Comment Mila a secoué la République

Capture d'écran YouTube
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Comment Mila a secoué la République

Massimo Prandi, Réforme
20 février 2020
Partie d’un échange d’insultes sur les réseaux sociaux, l’affaire Mila a frôlé l’affaire d’État. Explications et regards croisés sur le dossier entre un théologien réformé et un universitaire musulman

Tout a commencé le 18 janvier par la critique injurieuse de l’islam par une jeune adolescente française de la région de Lyon, Mila. Celle-ci a posté sur son compte Instagram une vidéo pauvre en contenu. Comme il y en a des millions sur les réseaux sociaux. Il s’en est suivi une véritable mise au pilori de la jeune Mila. Menaces de mort, insultes sexistes, elle a tout entendu… Là encore, c’est très regrettable, mais c’est un fait courant sur la toile. Puis l’affaire a pris une tournure judiciaire. Deux enquêtes ont été ouvertes à ce jour. L’une pour «provocation à la haine raciale» qui doit «vérifier si les propos tenus sur la vidéo diffusée sont de nature à recouvrir une qualification pénale ou s’inscrivent dans la liberté d’expression reconnue à chacun». L’autre pour « menaces de mort, menace de commettre un crime, harcèlement» à l’encontre de Mila. Ce n’est pas rare non plus en pareils circonstances.

Une réaction officielle virulente

Fin janvier, l’affaire a pris une toute autre tournure. Interrogé par Sud Radio, le nouveau délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, a eu des propos plus que critiques envers l’adolescente: «Je dis que cette fille, elle sait très bien ce qu’elle fait.»  Et de renchérir: «Qui sème le vent, récolte la tempête. Elle a pris ses responsabilités. Qu’elle critique les religions, je suis d’accord, mais insulter et tout ce qui s’ensuit… Maintenant, elle assume les conséquences de ce qu’elle a dit.»

Il n’en fallait pas moins pour que le gouvernement s’en mêle. Il est vrai que Abdallah Zekri dirige une institution censée représenter les musulmans auprès des pouvoirs publics. On aurait attendu de lui des propos apaisants et distanciés.

Secrétaire d’État consternée

Marlène Schiappa, secrétaire d’État en charge de l’Égalité des hommes et des femmes, a répliqué durement le lendemain sur France Inter. «Je trouve que ce sont des propos criminels, ce sont des propos coupables. Je me bats contre cette idée selon laquelle une femme, une jeune fille en l’occurrence mais qui que ce soit, qui serait victime de violence, de cyber-harcèlement, ce serait parce que cette personne l’aurait cherché.» Une polémique qui s’envenime chaque jour davantage.

Avis de théologiens

Réforme n’a évidemment pas à se prononcer sur la dispute. A quel titre le ferait-elle? Mais elle a demandé des commentaires sur le fond des problématiques soulevées à deux hommes de foi.

 

Pierre Lacoste, pasteur libriste et chroniqueur régulier de Réforme, est responsable des relations avec l’islam de la Fédération protestante de France (FPF). Selon lui, «on exige une totale maîtrise de la communication des responsables politiques et religieux. Et ce dans un monde où règne l’exact contraire. Abdallah Zekri a cédé à l’esprit du temps. On est piégés dans ce genre de choses. Quand les réseaux sociaux s’enflamment, les excès dominent sans partage. On abandonne toute rationalité. Tout cela est trop light, rien n’y est approfondi. Je ne veux pas juger et me refuse de fonctionner dans cet embrasement. C’est pourquoi je ne commente pas les propos de Abdallah Zekri. Pas de cautionnement ni de condamnation. Je me distancie, c’est ma liberté.»

Quant à Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’Islam de France (FIF), son appréciation des déclarations de Abdallah Zekri est sans appel: «C’est une occasion manquée pour les musulmans et leurs représentants de montrer leur sagesse.» Il enchaîne: «Quand on est responsables et qu’on a à traiter de sujets aussi sensibles, il faut garder la froideur d’esprit et la distanciation nécessaires.» Et de développer, au sujet de l’affaire en elle-même: «En réalité, les propos de cette jeune adolescente ne devraient pas susciter des réactions comme des appels au meurtre. Ce n’est pas comme cela qu’on répond à l’injure et à l’insulte. Dans notre pays, où le droit est assuré, il y a des moyens civilisés pour demander justice quand il s’agit de personnes adultes.» Enfin, assure-t-il, «cet épisode permettra paradoxalement d’aplanir les difficultés et, surtout, la susceptibilité des musulmans envers les propos irrévérencieux à l’encontre de leur religion.»