En avant toutes vers la table des négociations!

«Les femmes œuvrent pour la paix» manifestent en ce jeudi 20 septembre 2018 / ©Aline Jaccottet
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«Les femmes œuvrent pour la paix» manifestent en ce jeudi 20 septembre 2018
©Aline Jaccottet

En avant toutes vers la table des négociations!

20 septembre 2018
Les faiseurs de paix 5/5
Depuis 2014, «Les femmes œuvrent pour la paix» se bat pour que les politiciens israéliens rouvrent les pourparlers. Apolitique, le mouvement espère réunir des citoyennes israéliennes de tous bords.

À la veille de Journée internationale de la paix, quatre à cinq mille sympathisantes du mouvement «Les femmes œuvrent pour la paix» (Women Wage Peace) se sont retrouvées devant la porte de Jaffa à Jérusalem pour chanter, faire de la musique, bavarder. En ce jeudi 20 septembre, elles sont parfois venues de très loin pour se faire entendre. Comme Efrat, qui a fait quatre heures de bus depuis la Galilée. «Mes trois fils sont des combattants hauts gradés. Je trouve scandaleux que l’on soit davantage prêt à mener une autre guerre inutile à Gaza, qu’à conclure la paix!», affirme la sexagénaire, une banderole à la main. Irit et sa fille Shira sont venues, elles, depuis Haïfa, au nord du pays. «J’ai commencé à manifester à 16 ans pour la réconciliation, c’est à ma fille de prendre le relais», dit la mère en serrant l’adolescente contre elle. Quant à Nahida née à Gaza et qui a épousé un Palestinien de nationalité israélienne, elle est là pour dire son ras-le-bol du conflit. «Il faut un autre avenir», glisse-t-elle en arabe.

«Nous payons le prix fort»

L’histoire de «Les femmes œuvrent pour la paix» commence à la fin de l’été 2014. On est en plein dans l’opération «Bordure protectrice», soit la énième guerre des Israéliens à Gaza, et Marie-Lyne Smadja s’interroge. «L’ambiance était terrible, la haine omniprésente. Avec des amies Irit Ramir et Michal Barack, j’ai pensé à mobiliser les femmes pour que tout cela change. Lorsque j’en ai parlé à des hommes, leur enthousiasme m’a motivé. Tous m’ont assuré que nous pouvions réussir là où ils avaient échoué», raconte cette enseignante d’origines tunisienne et française. Et de s’indigner: «Nous sommes mises au ban des questions de sécurité alors que nous payons le prix fort des guerres: nous qui donnons la vie envoyons au front ce que nous avons de plus cher».

Le mouvement est basé sur une résolution de l’ONU (13/25) reconnaissant la souffrance particulière des femmes lors des conflits, et l’effet remarquable leur implication lorsqu’il s’agit d’assurer la paix. «Lors des négociations, nous pensons davantage au long terme», vante Marie-Lyne Smadja qui cite en exemple l’Irlande du Nord et sa trêve du Good Friday, conclue selon elle grâce aux femmes.

Dépolitiser la paix, c’est ça notre force. Elle ne doit pas appartenir à la gauche, pas plus que les enjeux de sécurité ne devraient appartenir à la droite.
Marie-Lyne Smadja

Dépolitiser la paix

Son association a une deuxième particularité: elle est apolitique. Il s’agit de faire en sorte que les hommes acceptent à nouveau de négocier, pas de leur proposer une solution. «Dépolitiser la paix, c’est ça notre force. Elle ne doit pas appartenir à la gauche, pas plus que les enjeux de sécurité ne devraient appartenir à la droite. Nous voulons redonner du pouvoir aux Israéliennes, quel que soit leur confession, leur appartenance politique ou leur niveau socio-économique», prône Marie-Lyne Smadja. Elle-même est tout, sauf une «gauchiste», comme elle les appelle. Proche du sionisme religieux, qualifiant les Territoires palestiniens occupés (TPO) de territoires «disputés» comme les désigne la droite israélienne, elle «soutient à fond notre armée: on doit défendre le pays, ça ne se discute pas.»

Une force et une faiblesse

Reste qu’à observer la foule présente à la manifestation de jeudi, le mouvement est largement porté par des juives israéliennes qui ont un profil de gauche— laïques et de milieux socialement favorisés, à entendre l’anglais dans lequel elles s’expriment. Et dans la foule, quasi aucun hijab. Pourtant, selon les chiffres avancés par le mouvement, les Arabes israéliennes (dont la communauté représente 17,5% des citoyens israéliens) forment jusqu’à 30% des sympathisantes. «Elles ont probablement été retenues à la maison par leurs tâches domestiques», avance Nahida. Si tel est le cas, Manar Abou Dhal, qui a rejoint «Les femmes œuvrent pour la paix» en octobre 2016 pour «insuffler à mes amies arabes l’idée qu’elles sont capables d’agir», a encore beaucoup de travail.

Le refus de s’engager en politique fait tout à la fois la force et la faiblesse de l’initiative: si elle est assez vague dans ses termes pour permettre l’adhésion large des Israéliennes, «certaines parmi nous estiment qu’on ne sera jamais entendues des politiciens si l’on ne vient pas avec une proposition», relève Efrat derrière sa banderole. Des politiciens qui malgré le lobbying persévérant de femmes comme Marie-Lyne, prennent un chemin bien différent de celui qu’espèrent les centaines de manifestantes réunies jeudi à Jérusalem.

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«Les femmes œuvrent pour la paix» manifestent en ce jeudi 20 septembre 2018
©Aline Jaccottet