Parentalité et télétravail : l’injonction paradoxale

En période de confinement, nombre de familles doivent télétravailler et prendre soin de leur progéniture. / Source: istock / AleksandarNakic
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En période de confinement, nombre de familles doivent télétravailler et prendre soin de leur progéniture.
Source: istock / AleksandarNakic

Parentalité et télétravail : l’injonction paradoxale

JONGLER
La crise du coronavirus exacerbe bien des inégalités. Parmi elles, celles que vivent les parents, très souvent les mères. Soumises à des injonctions paradoxales en permanence, elles subissent encore davantage en temps de confinement. Une hypocrisie que le Covid-19 met cruellement à jour.

Un Skype réalisé avec un bébé sur ses genoux, un bureau où les plannings Excels côtoient des piles de dessins, des pauses-déjeuner marathons. Sans compter des horaires plus qu’élastiques… c’est la journée d’un parent en télétravail aujourd’hui. Comme le raconte Solange Pellet :

« Le travail a tendance à prendre sa place un peu partout dès que le temps le permet : le matin avant le lever de mes deux filles de sept et neuf ans, lors de la pause pendant l’école à la maison, l’après-midi pendant qu’elles jouent et s’occupent seules… »

Ce que vit cette pasteure à Ollons-Villars… est proche de ce que connaissent des millions de parents. Car oui, 870 millions d’élèves — la moitié de la population mondiale en âge d’être scolarisée , sont aujourd’hui chez eux.

Les solutions pour les parents ? Travailler le soir, le dimanche, alterner la garde avec son ou sa partenaire… soit des journées à rallonge, épuisantes. « En journée, avec mon épouse, enseignante, non réquisitionnée pour le moment, on s’occupe de mes trois filles, 2,5, et 7 ans. Le soir, je réalise des entretiens par téléphone, je crée des groupes Whatsapp pour notre groupe de jeunes, des newsletters avec des éléments de méditations pour la paroisse… Le dimanche, je vais à la rencontre de recrues », explique Laurent Lasserre, qui cumule les postes d’aumônier de jeunesse, pasteur de paroisse dans la Haute-Menthue (VD) et aumônier militaire.

Contradictions

Pour les célibataires, ou les personnes dont le partenaire est occupé·e à 100 % à l’extérieur, il n’y a aucune solution. Les possibilités de garde sont rares, et même déconseillées, à l’heure où la consigne est la distanciation sociale. Et si les solutions d’école en ligne ou à distance se mettent en place, elles ne sont de loin pas toutes parfaites, adaptées à tous les enfants, ni possibles, concrètement, pour tout le monde.

Pour beaucoup de parents, l’injonction faites par les autorités de travailler à domicile tout en gardant un ou plusieurs enfants est donc pour le moins paradoxale. Et elle vient s’ajouter à beaucoup d’autres :

« Pour ma part, je trouve difficiles les injonctions contradictoires : travaillez à distance (par exemple j’appréhende la semaine prochaine, où j’aurai vingt travaux d’étudiant·e·s à distance à corriger, comme toutes les deux semaines), occupez vos enfants, faites-leur l’école à la maison (les enseignant·e·s nous envoient d’ailleurs du matériel), évitez tout risque de potentielle contamination (bonjour la culpabilité si on les laisse jouer au parc…), tout cela sans oublier le défi de préserver de bonnes relations conjugales et intrafamiliales, de manger sainement, etc.»

remarque Lauriane Savoy, assistante-doctorante en théologie pratique à l’Université de Genève et maman de deux enfants de sept et neuf ans, dont elle se charge en travaillant à 100 %, alors que son conjoint doit travailler à l’extérieur.

En ligne, les conseils d’occupation pour les enfants fleurissent, tout comme ceux incitant aux hommes à prendre en charge plus de tâches ménagères, ou aux femmes pour leur expliquer comment concilier réunions en ligne et rôle de maman. Sans compter le florilège de conseils pour gérer stress et anxiété. Dont on peut deviner qu’elle est causée en partie par l’incertitude dans laquelle nous sommes plongés… et par les situations difficiles et contradictoires vécues par les parents.

