Colloque à l’Université de Lausanne sur le thème de la mère:Sainte et mère au Moyen-Âge, deux vocations quasi inconciliables
24 novembre 2005
Dans l’esprit qui prévaut au Moyen-Âge, l’état de sainteté est étroitement lié à la virginité car l’intégrité physique est perçue comme une condition sine qua non pour accéder à la perfection chrétienne, en particulier pour les femmes du Xe au XVe siècles
Mari délaissé, enfants reniés…la quête de pureté, le besoin absolu d’effacer la tache du péché originel, les conduit à des actes que l’on qualifierait de cruels aujourd’hui. Dans le cadre d’un colloque du 23 au 25 novembre sur le thème de la mère à l’Université de Lausanne, André Vauchez, médiéviste à l’Institut de France à Paris donne un éclairage des pratiques spirituelles des femmes de l’époque moyenâgeuse.« Pendant des siècles, on a considéré l’intégrité physique comme une condition absolue pour accéder à la sanctification, à la perfection chrétienne » souligne le médiéviste André Vauchez de l’Institut de France à Paris, dans une présentation destinée au colloque sur le thème de la mère à l’Université de Lausanne. Le spécialiste analyse une tranche d’histoire, allant du Xe au XVe siècle, sous l’angle de la spiritualité des femmes, saintes, mariées et mères. Une fin glorieuse d’abordLe Haut Moyen Âge ne compte que peu de saintes, pour la bonne raison que les femmes étaient exclues du ministère sacerdotal et de la prédication. Les rares qui ont été sanctifiées le furent plus tardivement. Aussi leurs parcours de vie ne sont-ils pas entièrement connus ; aux yeux des hagiographes, seule comptait la fin glorieuse.
A l’époque carolingienne, c’est l’Eglise franque qui, la première, instille des valeurs familiales. Le caractère monogamique du mariage est une donnée importante. « Un certain idéal d’existence féminine prend désormais en compte la vie familiale, il repose sur des valeurs plus socialisées, comme l’amour maternel élevé au rang de principe de comportement dans le monde » relate André Vauchez. Cette conception de la vie familiale et conjugale fera long feu.
L’ascétisme revient en force au XIIe siècle. La sainteté est d’autant plus valeureuse si elle se manifeste par des comportements contraints. La normalité des actes et le naturel de vie sont contrariés : on se refuse à son mari et on renie l’affection à ses enfants. L’Eglise tient un discours paradoxal. Tout en craignant une polémique anti-matrimoniale alors qu’elle entend justement transformer le mariage monogamique en un sacrement, elle glorifie la sanctification de femmes qui ont renoncé aux attachements charnels et affectifs de leur famille. Une ambiguïté qui s’explique : « Dans la perspective médiévale et parfois jusqu’au XIVe siècle, note le médiéviste André Vauchez, tout ce qui est donné aux hommes, qu’ils soient parents, mari et surtout enfants, en terme de tendresse et d’affection, est autant d’enlevé à Dieu. Pour une femme mariée et mère de famille, l’accès à la sainteté passe donc par l’abandon de ses enfants ou même dans certains cas, par le consentement à leur mort, comme Marie l’a fait pour le Christ. Seule la femme délivrée des liens familiaux est capable de vivre pour Dieu seul, auquel elle doit le sacrifice de ses affections ».Le mariage, un sort pire que la mortRenoncer à ses enfants constituait donc la forme la plus haute de la sainte pauvreté. Sainte Elizabeth de Hongrie (1207-1231), veuve, choisit de mener une vie errante et pauvre avant de se mettre au service des malades et des déshérités. Elle avait abandonné trois enfants dont une petite fille d’un an et demi qu’elle aimait cependant tendrement, par crainte de trop s’attacher à elle et d’être gênée par elle dans le service de Dieu. « Dieu a exaucé ma prière, aurait-elle dit selon les hagiographes, et voici que je considère comme de la boue les biens de ce monde que j’aimais jadis. De même, Dieu m’est témoin que je ne me préoccupe plus de mes enfants : je les aime comme j’aime mon prochain. Je les ai confiés à Dieu, qu’Il fasse d’eux ce qui lui plaît ».
