Place aux questions existentielles

Culte de l’enfance, «caté», suivi pastoral, l’Eglise accorde une place particulière aux plus jeunes. / ©iStock
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Culte de l’enfance, «caté», suivi pastoral, l’Eglise accorde une place particulière aux plus jeunes.
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Place aux questions existentielles

Camille Andres & Joël Burri
24 octobre 2022
Reportages
Culte de l’enfance, «caté», suivi pastoral, l’Eglise accorde une place particulière aux plus jeunes. Nous avons suivi plusieurs groupes d’adolescents.

Dehors, c’est la détente. Sous un soleil d’automne, un petit groupe d’ados a sorti une table devant le centre paroissial de Bernex-Confignon. Des devoirs sont entamés, puis, l’essentiel étant plié, on a laissé tomber les cahiers. Tina*, May* et Jean* papotent allègrement et s’envoient des vannes. A l’intérieur, c’est la fébrilité. Etienne Jeanneret, le pasteur, et Georgette Gribi, chargée de ministère, sont attentifs à tous les détails. Il apporte des bonbons, prépare la salle. Elle scrute son téléphone: sur le groupe WhatsApp, quelques désistements de dernière minute l’inquiètent un peu. Est-ce que les nouveaux venus vont adhérer à la démarche?

La formule «Dieucèki» a été lancée l’année dernière, elle remplace le «groupe de préparation à la confirmation». En clair, il s’agit de rencontres régulières destinées aux 15 ans et plus pour «partir à la découverte de questions existentielles et spirituelles», explique un tract (à Genève, la confirmation se fait à 17 ans). Des temps qui «peuvent amener les jeunes à demander le baptême, la confirmation ou toute autre manière de célébrer le cheminement de chacune et chacun», poursuit le document. Priorité au vécu, donc.

Outre les discussions du jeudi soir, des sorties sont prévues dans l’année: week-end à Taizé, rencontre avec une communauté orthodoxe, discussion avec une aumônière, un réfugié… «L’objectif, c’est de nourrir leur réflexion, les aider à se poser les bonnes questions. Ils ont accès à une foule d’infos, mais ont besoin de confronter ce qu’ils apprennent à la parole d’autres personnes», résume Etienne Jeanneret.

Sa priorité ce soir-là: créer une dynamique de groupe. Dans cette région très étendue, qui mêle des communes urbaines et des zones rurales, les jeunes se connaissent parfois de vue, mais pas complètement. «Tu ne serais pas le frère d’untel?» Après un jeu «brise-glace», place au coeur de la soirée: une discussion en petits groupes encadrée par Etienne et Georgette sur le texte biblique de la femme adultère (Jean 8: 2-11), choisi «parce qu’il montre l’amour inconditionnel de Dieu», explique le pasteur.

Certains élèves sont des boucs émissaires pour des profs

Interpellés par le texte

Les premiers échanges visent à clarifier le contenu. «C’était normal ou pas à l’époque de tuer une femme à coups de pierre?», demande Elise*. «C’était dans la loi», explique Georgette Gribi, par ailleurs spécialiste de l’Ancien Testament, qui donne des éléments de contexte. Les jeunes mettent immédiatement le doigt sur ce qui les interpelle. «La femme, dans le texte, elle ne parle jamais, on dirait un animal de foire!» pointe une autre ado.

Viennent ensuite les échanges de fond. Dans le texte, il est question de vengeance, d’accusation. Aussi, Etienne Jeanneret a préparé quelques questions sur ce sujet. Les réseaux sociaux ne seraient-ils pas aussi un lieu d’humiliation, de «lynchage» public? Ce n’est pas du tout là que s’engouffrent les ados, qui balayent rapidement le sujet. Par contre, l’idée de l’acharnement sur une cible leur parle.