Un travail invisible 

Impossible de ne pas s’en rendre compte aujourd’hui : s’occuper d’un ou de plusieurs enfants est un travail à temps plein, très peu compatible avec une autre activité professionnelle. Et encore moins en temps de crise. Pourquoi, alors que se mettait en place un confinement de deux mois, aucun·e décideur·e ne l’a-t-il tout simplement envisagé ? Evoqué ?

« Je crois que cela a à voir avec la valorisation des tâches et leur rémunération. La parentalité les tâches ménagères et domestiques sont non rémunérées, elles sont donc invisibles. Tout se passe comme si elles n’existaient pas dans la chaîne de valeur… alors qu’elles sont essentielles, car elles permettent d’avoir une activité économique »

remarque Églantine Jamet, docteure en sciences sociales, cofondatrice d’Artémia, cabinet de recrutement et de conseil qui accompagne les entreprises vers plus de mixité.

Ces tâches domestiques, l’équivalent de 9,2 milliards d’heures de travail en 2016 selon l’OFS, sont encore majoritairement effectuées par des femmes aujourd’hui. Un travail de l’ombre dont les féministes demandent la reconnaissance depuis des années, puisqu’il est une des bases de fonctionnement de la société toute entière.

La figure du parent par défaut

À n’en pas douter, le confinement, au niveau domestique, continuera, dans un premier temps à faire peser la charge domestique sur les femmes. Et ce, en raison de mécanismes pernicieux.

« Il y a la figure du parent par défaut. La première figure parentale, chez beaucoup d’enfants, est la mère. Les enfants se tournent donc en priorité vers cette première figure parentale. Ils ne comprennent pas que si la mère est à la maison, elle n’est pas forcément disponible pour eux. Ils iront en priorité vers la personne qui, pour eux, est la première figure parentale. Parfois, les mères auront tendance à renforcer ces mécanismes : parce que c’est le fonctionnement normal du foyer, qu’elles ont intégré qu’il leur revient d’effectuer ces tâches, que cela va plus vite, qu’elles ont un travail à mi-temps et leur conjoint à plein temps, que le bien-être de leurs enfants passe en premier… »

poursuit Églantine Jamet. Autant dire que le confinement jette une lumière crue sur les inégalités hommes-femmes au foyer. Comme, bien d’autres injustices et inéquités, « l’égalité des sexes n’est pas du tout acquise ni intégrée dans la chaîne de réflexion des décideurs aujourd’hui », pointe l'experte.

Fin du présentéisme

Seule consolation, la situation actuelle montre aussi que les séparations étanches entre vie professionnelle et privée sont définitivement devenues caduques. Oui il est possible de faire une réunion en ligne en donnant le biberon à un enfant, et de travailler le soir !

« C’est une bonne nouvelle pour faciliter les aménagements entre vie privée et professionnelle. Mais attention, travailler à la maison et de manière flexible ne veut pas forcément dire que ces conditions de travail sont idéales ni confortables. Plutôt une manière de remettre en question le présentéisme à outrance »,

note Églantine Jamet. Qui note aussi que dans une situation aussi exceptionnelle, les entreprises ont peut-être intérêt à garder un sens des priorités et maintenir des activités essentielles, mais veiller aussi à offrir des conditions de travail vraiment gérables et distinguer les activités non essentielles et urgentes, pour l’heure.

Du côté des parents, si les vécus sont parfois difficiles, ils ouvrent aussi à de nouvelles manières d’être ensemble, comme le conclut Solange Pellet.

« Le temps se vit autrement. On essaie de profiter des uns et des autres. Les repas en famille sont plus nombreux et les filles sont très contentes d’avoir leur maman tous les soirs à la maison. C’est un temps à part, une expérience autre dont nous allons essayer de tirer la meilleure part. »

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