« Le don par excellence, c’est de bien accueillir ce que l’on nous donne »
28 mai 2004
Dans un ouvrage riche et dense, le professeur genevois Félix Moser retrace les origines du don et analyse ses nouvelles expressions
Rencontre. Félix Moser, maître d’enseignement et de recherche à la faculté de théologie pratique à l’Université de Genève, décortique la place et le rôle du don dans notre société dans un ouvrage intitulé « (Se) donner : à quoi bon ? ». Véritable guide pratique sur la question, ce livre retrace les origines du don et analyse ces nouvelles expressions. L’auteur souligne un phénomène assez récent: sa médiatisation au travers des caméras de télévision. En effet, on ne compte plus les émissions qui parrainent une ou plusieurs associations. Le don doit-il devenir tendance pour conserver sa place? Entretien.
- Comment définissez-vous le don?
F.M.: Le don est un ? présent que l’on offre sans attendre de retour déterminé et immédiat. Il renforce les liens. Lorsque l’on donne, d’une manière ou d’une autre, on se sent en communion. C’est un phénomène très spontané et sentimental.
- Aujourd’hui, de nombreuses émissions de télévisions soutiennent des associations caritatives ? Qu’est-ce que cela vous inspire ?
F.M. : Je prends l’exemple des inondations de Gondo (Valais). Ce genre d’élan de générosité spontanée n’est pas à dévaloriser. Il permet de réunir des fonds et de redonner de l’espoir aux populations qui sont touchées. Mais en même temps, la médiatisation du don entraîne parfois une dérive narcissique. Certains artistes utilisent ce phénomène pour anoblir leur image. Je pense notamment à la visite de Lady Diana lors de la guerre au Kosovo. Les téléspectateurs finissaient par s’intéresser plus à la personne qu’à la situation dramatique que ce pays traversait. Ce type de charité est comparable à la « charité distributive » qui date du 19e siècle. La médiatisation du don tend aussi à rendre certaines causes plus populaires que d’autres. Une association que s’occupe du Sida jouit d’une visibilité plus grande qu’une association qui lutte pour les droits des disparus en Tchétchénie. De plus, le don ne se réduit pas un coup d’éclat. Au contraire, c’est un geste qui s’inscrit dans le quotidien. Le don à la télévision dévoile sans honte la misère. Ainsi, il fait vibrer la corde émotionnelle. Cette situation inspire une pitié très sentimentale.
- La pitié est-elle l’ennemi du don ?
F.M. : Avec le romancier allemand Stefan Zweig, il faut distinguer deux genres de pitiés. Une première qui est molle et sentimentale. Dans ce cas de figure, on donne pour se protéger soi-même et pour se débarrasser du trouble que la misère provoque. Mais la pitié peut aussi être créatrice. Elle peut allier le cœur et la raison. Dans ce cas de figure, elle engage celui qui la pratique dans un combat contre l’injustice.
- Le don doit-il être anonyme pour être désintéressé ?
F.M .: Toutes les religions recommandent l’anonymat aux donateurs. C’est une protection pour qu’ils ne se valorisent pas et pour qu’ils n’érigent pas de remparts contre d’autres sollicitations. Le don établit une relation asymétrique avec le receveur. En effet, celui qui reçoit est souvent en situation de dette. Le don peut être une forme de pouvoir. Par contre, le recevoir implique une obligation.
- Peut-il remédier à certaines carences du système économique ?
F. M. : Il ne faut pas qu’une théologie ou une pratique du don serve d’alibi pour justifier certaines carences du système néo-libéral. L’horizon doit être celui de la justice. Il y a deux grands secteurs d’échange dans notre société. Premièrement, le système marchand qui est en phase de dérégulation. Nous sommes dans une situation de transition où les règles nationales ne fonctionnent plus. L’objectif est de fixer des normes internationales de justice. Deuxièmement, le système du don qui est marqué par les relations de proximité. Selon moi, l’enjeu est de penser et de mettre sur pied un troisième circuit : celui de la solidarité qui articulerait la justice et le don.
- L’Eglise a-t-elle un rôle à jouer dans ce circuit ?