«Certains élèves sont des boucs émissaires pour des profs.» «J’ai un prof qui m’a humiliée et engueulée devant tout le monde», raconte Emilie*, 16 ans, avec un rire gêné. «Moi, dans ma classe, une fille avait dit qu’elle ne voulait pas jouer [d’un instrument, ndlr] devant tout le monde. Le prof l’a fait jouer devant tous les autres et l’a engueulée car elle n’était pas au point.»

Les témoignages sur «les profs qui restent sur un élève durant tout un cours», «forcent au point qu’on se sent mal» s’enchaînent. Chacune, chacun y va de son expérience, tout le monde ou presque a un vécu à partager.

Pour finir, les jeunes orientent la discussion sur le péché. Que veut dire «pécher»? Réponses du tac au tac. «C’est pas juste faire une erreur, parce qu’il y a des erreurs qui nous font progresser, d’autres non.» «C’est quand tu fais exprès quelque chose de mal et que tu en es conscient. Parfois, on n’est pas conscients.» «Et après, il y a aussi des erreurs qui ne peuvent pas être évitées.» «Si Jésus ne jette pas de pierre, ça veut dire que lui aussi a commis des péchés?» Question édifiante !

Une fois les jeunes partis, Georgette Gribi et Etienne Jeanneret s’avouent, une fois de plus, surpris! Par la maturité de ces ados – au sujet des réseaux sociaux, ils sont loin de tout vivre au premier degré. Et par la profondeur de leur analyse théologique, leur manière d’aborder les choses. Sans conceptualiser, ils peuvent se raccrocher à la Bible à partir de leur vécu très concret. Au final, qui a nourri la réflexion de qui?

Je suis venue parce qu’on m’a dit que, même si je n’avais pas envie d’y aller, à la fin du week-end je n’aurais plus envie de partir

Se construire

Quelques jours plus tard, c’est à Rougemont (VD) que nous sommes accueillis par les participants au camp d’ouverture du catéchisme proposé à tous les jeunes de la très étendue Région Riviera – Pays-d’Enhaut inscrits en dernière ou avant-dernière année de «caté», ou «KT», selon l’abréviation qui s’est imposée.

Dans le canton de Vaud, la confirmation ou la bénédiction de fin de catéchisme est proposée à la fin de la scolarité obligatoire. Les jeunes ont donc entre 14 et 16 ans. Ils sont accompagnés d’anciens catéchumènes qui ont suivi une formation mise en place par les Eglises réformée et catholique pour devenir JACK, jeunes accompagnants ou accompagnantes de camps et de KT.

«Je suis venue parce qu’on m’a dit que, même si je n’avais pas envie d’y aller, à la fin du week-end je n’aurais plus envie de partir», raconte Lucie* devant Céline*, qui s’étrangle: «On avait le choix? Moi, on ne m’a pas laissé le choix!» Elle avoue toutefois être ravie de passer ces deux jours avec son amie.

Les deux jours organisés par les ministres Pierrette Fardel et Christian Pittet s’articulent autour de la thématique de la maison. En début de camp, les ados voient le film La Maison sur l’océan (Irwin Winkler, 2001), une fiction dans laquelle un architecte entreprend de rénover la maison de son père aidé de son fils ado avec qui les liens ont été coupés après le divorce parental. Chacun a ses fêlures dans ce récit.

Après la diffusion du film, les ados partent en balade dans un paysage à couper le souffle: la pluie du début d’après-midi rend les prairies brillantes et auréole les montagnes de nuages de brume.

Un premier arrêt dans l’église du village permet de revenir sur quelques thèmes évoqués par la fiction: sentiment d’abandon, estime de soi, recherche de son identité. Les participants se montrent pleins d’empathie avec les différents personnages du film. «Je les ai tous aimés et moins aimés à différents moments du film», évoque un participant alors qu’une de ses camarades note sans humour: «Moi, j’ai bien aimé le chien, c’est le seul qui n’a pas de problèmes.»

