée à l'Espagne. Mais les nazis l'obligent à transiter par le camp de concentration de Bergen Belsen. Les nazis veulent-ils y faire monter les enchères? Pas impossible.

En deux temps

Toujours est-il que, le 22 août, un premier contingent de 328 personnes arrive à la frontière de St-Margrethen (SG). Les autorités suisses ne sont au courant de rien. Heinrich Rothmund, en charge de la politique fédérale des réfugiés, demande qu'une protestation officielle soit adressée aux Allemands. Le Conseil fédéral refuse. Kasztner et ses négociateurs font pression: ils ne peuvent fournir aux nazis les 10 000 camions et le matériel agricole qu'ils réclament si le reste du convoi reste bloqué en Allemagne.

Quelques mois plus tard, le 7 décembre, le reste des troupes (1356) passe la frontière, traverse le pays et s'installe à Caux. Cornelio Sommaruga, ancien président du CICR et d'Initiatives et Changement, sur place mardi, note que, « du lac de Constance au Léman, certains passagers se sont étonnés que les militaires qui parlaient allemand le fassent sans crier et soient courtois et polis ».

Kasztner arrive sur les hauts de Montreux quelques jours plus tard. A l'Hôtel Esplanade, bondé, il retrouve sa femme et son beau-père. Ils feront partie des quelque 295 000 individus (prisonniers de guerre, internés,...) accueillis en Suisse pendant la guerre.

Hôtels réquisitionnés

Mais pourquoi Caux, au juste? « A la fin de la Guerre, le parc hôtelier suisse est exsangue et plusieurs établissements sont vides », note Evelyne Lüthi-Graf, archiviste de la ville de Montreux qui, à l'époque, ne compte « plus » qu'une cinquantaine d'hôtels alors qu'on en recensait plus de 100 au début du siècle.

Sur ordre de la Confédération, l'armée réquisitionne donc ces coquilles vides. L'Hôtel Belmont, aujourd'hui transformé en résidence privée, en fait partie. Mardi, la fille d'une réfugiée, aujourd'hui toutes deux installées en Uruguay, se souvenait nettement d'une photo de sa mère devant l'établissement.

Quant aux participants de la journée, ils venaient de se recueillir devant la plaque posée au pied du chêne planté en 1997 sur l'esplanade de Caux, face au Léman. On peut y lire: « En mémoire des réfugiés juifs hébergés ici pendant la deixième Guerre mondiale, et en mémoire de ceux qui ont été refoulés à la frontière suisse. Nous ne les oublierons pas. »

A lire
Löb Ladislaus, Dealing with Satan, Jonathan Cape, London, 2008.


Un film pour réhabiliter Kasztner


« Ce n'est qu'aujourd'hui que je réalise que je ne suis pas seulement la fille de Kasztner, mais aussi une survivante. » Pour la première fois en Suisse, Zsuzsi Kasztner peine à cacher sa vive émotion. Née à Genève, elle accompagne ses parents lorsqu'ils s'installent en Israël en 1947. Dix ans plus tard, son père y est assassiné par des terroristes juifs.

C'est d'ailleurs la scène du meurtre qui ouvre le film de l'Américaine Gaylen Ross, Killing Kasztner, diffusé mercredi 9 mars dans le cadre du Festival sur les droits humains, à Genève. Considéré comme un traître par son pays pour avoir pactisé avec les nazis, cet avocat transylvanien estimait avoir sauvé entre 18 000 et 20 000 juifs. « Nous voulions réhabiliter sa figure », lâche la réalisatrice dont le film a fait grand bruit aux Etats-Unis lors de sa sortie en 2008.

Enfant, Zsuzsi a violemment souffert du discrédit jeté sur son père. Le film montre sa rencontre avec l'assassin. Poignant.