Face à la mort «de masse»

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Face à la mort «de masse»

Départ
L’Europe est le continent qui concentre le plus de victimes du Covid-19. En raison de la pandémie, l’accompagnement des morts et des mourants a été bouleversé. Comment faire face individuellement et collectivement à ce qui s’apparente à un traumatisme de masse?

90 000 morts au moins en Europe. La pandémie de Covid-19, qui a d’abord fait des victimes parmi les personnes âgées, a entraîné avec elle toute une génération et, souvent, les adieux n’ont pas pu se faire comme d’habitude. On a vu des images de cercueils empilés dans les chambres froides de Rungis (France) et les enterrements qui se sont succédé à Bergame (Italie). Même en Suisse, où le taux de mortalité a été bien moindre, l’accompagnement des mourants et des morts s’est parfois fait à minima. Les rites habituels ont été bouleversés, parfois complexifiés. Adieux à distance, échanges par téléphone avec les pompes funèbres, embaumements impossibles, interdiction pour la famille de toucher le corps – ni même le cercueil – d’un proche décédé du Covid-19. Quant aux cérémonies, elles ont officiellement été limitées à cinq personnes. «Bien qu’en réalité, tout dépend des lieux et de la possibilité de respecter les distances de sécurité», reconnaît Sarah Joliat, responsable des Pompes funèbres du Léman (à Vevey) qui a aussi assisté à des adieux réunissant 20 personnes.

Des situations éprouvantes, qui témoignent d’un «choc anthropologique majeur» pour l’historien Stéphane Audouin-Rouzeau, «Nos sociétés, qui ont tout fait pour bannir la mort de leurs horizons d’attente […] se retrouvent rappelées à leur animalité fondamentale», analyse ce spécialiste de la Première Guerre mondiale. En France, qui a été jusqu’à interdire les toilettes mortuaires pour les victimes de l’épidémie, la théologienne Marion Muller-Colard, membre du Comité consultatif national d’éthique a publié un texte court et magnifique pour rappeler que la manière de traiter les morts «mérite le plus grand soin et la plus grande vigilance

Si le concept de traumatisme de masse se discute, selon certains historiens, la situation actuelle marque une ligne rouge. Pour qu’un travail de deuil individuel ou collectif puisse se faire, quelques éléments sont fondamentaux, rappelle Alix Noble-Burnand, thanatologue et responsable de l’association Deuil’S. «Traditionnellement, la personne morte devait être honorée et enterrée selon les rites, sinon il ou elle ne ‹part› pas. Les endeuillé·e·s étaient reconnu·e·s et placé·e·s en marge de la société durant un temps. La communauté s’occupant d’eux, d’elles.»

Puisque ces éléments ont été «dégradés», d’autres solutions seront nécessaires. «Il va falloir faire des cérémonies nationales pour les morts du Covid-19 et ceux qui sont morts pendant cette période, car leurs départs peuvent avoir été mal traités», estime Alix Noble-Burnand. Sur le plan individuel, cette spécialiste du deuil propose d’avoir recours aux doubles funérailles. Une tradition ancienne dont la culture chrétienne porte aussi la trace. «Les orthodoxes, par exemple, s’appuient sur les quarante jours entre la mort du Christ et son ascension pour organiser des funérailles en deux temps, après une ‹quarantaine›!» Pour Alix Noble-Burnand, attendre la fin du confinement pour préparer une seconde cérémonie est «l’occasion de réfléchir à la manière de construire le souvenir, de préparer les honneurs qui seront donnés, de choisir un lieu symbolique où pourra se vivre le souvenir et où le deuil pourra avancer…»

Sarah Joliat observe déjà, du point de vue des pompes funèbres, la survenue de telles demandes. «D’habitude, après une crémation, nous contactons les familles pour les informer que les cendres sont disponibles. Il arrivait parfois qu’elles ne soient pas redemandées. Là, on a l’impression que, puisque la cérémonie n’a pas pu se tenir comme voulu, les gens sont plus impatients de prendre les cendres pour en faire quelque chose. Et nous avons même des demandes de secondes cérémonies pour septembre, par exemple.»

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