La volonté de changement, de prendre en main sa vie, est symbolisée dans le film par des plongeons. Cela suscite des réactions: «C’est à la fois une prise de danger et une libération», dit l’un. «Mais c’est aussi un lien entre le père et le fils», insiste une autre.

La fin de l’école, c’est dans presque deux ans, moi, je ne sais même pas ce que je vais faire à la fin du mois

Quant à se construire soi-même, l’exercice n’est pas si simple. Bien sûr, certains voient comme une évidence le fait de se diriger vers les professions de cheminot ou d’institutrice: «J’aimerais avoir des troisième et quatrième années. Parce que ce sont encore des niveaux où la maîtresse enseigne toutes les matières». Mais pour d’autres, la question reste entière: «Les profs n’arrêtent pas de nous demander ce que l’on veut faire plus tard, nous rendre attentifs au fait que l’on doit chercher un apprentissage», reconnaît Aude*, une élève de 10e. «Mais la fin de l’école, c’est dans presque deux ans, moi, je ne sais même pas ce que je vais faire à la fin du mois!» Céline rêve de créer des habits, «mais sans coudre moi-même, parce que je n’aime pas ça. Ou alors actrice», teste-t-elle dans un sourire. Sans attendre de réponse, elle part sur tout autre chose, riant de la diacre Pierrette Fardel, qui, arrêtée sur le bord du chemin, photographie le paysage avec son smartphone. «Elles se moquent de moi par ce qu’il paraît que j’ai beaucoup dit que c’était beau, mais c’est vrai, non?»

Un détail qui nous saute soudain aux yeux: les seuls smartphones aperçus depuis le début de la promenade se trouvent, contre toute attente, dans les mains d’adultes. Y a-t-il un interdit? «Non, mais là on passe un moment ensemble. Ce soir, on sera tous sur nos portables», promet Lucie.

La promenade comptera encore deux arrêts, l’un autour du témoignage de l’un des JACK et l’autre autour d’un texte biblique. Entre les étapes, le groupe se disperse et, le long du chemin, les discussions à deux ou à trois vont bon train. Légères ou plus graves. Avec plus d’une heure de retard sur le programme, on renonce à l’atelier de construction de cairns au bord de la Sarine. Le pasteur Christian Pittet, alors que l’on passe à côté de l’un de ces empilements de pierres, évoque leur fonction: guider les marcheurs en montagne. Des guides qui, bien que discrets, permettent de poser des jalons sur un cheminement… Peut-être un peu comme ces discussions et ces moments vécus dans le cadre du caté?

Oasis de bienveillance

Dans le canton de Neuchâtel, le pasteur Frédo Siegenthaler a accompagné les organisateurs du festival BREF (les 5 et 6 novembre à Neuchâtel, www.battement.ch). «Ce qui a particulièrement retenu mon attention cette année, c’est le nombre de jeunes qui, tout en donnant l’impression d’être très à l’aise et bien dans leur peau, m’ont parlé de leur sentiment d’insécurité», nous confie le pasteur de l’Eglise réformée neuchâteloise. La pandémie et la guerre en Ukraine sont autant d’éléments déstabilisateurs. «Le monde des adultes leur semble souvent si compliqué et stressant. Ils se demandent légitimement s’ils y trouveront une place. Cela ne leur donne pas envie d’y accéder. Ils ne voient pas tellement le sens qu’ils pourraient y trouver.» De quoi faire cogiter le ministre: «J’en tire une réflexion sur la place de l’Eglise dans notre société: l’Eglise a pour rôle de créer des oasis de bienveillance, pour chaque tranche d’âge et aussi de manière intergénérationnelle, et de favoriser un cadre sécurisé propice à notre croissance personnelle et communautaire. Si elle n’en a pas le monopole, l’Eglise en a en tout cas la vocation.»

L’Eglise est une communauté qui, pour grandir, a aussi besoin de se transformer à partir des questionnements de ses membres les plus jeunes.