«Aujourd’hui, on voit que les gens sont unis»

Plus d’un mois après la mort de Mahsa Amini, la colère contre les autorités iraniennes ne faiblit pas. / © DigitalAssetArt / Shutterstock
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Plus d’un mois après la mort de Mahsa Amini, la colère contre les autorités iraniennes ne faiblit pas.
© DigitalAssetArt / Shutterstock

«Aujourd’hui, on voit que les gens sont unis»

Sophie Woeldgen
24 octobre 2022
Soulèvement
Plus d’un mois après la mort de Mahsa Amini, la colère contre les autorités iraniennes ne faiblit pas. Les principales revendications des minorités ethniques et religieuses rejoignent celles du reste des manifestants.

«Je sens clairement qu’une révolution est en train de se dérouler en Iran. Ce matin, je suis passée devant des policiers sans voile. A l’hôpital, de nombreuses femmes l’enlèvent également. Mais ce qui m’impressionne le plus, ce sont les étudiantes qui brûlent leur hidjab au sein de l’université, qui est un espace public. Même dans mes rêves, c’était inconcevable», déballe Tara, la trentaine. Malgré les coupures d’internet et les problèmes de connexion, la jeune mère a le sourire lorsque la vidéo commence. Pour elle, le mouvement de protestation qui a commencé le 16 septembre passé par la mort de la jeune Mahsa Amini est unique. «J’habite dans le nord de Téhéran, mais mon frère passe beaucoup de temps dans les quartiers sud, populaires. Et même dans les villes conservatrices telles qu’Ispahan, où les retraités sont descendus dans les rues, c’est le même cri de rage de la société qui subit la mauvaise gestion environnementale, l’étouffement économique, le manque de liberté et, surtout, la corruption des dirigeants», rapporte-t-elle.

Lernik, née en Iran, comme son père, mais d’une mère née en Arménie, ne se rend pas aux manifestations par peur pour l’enfant qu’elle porte, mais son frère et ses amis s’y rendent. En tant qu’Arménienne, elle bénéficie de certains avantages. «Nous avons nos clubs de sports, nos endroits où sortir. Là, nous avons un peu plus de liberté. Mais en dehors de ces endroits, nous sommes soumis aux mêmes règles que le reste de la société. Et tout ce que je voudrais, c’est pouvoir porter une robe, vivre normalement. Je pourrais émigrer aux Etats-Unis, mais j’aime l’Iran», ajoute-t-elle.

«L’Iran est constitué de plusieurs peuples, de beaucoup d’ethnies. Et pour la première fois, des vidéos montrent des turcophones d’Iran chanter des slogans en faveur des Kurdes ou des Balloutches et vice versa», rapporte Tara. Pour elle, «c’est impressionnant, car on nous a toujours dit d’avoir peur des indépendantistes, mais aujourd’hui on voit que les gens sont unis. Ils adorent leur pays, dont l’histoire est rejetée par nos dirigeants qui affirment que l’Iran commence avec l’islam».

Jiyar Gol, journaliste kurde qui couvre la région pour la BBC, affirme que c’est la première fois qu’il voit cette solidarité envers la minorité kurde. Selon lui, si la répression féroce que subissent les populations du Kurdistan ou du Baloutchistan iranien est liée à la religion – car ce sont les franges les plus dures des Gardiens de la révolution qui sont envoyées réprimer les soulèvements de ces régions; or ces chiites radicaux n’hésitent pas à tirer à balles réelles sur les manifestants sunnites – l’importance du soulèvement kurde est à expliquer par la politisation de sa population. «Cela arrive régulièrement qu’une femme meure lors de son interpellation. Mais, généralement, les autorités réussissent à étouffer l’information en menaçant la famille. Ici, c’est parce que la famille s’est exprimée publiquement et que les proches étaient politisés, prêts à manifester que la mort de Mahsa Amini a eu une telle influence. C’est presque parce que Mahsa Amini était kurde, que sa mort a eu une telle influence.»

Bernard Hourcade, géographe spécialiste de l’Iran, directeur de recherche émérite au CNRS, nuance cet enthousiasme: «Cette vision est très partielle. Un changement profond intervient seulement lorsque le coeur du pays en termes démographiques, historiques, tombe dans l’opposition. Or, pour l’instant, ce n’est pas encore le cas des villes telles qu’Ispahan ou de Yazd», analyse-t-il. Bernard Hourcade conclut: «On n’a que très peu d’informations, mais pour l’instant on ne peut pas dire qu’il y a un bouleversement.»