Le dialogue pour accueillir les personnes vivant avec un handicap

Le dialogue pour accueillir les personnes vivant avec un handicap / ©iStock
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Le dialogue pour accueillir les personnes vivant avec un handicap
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Le dialogue pour accueillir les personnes vivant avec un handicap

Accessibilité
Des groupes spécifiques existent pour les personnes en situation de handicap, mais l’accessibilité aux lieux et aux contenus des différentes activités ecclésiales ou laïques reste un enjeu.

«Il m’arrive régulièrement de m’organiser pour me rendre à une manifestation, de m’informer en amont sur l’accessibilité, et pourtant de devoir renoncer et faire demi-tour», reconnaît Sébastien Kessler. Associé au bureau d’étude en accessibilité universelle id-Geo, à Lausanne, il se déplace en fauteuil roulant. «Les gens croient comprendre, mais, par méconnaissance, ils peuvent parler d’un seuil de 5 cm quand il s’agit d’une marche de 10, ou surestimer la largeur d’un passage. Chaque sortie dans un lieu inconnu doit être planifiée. Je représente pourtant la situation la plus ‹facile›, la chaise roulante: c’est le symbole que l’on voit sur le logo ‹handicap›. Mais nous ne sommes qu’une minorité parmi les 20% de la population touchée par un handicap visible ou invisible, temporaire ou définitif. Imaginez une personne malentendante, en particulier durant la phase de transition avant qu’elle ne soit appareillée correctement. Comment faire comprendre qu’une discussion en tête à tête dans un lieu calme ne va pas poser de problème, alors qu’avec un peu de monde autour elle ne comprendra plus?»

Vivre avec un handicap peut ainsi vite devenir une cause d’isolement. Pas étonnant dès lors que, selon une étude française de l’Office chrétien des personnes handicapées parue en 2021 et relayée par La Croix, «60% des fidèles estiment avoir peu, ou jamais, l’occasion de rencontrer des personnes handicapées dans leurs paroisses». Un chiffre qui fait écho au vécu de Sébastien Kessler: «Je n’ai pas envie de prévenir la terre entière quand je veux aller manger une glace au bord du lac ni de devoir la manger en moins de vingt minutes, parce que les personnes qui m’aident à me déplacer attendent pour le trajet du retour. Des bonnes volontés, il y en a, mais l’objectif est l’autonomie des personnes en situation de handicap et pour y parvenir, améliorer l’accessibilité est un moyen.»

Traverser les difficultés ensemble, ça crée du lien

Une communauté forte

Faire face aux difficultés en groupe semble être une solution: «Traverser les difficultés ensemble, ça crée du lien», résume Myriam Fonjallaz, chargée depuis quelques mois de ministère pour l’Eglise protestante de Genève au sein de la Communauté oecuménique des personnes en situation de handicap et de leurs familles (COPH). «Quand j’ai découvert cette communauté, j’ai été touchée par la solidarité qui la traverse.» Les anecdotes d’organisation ne manquent pas et cette vie communautaire oblige à prendre son temps. «Quand il y a plusieurs personnes en chaise, alors qu’il n’y a qu’un lift, on est forcément obligés d’attendre un peu.» Mais Myriam Fonjallaz met plutôt en avant la richesse des apports de chacune et chacun des participants: «On s’enrichit mutuellement. Chacun a ses richesses et peut les exprimer dans ce cadre. Les bénévoles aussi y trouvent leur compte!»

La COPH participe régulièrement à des célébrations dans les paroisses catholiques et protestantes genevoises ou s’invite dans l’une ou l’autre pour présider un culte ou une messe. «Dans nos activités, nous soignons aussi l’aspect cognitif et la dimension créative, pour faire vivre la célébration ou la rencontre avec d’autres sens que l’écoute: les images, les odeurs, les objets à toucher», explique Myriam Fonjallaz. «Et dans la communauté, chacun est libre de s’exprimer. Par exemple, une femme danse avec des foulards alors qu’un autre s’exprime au travers du piano. On peut aussi sortir prendre un moment de pause. S’il faut parfois aménager quelques éléments, par exemple que les foulards ne masquent pas la projection destinée aux personnes malentendantes, nous accueillons toutes ces expressions de foi. Un responsable dit qu’avec la COPH cela ne se passe jamais comme prévu, mais c’est toujours bien», résume la chargée de ministère.