Les pénitentes italiennes du XIIIe siècle vont encore plus loin. Leur dureté atteint des sommets : une femme, qui avait été mariée très jeune contre son gré, comme c’était courant à l’époque, considérait le mariage tel un sort pire que la mort et rejetait ses enfants « ne voulant voir dans l’affection qu’elle leur portait qu’une tentation charnelle et une ruse du démon, relève le médiéviste Vauchez. Elle aurait même souhaité – pour leur bien - qu’ils meurent avant d’être privés eux-mêmes du don inestimable de la virginité ! ». Une autre, qui avait eu un enfant illégitime d’un seigneur, fit preuve d’encore plus de cruauté envers cet enfant car sa seule présence à ses côtés lui rappelait son épisode de pécheresse qu’elle s’efforçait de racheter par une conduite sans faille. Des vertus étonnantes Avec le temps, le radicalisme devient si prononcé qu’il conduit certains dévots à garder leur virginité leur vie durant. Ainsi Saint Elzéar et Sainte Delphine ( XIVe siècle), nobles potentats de Provence, restèrent purs tout au long de leur union quand bien même ils étaient mariés l’un à l’autre. Sainte Delphine aurait justifié ce choix par ces propos : « Beaucoup vivent dans le mariage qui ne peuvent avoir d’enfants ; même s’ils en ont, ceux-ci vivent mal, meurent et finissent mal. Pour ces gens-là, il aurait été préférable de ne pas en avoir. A cause de cela : incertitude d’un héritier, risques décevants et coûteux qui sont cause de mort et de damnation éternelle, il vaut beaucoup mieux embrasser l’état de virginité qui est ferme et sûr et plaît fort à Dieu et convient très bien à l’homme ». A l‘heure de leur canonisation, le pape avignonnais Jean XXII commentant leur vie de couple aurait dit qu’il s’agissait « d’une vertu plus étonnante qu’imitable ».
La vie de la plupart des femmes de l’époque n’est guère épanouissante. Mariages imposés souvent avec des hommes âgés, soumission, naissances précoces et répétées, conflits autour de la dot et des biens, la jeune femme vit une condition bien pire que l’homme. A-t-elle le choix ? Le célibat pour sauvegarder un espace de liberté n’est pas un recours possible à moins d’entrer dans les ordres. « Chez celles, de loin les plus nombreuses, qui ne pouvaient se soustraire au mariage, la répugnance pour les rapports sexuels et la procréation expriment sans doute le refus d’être considérées comme un simple objet du désir masculin et l’instrument de la propagation du lignage » indique André Vauchez.La dévotion populaire inspirée par l’artAu XVe siècle, une partie du clergé prend conscience qu’il devient indispensable d’offrir à la gent féminine, un modèle autre que celui de la virginité conservée ou reconquise par la pénitence. Mais les tentatives échouent : les solutions présentées aux femmes sont peu réalistes ou montrent de façon trop évidente qu’on veut leur éviter l’oisiveté pour les préserver du péché.
Les valeurs de la maternité, et par là de la vie familiale, ne seront réhabilitées que grâce à l’art pictural italien et allemand. Les représentations iconographiques de Vierges à l’enfant, de Sainte Anne tenant en ses bras Marie et l’enfant Jésus – des tableaux d’où l’homme est toujours absent – prendront le relais de l’ouverture spirituelle des femmes en soulignant leur vocation maternelle et leurs responsabilités éducatives chrétiennes.
A l’époque carolingienne, c’est l’Eglise franque qui, la première, instille des valeurs familiales. Le caractère monogamique du mariage est une donnée importante. « Un certain idéal d’existence féminine prend désormais en compte la vie familiale, il repose sur des valeurs plus socialisées, comme l’amour maternel élevé au rang de principe de comportement dans le monde » relate André Vauchez. Cette conception de la vie familiale et conjugale fera long feu.
