Le Cercle des Parents, un combat dans les larmes

Depuis la mort de son fils David, Robi Damelin se bat pour une réconciliation entre Israéliens et Palestiniens / ©Parents Circle Families Forum
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Depuis la mort de son fils David, Robi Damelin se bat pour une réconciliation entre Israéliens et Palestiniens
©Parents Circle Families Forum

Le Cercle des Parents, un combat dans les larmes

18 septembre 2018
Les faiseurs de paix 2/5
Le Cercle des Parents – Forum des Familles (PCFF) réunit des centaines d’Israéliens et de Palestiniens endeuillés par le conflit. Des hommes et des femmes qui ont choisi d’honorer la mémoire de leurs proches en travaillant pour la réconciliation.

Si leurs peuples vivaient en paix, Robi et Bassam ne seraient pas assis l’un à côté de l’autre dans cette salle d’un hôtel de Jérusalem, face à un public avide de les entendre. En ce vendredi de septembre, Robi s’occuperait probablement des enfants de son fils David tandis que Bassam bavarderait avec sa fille Abir à la sortie de la mosquée.

Mais le conflit qui perdure a tué David et Abir. Depuis, leur mère et leur père se sont engagés dans une structure unique dans la région: le Parents Circle Families Forum. L’association réunit depuis 1995 les proches de victimes pour s’entraider, poser les bases d’une réconciliation binationale et parvenir à une solution de paix négociée. Récompensée par plusieurs prix, Parents Circle Families Forum a deux sièges, l’un en Cisjordanie et l’autre en Israël et peut compter sur des relais aux États-Unis, en Allemagne et en Grande-Bretagne. Robi Damelin et Bassam Aramin sont les porte-paroles de cette association qui comme toutes celles œuvrant pour le dialogue entre Palestiniens et Israéliens, a vu récemment ses fonds provenait d’USAID coupés par Donald Trump. Une perte aux conséquences très graves comme elle le dénonce dans le quotidien israélien Haaretz.

«Ma peine dans leurs yeux»

Robi Damelin est une figure majeure de l’association. Charismatique, directe comme savent l’être les Israéliens, cette septuagénaire aux yeux perçants qui manie un humour féroce incarne toute la force de ce combat. On sent l’effort permanent que lui demande le simple fait de vivre, mais aussi l’énergie phénoménale de ceux qui n’ont plus rien à perdre.

Née en Afrique du Sud, active contre l’apartheid («honnêtement, c’était plus pour casser les pieds de mes parents qu’autre chose»), elle arrive en Israël en 1967. Naissent deux fils, Eran et David, qui grandissent «dans un milieu très ouvert et libéral». David devient officier dans l’armée et accepte de servir dans les Territoires palestiniens occupés, convaincu de pouvoir agir positivement en traitant les Palestiniens avec respect. Mais son uniforme en fait une cible. Le 3 mars 2002, le jeune homme est tué par un sniper palestinien avec neuf autres personnes à un checkpoint de Cisjordanie.

En renonçant à mon juste droit à la vengeance, je me suis libérée
Robi Damelin

Un an plus tard, Robi Damelin voit sa vie «transformée» par la rencontre avec les mères palestiniennes endeuillées à travers le Parents Circle Families Forum. «J’ai reconnu ma peine dans leurs yeux», affirme-t-elle. Depuis, elle a tout quitté pour raconter son histoire et plaider partout où elle le peut pour la paix et la réconciliation, un «long chemin» qu’elle parcourt à son rythme, elle qui a écrit une lettre à la famille du meurtrier «Dans sa réponse, le sniper justifiait son crime pour la libération de la Palestine. Lorsque je l’ai reçue, j’ai compris que moi, je n’étais plus une victime. En renonçant à mon juste droit à la vengeance, je me suis libérée», affirme-t-elle. Robi souhaite maintenant rencontrer l’homme qui a pris la vie de David.

Au nom d’Abir

Lors de ce face-à-face, elle ne sera pas seule: Bassam Aramin se tiendra à ses côtés. Étonnant parcours que celui de ce quinquagénaire au visage marqué. À 17 ans, il est emprisonné sept ans pour avoir tiré des grenades sur des patrouilles israéliennes. En prison, il découvre la Shoah, tisse une amitié avec un maton israélien. Lorsqu’il sort, le temps n’est plus aux armes. Bassam Aramin se marie et devient père de six enfants («l’occupation israélienne à côté, ce n’est rien», jure-t-il). En 2005, au terme d’un long parcours intérieur, il cofonde l’ONG Combatants for Peace réunissant d’anciens militaires israéliens et combattants palestiniens.

Bassam a quitté la violence, mais elle resurgit dans sa vie de la pire des manières: le 20 janvier 2007, Abir, sa fille de dix ans, est tuée d’une balle dans la tête par un garde-frontière israélien à la sortie de l’école. La responsabilité «par négligence» du tireur est reconnue des années plus tard par la Cour de justice de Jérusalem, qui condamne l’État hébreu à verser 1,5 million de shekels à la famille.

La terre ou la tombe

Le crime aurait pu faire basculer le père dans la haine, mais «pour moi, il n’y a pas de retour en arrière possible. Il faut avancer dans le chemin du dialogue avec les Israéliens», affirme-t-il devant les étudiants venus l’écouter à Jérusalem. Ainsi, il n’a pas cherché à se venger de l’homme qui a tué sa fille, «parce qu’il est aussi une victime, et l’on ne prend pas sa revanche sur une victime», affirme Bassam Aramin qui a passé des années à étudier l’Holocauste pour mieux comprendre le destin du peuple juif. Ce qu’il veut en revanche, c’est que les Israéliens et les Palestiniens reconnaissent enfin mutuellement leur existence et leur droit à vivre dans ce coin de monde. «On doit partager la terre, sinon c’est la tombe que l’on partagera», conclut cet homme récompensé à de nombreuses reprises.

Israël-Palestine, les faiseurs de paix 2/5

Lors de la Semaine mondiale pour la paix en Israël et Palestine du 16 au 23 septembre, Protestinfo vous propose une série de cinq articles racontant des personnes, des lieux ou des associations œuvrant à cette fin dans la région.