Côté vaudois, c’est un même esprit qui souffle sur la communauté de L’Etincelle: «Chaque fidèle prend sa place en fonction de ses dons. Chacune et chacun bénéficie des capacités des uns et des autres», explique la pasteure Evelyne Jaton, l’une des deux animatrices de ce groupe oecuménique destiné aux personnes vivant avec une déficience mentale. «Notre communauté est composée d’une vingtaine de bénévoles et d’environ huitante fidèles.» L’Etincelle dispose de deux paroisses «marraines», une catholique, une réformée, qui accompagnent pour quelques années la communauté. «Nous nous associons souvent aux activités de ces paroisses et nous veuillons à une participation active aux célébrations: une prière, un chant, une participation à l’apéro ou la prédication. C’est une façon de valoriser l’une des valeurs clés de notre groupe, décrite dans nos statuts: ‹Les personnes en situation de déficience intellectuelle sont aimées et animées par Dieu, comme toute autre personne. Non seulement elles ont leur place dans l’Eglise de Jésus-Christ, mais elles ont, parmi nous, un ministère à remplir, quelque chose à nous apporter de la part de Dieu.›»

Comme un groupe de JP

«Les fidèles de l’Etincelle sont des adultes qui ont une expérience de vie, ce ne sont pas des tout-petits», insiste Evelyne Jaton. «Ils ont des choses à nous faire découvrir. Les fidèles ont une vie spirituelle profonde, ancrée, et si l’on est attentif, il y a souvent des perles dans ce qu’ils disent ou créent. C’est pour cela que nous accordons aussi de l’importance à partager leurs création avec les paroisses marraines.»

Des communautés qui ne vivent donc jamais en repli sur elles-mêmes, mais en lien avec la vie ecclésiale. «L’Etincelle est née il y a une cinquantaine d’années, en milieu réformé, de la volonté de parents d’offrir un catéchisme adapté à leurs enfants. Puis certains ont confirmé, puis ont continué à se rencontrer. Ils ont donc créé un groupe de jeunes paroissiens (JP). Aujourd’hui encore, une partie des plus anciens parle de L’Etincelle comme des JP.»

Des efforts à faire pour l’accueil

Et tout comme une paroisse se doit d’accueillir ses JP, l’existence de groupes d’intérêts spécifiques ne doit pas exempter les paroisses du travail d’accueil de chacune et chacun, quelles que soient ses difficultés. «Les efforts d’inclusion ne bénéficient pas qu’aux personnes reconnues comme handicapées. Prenez une personne âgée: si elle a l’habitude de sortir faire une promenade et de s’asseoir sur un banc, mais qu’avec le temps elle commence à peiner à se relever du banc, car il ne dispose pas d’accoudoirs, cette personne renoncera à sortir. Mais elle ne dira pas que c’est en raison de sa difficulté à se relever du banc dépourvu d’accoudoirs: elle imputera la fatigue, le manque d’envie», pointe Sébastien Kessler.

Quelles mesures prendre pour assurer l’accessibilité des lieux d’Eglises, ou de tout autre lieu? «La première des choses est de se mettre à l’écoute des besoins de chacune et chacun. Même si je suis spécialiste de l’accessibilité universelle, même si je suis en situation de handicap, je ne peux pas anticiper tous les besoins de personnes vivant avec un handicap auditif ou visuel par exemple», souligne Sébastien Kessler. Oser lancer la discussion, appeler les gens à parler malgré la peur de déranger est donc nécessaire dans les différents communautés et lieux ouverts au public.

«Et parmi les mesures qui pourraient être prises rapidement, il y a le fait d’indiquer dans les programmes non seulement l’heure de début, mais aussi une heure de fin. Pour beaucoup de personnes vivant avec un handicap, et c’est mon cas, chaque sortie nécessite de l’organisation en amont. Et prévoir le trajet de retour en fait partie. Dans la même logique, toujours fournir un numéro de téléphone pour joindre une personne informée quant au lieu et au déroulement de la manifestation. Sur un site web, il n’est pas possible de répondre à toutes les questions spécifiques aux différents handicaps. Dans mon cas, j’ai besoin non seulement de savoir s’il y a des seuils infranchissables, mais aussi si les passages sont assez larges ou s’il y aura une table à ma hauteur. La mode aujourd’hui est aux tables hautes pour les buffets. Le cheminement est-il recouvert de gravier ou d’un revêtement plus stable? Toutes ces questions ne trouvent jamais réponse sur le web.»

Sur la toile

https://coph.epg.ch, le site de la la Communauté oecuménique de personnes en situation de handicap et de leurs familles à Genève.

www.re.fo/etincelle, celui de la communauté de L’Etincelle.

www.id-geo.ch, un bureau d’étude et de conseil en accessibilité universelle à Lausanne.

www.initiative-inclusion.ch, une initiative fédérale demandant que la Constitution mentionne que les personnes avec handicap sont égales aux autres.