"Un musulman nommé Jésus"
15 janvier 2004
Dans un livre enfin traduit en français, Tarif Khalidi regroupe pour la première fois quelque trois cents citations attribuées au Christ par la tradition islamique
L’occasion de découvrir une autre facette du Jésus des textes musulmans, en marge du Coran. Parmi les études retraçant le passé commun du christianisme et de l’islam, la figure du Jésus coranique occupe une place de choix. En revanche, rares sont les chercheurs à s’être penchés sur le contenu même de la tradition musulmane concernant le Christ. Publié en français chez Albin Michel*, après avoir déjà été traduit en 18 langues, le livre de Tarif Khalidi comble donc une importante lacune.
L’auteur, directeur du centre d’études sur l’islam et le Proche Orient au King’s College de Cambridge, regroupe ici la plus importante collection jamais publiée de paroles et d’actes attribués à Jésus dans la littérature classique de l’islam. Quelque trois cents citations référencées et commentées, constituant ce que Tarif Khalidi nomme un véritable « évangile musulman ».
Ce recueil offre une image méconnue du Christ, considéré dans une tradition religieuse qui lui porte une grande vénération tout en rejetant sa nature divine. Un « évangile » qui ne constitue pas un corpus complet, mais se trouve « dispersé dans des œuvres d’éthique ou de dévotion populaire, des œuvres de soufisme ou de mysticisme musulman, des anthologies de sagesse ou encore des histoires de prophètes et de saints », explique l’auteur. Entre le 8e et le 18e siècle, ces sources ont circulé dans la littérature et la tradition arabo-islamiques, de l’Espagne à la Chine. D’où viennent-elles ? En partie d’un « fonds ancestral de sagesse commune que l’on trouve dans la riche culture du Proche-Orient d’alors ». Certaines résonnent comme des « échos des Evangiles canoniques ou non, mais beaucoup semblent plonger leurs racines dans la civilisation hellénistique ». Leur nombre exact demeure inconnu, et en Occident le premier recueil regroupant une partie d’entre eux ne date que de la fin du XIXe siècle.Entre eschatologie et moraleL’image du « Jésus musulman » est d’abord celle du « Jésus coranique ». Tarif Khalidi rappelle qu’il est désormais admis que « l’islam naît à une époque et dans des régions où la figure de Jésus est largement connue », dans une période aussi où les nombreuses communautés chrétiennes se regardent souvent avec hostilité. On sait que le Coran, dans un style plus proche de la poésie que de la prose, annonce son intention de restaurer les rencontres passées entre les prophètes, dont le Christ fait partie, et Dieu. Dans ce contexte, « Jésus est un prophète controversé, le seul présenté comme prenant ses distances avec les doctrines chrétiennes. C’est un prophète totalement obéissant à son Créateur, proposé comme une vraie alternative au Jésus de l’Incarnation, de la crucifixion et de la rédemption ».
Mais comme pour les écrits apocryphes du côté chrétien, le Coran a mis du temps à s’imposer comme source unique de révélation. Il a longtemps coexisté avec les « hadiths », récits ou contes de forme et de contenu très variés, qui devinrent « le creuset des différentes sensibilités de l’islam des origines ». Jésus y occupe une place de choix. Tarif Khalidi : « Alors que les dits des autres prophètes tendent à se conformer à des types moraux spécifiques, l’ampleur et la croissance continuelles du corpus consacré à Jésus paraît sans équivalent ».