F.M. : Je pense que nous avons besoin d’une éducation à la solidarité et d’un travail de conscientisation. C’est dans ce cadre que j’imagine aussi le rôle de l’Eglise. Elle peut nous apprendre à donner et à recevoir. Pour moi, le don par excellence, c’est de bien accueillir ce que l’on nous donne. UTILE
« (Se) donner : à quoi bon ? », Félix Moser, Editions de l’Hèbe, avril 2004, 75pp.
- Comment définissez-vous le don?
F.M.: Le don est un ? présent que l’on offre sans attendre de retour déterminé et immédiat. Il renforce les liens. Lorsque l’on donne, d’une manière ou d’une autre, on se sent en communion. C’est un phénomène très spontané et sentimental.
- Aujourd’hui, de nombreuses émissions de télévisions soutiennent des associations caritatives ? Qu’est-ce que cela vous inspire ?
F.M. : Je prends l’exemple des inondations de Gondo (Valais). Ce genre d’élan de générosité spontanée n’est pas à dévaloriser. Il permet de réunir des fonds et de redonner de l’espoir aux populations qui sont touchées. Mais en même temps, la médiatisation du don entraîne parfois une dérive narcissique. Certains artistes utilisent ce phénomène pour anoblir leur image. Je pense notamment à la visite de Lady Diana lors de la guerre au Kosovo. Les téléspectateurs finissaient par s’intéresser plus à la personne qu’à la situation dramatique que ce pays traversait. Ce type de charité est comparable à la « charité distributive » qui date du 19e siècle. La médiatisation du don tend aussi à rendre certaines causes plus populaires que d’autres. Une association que s’occupe du Sida jouit d’une visibilité plus grande qu’une association qui lutte pour les droits des disparus en Tchétchénie. De plus, le don ne se réduit pas un coup d’éclat. Au contraire, c’est un geste qui s’inscrit dans le quotidien. Le don à la télévision dévoile sans honte la misère. Ainsi, il fait vibrer la corde émotionnelle. Cette situation inspire une pitié très sentimentale.
- La pitié est-elle l’ennemi du don ?
F.M. : Avec le romancier allemand Stefan Zweig, il faut distinguer deux genres de pitiés. Une première qui est molle et sentimentale. Dans ce cas de figure, on donne pour se protéger soi-même et pour se débarrasser du trouble que la misère provoque. Mais la pitié peut aussi être créatrice. Elle peut allier le cœur et la raison. Dans ce cas de figure, elle engage celui qui la pratique dans un combat contre l’injustice.
- Le don doit-il être anonyme pour être désintéressé ?
F.M .: Toutes les religions recommandent l’anonymat aux donateurs. C’est une protection pour qu’ils ne se valorisent pas et pour qu’ils n’érigent pas de remparts contre d’autres sollicitations. Le don établit une relation asymétrique avec le receveur. En effet, celui qui reçoit est souvent en situation de dette. Le don peut être une forme de pouvoir. Par contre, le recevoir implique une obligation.
- Peut-il remédier à certaines carences du système économique ?
F. M. : Il ne faut pas qu’une théologie ou une pratique du don serve d’alibi pour justifier certaines carences du système néo-libéral. L’horizon doit être celui de la justice. Il y a deux grands secteurs d’échange dans notre société. Premièrement, le système marchand qui est en phase de dérégulation. Nous sommes dans une situation de transition où les règles nationales ne fonctionnent plus. L’objectif est de fixer des normes internationales de justice. Deuxièmement, le système du don qui est marqué par les relations de proximité. Selon moi, l’enjeu est de penser et de mettre sur pied un troisième circuit : celui de la solidarité qui articulerait la justice et le don.
- L’Eglise a-t-elle un rôle à jouer dans ce circuit ?
F.M. : Je pense que nous avons besoin d’une éducation à la solidarité et d’un travail de conscientisation. C’est dans ce cadre que j’imagine aussi le rôle de l’Eglise. Elle peut nous apprendre à donner et à recevoir. Pour moi, le don par excellence, c’est de bien accueillir ce que l’on nous donne. UTILE
« (Se) donner : à quoi bon ? », Félix Moser, Editions de l’Hèbe, avril 2004, 75pp.