L’ascétisme revient en force au XIIe siècle. La sainteté est d’autant plus valeureuse si elle se manifeste par des comportements contraints. La normalité des actes et le naturel de vie sont contrariés : on se refuse à son mari et on renie l’affection à ses enfants. L’Eglise tient un discours paradoxal. Tout en craignant une polémique anti-matrimoniale alors qu’elle entend justement transformer le mariage monogamique en un sacrement, elle glorifie la sanctification de femmes qui ont renoncé aux attachements charnels et affectifs de leur famille. Une ambiguïté qui s’explique : « Dans la perspective médiévale et parfois jusqu’au XIVe siècle, note le médiéviste André Vauchez, tout ce qui est donné aux hommes, qu’ils soient parents, mari et surtout enfants, en terme de tendresse et d’affection, est autant d’enlevé à Dieu. Pour une femme mariée et mère de famille, l’accès à la sainteté passe donc par l’abandon de ses enfants ou même dans certains cas, par le consentement à leur mort, comme Marie l’a fait pour le Christ. Seule la femme délivrée des liens familiaux est capable de vivre pour Dieu seul, auquel elle doit le sacrifice de ses affections ».Le mariage, un sort pire que la mortRenoncer à ses enfants constituait donc la forme la plus haute de la sainte pauvreté. Sainte Elizabeth de Hongrie (1207-1231), veuve, choisit de mener une vie errante et pauvre avant de se mettre au service des malades et des déshérités. Elle avait abandonné trois enfants dont une petite fille d’un an et demi qu’elle aimait cependant tendrement, par crainte de trop s’attacher à elle et d’être gênée par elle dans le service de Dieu. « Dieu a exaucé ma prière, aurait-elle dit selon les hagiographes, et voici que je considère comme de la boue les biens de ce monde que j’aimais jadis. De même, Dieu m’est témoin que je ne me préoccupe plus de mes enfants : je les aime comme j’aime mon prochain. Je les ai confiés à Dieu, qu’Il fasse d’eux ce qui lui plaît ».
Les pénitentes italiennes du XIIIe siècle vont encore plus loin. Leur dureté atteint des sommets : une femme, qui avait été mariée très jeune contre son gré, comme c’était courant à l’époque, considérait le mariage tel un sort pire que la mort et rejetait ses enfants « ne voulant voir dans l’affection qu’elle leur portait qu’une tentation charnelle et une ruse du démon, relève le médiéviste Vauchez. Elle aurait même souhaité – pour leur bien - qu’ils meurent avant d’être privés eux-mêmes du don inestimable de la virginité ! ». Une autre, qui avait eu un enfant illégitime d’un seigneur, fit preuve d’encore plus de cruauté envers cet enfant car sa seule présence à ses côtés lui rappelait son épisode de pécheresse qu’elle s’efforçait de racheter par une conduite sans faille. Des vertus étonnantes Avec le temps, le radicalisme devient si prononcé qu’il conduit certains dévots à garder leur virginité leur vie durant. Ainsi Saint Elzéar et Sainte Delphine ( XIVe siècle), nobles potentats de Provence, restèrent purs tout au long de leur union quand bien même ils étaient mariés l’un à l’autre. Sainte Delphine aurait justifié ce choix par ces propos : « Beaucoup vivent dans le mariage qui ne peuvent avoir d’enfants ; même s’ils en ont, ceux-ci vivent mal, meurent et finissent mal. Pour ces gens-là, il aurait été préférable de ne pas en avoir. A cause de cela : incertitude d’un héritier, risques décevants et coûteux qui sont cause de mort et de damnation éternelle, il vaut beaucoup mieux embrasser l’état de virginité qui est ferme et sûr et plaît fort à Dieu et convient très bien à l’homme ». A l‘heure de leur canonisation, le pape avignonnais Jean XXII commentant leur vie de couple aurait dit qu’il s’agissait « d’une vertu plus étonnante qu’imitable ».
La vie de la plupart des femmes de l’époque n’est guère épanouissante. Mariages imposés souvent avec des hommes âgés, soumission, naissances précoces et répétées, conflits autour de la dot et des biens, la jeune femme vit une condition bien pire que l’homme. A-t-elle le choix ? Le célibat pour sauvegarder un espace de liberté n’est pas un recours possible à moins d’entrer dans les ordres. « Chez celles, de loin les plus nombreuses, qui ne pouvaient se soustraire au mariage, la répugnance pour les rapports sexuels et la procréation expriment sans doute le refus d’être considérées comme un simple objet du désir masculin et l’instrument de la propagation du lignage » indique André Vauchez.La dévotion populaire inspirée par l’artAu XVe siècle, une partie du clergé prend conscience qu’il devient indispensable d’offrir à la gent féminine, un modèle autre que celui de la virginité conservée ou reconquise par la pénitence. Mais les tentatives échouent : les solutions présentées aux femmes sont peu réalistes ou montrent de façon trop évidente qu’on veut leur éviter l’oisiveté pour les préserver du péché.
Les valeurs de la maternité, et par là de la vie familiale, ne seront réhabilitées que grâce à l’art pictural italien et allemand. Les représentations iconographiques de Vierges à l’enfant, de Sainte Anne tenant en ses bras Marie et l’enfant Jésus – des tableaux d’où l’homme est toujours absent – prendront le relais de l’ouverture spirituelle des femmes en soulignant leur vocation maternelle et leurs responsabilités éducatives chrétiennes.