Comme dans le Coran, le Christ résout des conflits internes à l’islam. Mais on le retrouve aussi dans les écrits apocalyptiques, où il apparaît comme une figure eschatologique majeure. Autre Jésus fréquent, sans doute le plus important en nombre, celui d’une « force morale vivante », sorte de patron de l’ascétisme musulman. Dernier groupe de textes analysés, ceux qui paraissent issus d’un « noyau évangélique, développé ou modifié de façon à acquérir une estampille islamique distinctive ». Etonné, le lecteur découvre ainsi plusieurs citations présentes dans l’Evangile de Matthieu telles que « Vous êtes le sel de la terre » (Matthieu 5 :13), ou « Amassez-vous des trésors dans le ciel » (6 :19). Il s’amusera aussi, devant un Jésus lançant : « Béni soit celui qui lit le Coran », en écho au passage du Nouveau Testament : « Heureux ceux qui entendent la parole de Dieu ». UTILE
*Tarif Khalidi, « Un musulman nommé Jésus », chez Albin Michel
L’auteur, directeur du centre d’études sur l’islam et le Proche Orient au King’s College de Cambridge, regroupe ici la plus importante collection jamais publiée de paroles et d’actes attribués à Jésus dans la littérature classique de l’islam. Quelque trois cents citations référencées et commentées, constituant ce que Tarif Khalidi nomme un véritable « évangile musulman ».
Ce recueil offre une image méconnue du Christ, considéré dans une tradition religieuse qui lui porte une grande vénération tout en rejetant sa nature divine. Un « évangile » qui ne constitue pas un corpus complet, mais se trouve « dispersé dans des œuvres d’éthique ou de dévotion populaire, des œuvres de soufisme ou de mysticisme musulman, des anthologies de sagesse ou encore des histoires de prophètes et de saints », explique l’auteur. Entre le 8e et le 18e siècle, ces sources ont circulé dans la littérature et la tradition arabo-islamiques, de l’Espagne à la Chine. D’où viennent-elles ? En partie d’un « fonds ancestral de sagesse commune que l’on trouve dans la riche culture du Proche-Orient d’alors ». Certaines résonnent comme des « échos des Evangiles canoniques ou non, mais beaucoup semblent plonger leurs racines dans la civilisation hellénistique ». Leur nombre exact demeure inconnu, et en Occident le premier recueil regroupant une partie d’entre eux ne date que de la fin du XIXe siècle.Entre eschatologie et moraleL’image du « Jésus musulman » est d’abord celle du « Jésus coranique ». Tarif Khalidi rappelle qu’il est désormais admis que « l’islam naît à une époque et dans des régions où la figure de Jésus est largement connue », dans une période aussi où les nombreuses communautés chrétiennes se regardent souvent avec hostilité. On sait que le Coran, dans un style plus proche de la poésie que de la prose, annonce son intention de restaurer les rencontres passées entre les prophètes, dont le Christ fait partie, et Dieu. Dans ce contexte, « Jésus est un prophète controversé, le seul présenté comme prenant ses distances avec les doctrines chrétiennes. C’est un prophète totalement obéissant à son Créateur, proposé comme une vraie alternative au Jésus de l’Incarnation, de la crucifixion et de la rédemption ».
Mais comme pour les écrits apocryphes du côté chrétien, le Coran a mis du temps à s’imposer comme source unique de révélation. Il a longtemps coexisté avec les « hadiths », récits ou contes de forme et de contenu très variés, qui devinrent « le creuset des différentes sensibilités de l’islam des origines ». Jésus y occupe une place de choix. Tarif Khalidi : « Alors que les dits des autres prophètes tendent à se conformer à des types moraux spécifiques, l’ampleur et la croissance continuelles du corpus consacré à Jésus paraît sans équivalent ».
Comme dans le Coran, le Christ résout des conflits internes à l’islam. Mais on le retrouve aussi dans les écrits apocalyptiques, où il apparaît comme une figure eschatologique majeure. Autre Jésus fréquent, sans doute le plus important en nombre, celui d’une « force morale vivante », sorte de patron de l’ascétisme musulman. Dernier groupe de textes analysés, ceux qui paraissent issus d’un « noyau évangélique, développé ou modifié de façon à acquérir une estampille islamique distinctive ». Etonné, le lecteur découvre ainsi plusieurs citations présentes dans l’Evangile de Matthieu telles que « Vous êtes le sel de la terre » (Matthieu 5 :13), ou « Amassez-vous des trésors dans le ciel » (6 :19). Il s’amusera aussi, devant un Jésus lançant : « Béni soit celui qui lit le Coran », en écho au passage du Nouveau Testament : « Heureux ceux qui entendent la parole de Dieu ». UTILE
*Tarif Khalidi, « Un musulman nommé Jésus », chez Albin Michel