La mort du Christ sans passion

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La mort du Christ sans passion

19 février 2004
Le film de Mel Gibson « The Passion » sort cette semaine aux Etats-Unis (lire encadré)
Au delà de la polémique, le retour aux textes bibliques reste sans doute la démarche la plus fructueuse. C’est ce que se propose l’éditeur genevois Labor & Fides en ressortant une version actualisée de l’étude sur« Les derniers jours de Jésus » d’un théologien genevois qui enseigne le Nouveau testament à Harvard.François Bovon, professeur du Nouveau Testament à Harvard, ancien enseignant de l’Académie genevoise, connaît bien les Ecritures auxquelles il a consacré de nombreux ouvrages. Dans cette petite étude à la fois rigoureuse et vulgarisatrice*, l’auteur propose une reconstitution des événements depuis les Rameaux, entrée du Christ à Jérusalem, jusqu’à son supplice le Vendredi saint de Pâques.

Se basant sur des sources chrétiennes mais aussi juives et païennes, François Bovon montre que les récits bibliques de la Passion constituent des œuvres littéraires écrites dans une perspective déterminée. La mort et la résurrection de Jésus appartiennent à une dimension méta historique. L’exégète rappelle que pour les premiers chrétiens « la portée salutaire de ces faits importe davantage que les contingences extérieures qui les ont provoqués historiquement ». Autrement dit, même s’ils rapportent des faits, les récits bibliques de la Passion ne racontent pas l’Histoire mais une histoire. Ce sont des « récits de foi », non des reportages objectifs, dont les rédacteurs croient « que le sort de Jésus dépendait du plan de Dieu qui s’est finalement imposé par la Résurrection ».

Il suffit pour s’en convaincre de souligner les nombreux problèmes posés encore aujourd’hui aux historiens et archéologues par la localisation des étapes de la Passion et par la chronologie de la Semaine sainte. Le Cénacle, le jardin de Gethsémané, la Maison du grand prêtre, le Golgotha, le Saint-Sépulcre : « Aucun de ces lieux bibliques n’a été identifié avec certitude », note François Bovon. De même, si les Evangiles canoniques affirment tous que Jésus est mort la veille d’un sabbat, donc un vendredi, la date demeure incertaine. Pour Jean, ce jour est celui de la préparation de la Pâque. Selon Marc, la crucifixion eut lieu le jour même de la fête pascale. De plus, « l’horaire de ce dernier jour du Christ varie d’un texte à l’autre ». Chez Marc, par exemple, Jésus est mis en croix à la troisième heure (environ 9 heures du matin). Dans Jean, l’événement intervient trois heures plus tard. La date elle-même reste discutée, que les chercheurs actuels situent entre les années 28 et 32. Un châtiment romainPar ailleurs, le lecteur attentif du Nouveau Testament remarquera de nombreuses dissimilitudes entre les trois Evangiles dits synoptiques, sans même parler de celui de Jean, dont le déroulement des faits lui-même diffère. Ainsi, si Matthieu suit Marc de près, Luc s’en écarte souvent. Des événements aussi importants que la visite de Pierre au tombeau vide, la rencontre avec les disciples d’Emmaüs, l’apparition aux onze disciples et l’Ascension sont attestés uniquement par ce dernier. C’est pourquoi de nombreux chercheurs estiment que Luc s’inspire aussi d’une Source dont on a perdu la trace, la fameuse « Quelle » regroupant les paroles du Christ. Et si les Evangiles suivent le même schéma général dans le déroulement de la Passion, ce n’est pour le théologien qu’« en raison de leur usage liturgique et de leur intégration au culte chrétien dès les origines » qui en ont assuré l’unité. Judaïté de JésusJésus était juif. Jusqu’à la fin du 1er siècle, les communautés chrétiennes ne constituaient qu’un nouveau courant à l’intérieur du judaïsme. Par ailleurs, « les premiers chrétiens ont cherché l’appui des Romains, comme beaucoup de Juifs le faisaient face aux Grecs ». Il paraît donc évident à François Bovon que « les sources chrétiennes tentent de minimiser la responsabilité de Pilate » dans la condamnation de Jésus. Pourtant, si ce sont bien les autorités juives qui ont dénoncé Jésus comme prétendant messianique et fauteur de troubles potentiels, la décision et l’exécution de la peine furent la décision de l’occupant. Comment les historiens en sont-ils aujourd’hui persuadés ? D’abord parce que le supplice de la Croix est une peine romaine, non juive. « Le droit juif ignorait la crucifixion, supplice romain importé d’Orient ». De plus, le Sanhédrin ne possédait tout simplement pas la compétence juridique de condamner à mort. UTILE

François Bovon, "Les derniers jours de Jésus" , 2004, chez Labor et Fides