Origène: des clés pour interpréter l’Ecriture

Origène, portrait de Guillaume Chaudière (1584) / ©Wikimedia Commons / LDD
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Origène, portrait de Guillaume Chaudière (1584)
©Wikimedia Commons / LDD

Origène: des clés pour interpréter l’Ecriture

Exégèse
Chaque passage biblique recèle un trésor. Pour le découvrir, il faut passer par d’autres textes: c’est la conviction d’Origène, pionnier de la recherche biblique au IIIe siècle
L’ensemble de l’Ecriture ressemble à un grand nombre de pièces fermées à clé, dans une maison unique. Auprès de chaque pièce est posée une clé, mais non pas celle qui lui correspond. Ainsi les clés sont dispersées auprès des pièces, aucune ne correspondant à la pièce près de laquelle elle est posée. C’est un très grand travail que de trouver les clés et de les faire correspondre aux pièces qu’elles peuvent ouvrir.
Origène, Philocalie (IIIe siècle)

C’est avec son trousseau de clés qu’il faut partir à la découverte de la Bible… Cette image apparemment saugrenue, c’est Origène qui l’emploie. Car pour cet auteur, né à Alexandrie à la fin du IIe siècle, l’Ecriture est comme une grande maison, dont chacune des pièces (à savoir chacun des textes) est fermée à double tour. Or les clés pour ouvrir celles-ci se trouvent dans d’autres pièces. C’est donc là (soit dans d’autres passages bibliques) qu’il faut aller les chercher pour ouvrir la pièce qui nous intéresse.

«Pour Origène, la Bible constitue un ensemble cohérent, dont chaque élément ne peut être compris que grâce aux clés de compréhension que donnent d’autres passages», clarife Eric Junod, professeur émérite à la Faculté de théologie de Lausanne. «Si je m’achoppe sur un passage du Cantique des cantiques, c’est peut-être dans la Lettre aux Ephésiens que je trouverai la solution; ou je me tirerai d’affaire en trouvant, dans le livre du Lévitique par exemple, le mot sur lequel je bute», précise le spécialiste.

Cette approche implique une connaissance encyclopédique de la Bible. Et oblige l’interprète à une curiosité infinie. Ce qui n’est pas sans fasciner le chercheur lausannois: «Origène a un vrai côté ‹tête chercheuse›… Pour lui, tout doit être interrogé, et chaque hypothèse est légitime. Ce qui est très stimulant au plan intellectuel, même si les solutions ébauchées peuvent aujourd’hui nous apparaître extravagantes.»

Au-delà du sens littéral

Origène propose ainsi de dépasser le sens premier du texte, le sens littéral, pour accéder à un second niveau de compréhension, qu’il appelle allégorique. «Il n’y a jamais de sens immédiat dans la Bible: puisque tout texte est divinement inspiré, chaque passage peut nous transmettre autre chose», explique Eric Junod. C’est cet enseignement imagé que recherche l’auteur d’Alexandrie. Origène apparaît ainsi comme un pionnier de l’exégèse, l’approche critique du texte biblique. «Mais sa recherche n’a rien de compartimenté. Elle a toujours en vue l’ensemble des Ecritures», précise le théologien lausannois. Ajoutant que, selon certains, c’est avec la contribution d’Origène que le christianisme devient une religion du Livre. En effet, si l’Alexandrin hérite certains principes d’interprétation de la tradition juive, sa méthode inspire plus encore la réflexion chrétienne des siècles suivants.

«C’était un bourreau de travail… Il ne limite pas son investigation à quelques livres bibliques, mais il les aborde presque tous», admire Eric Junod. Ce sera l’œuvre de sa vie. Elle donnera lieu à presque 250 tomes de commentaires et à plus de 500 prédications.

Une vie digne d’un roman

Si Origène consacre sa vie à la recherche du sens des Ecritures, sa vie elle-même est un roman… Né vraisemblablement à Alexandrie vers 185, il quittera la métropole égyptienne pour la Palestine vers 230, en butte à l’hostilité de l’évêque local. Auparavant, à la trentaine, il aurait choisi de se châtrer pour se soustraire à toute tentation. Il mourra vers 253, des suites de tortures subies lors d’une persécution. Le grand succès de son œuvre donnera aussi lieu à des reprises excessives. Ces doctrines, rattachées à son nom, seront condamnées par le concile de Constantinople II, en 553. «En fait, Origène sera condamné sans qu’il y ait réellement eu de confrontation directe avec son œuvre», pondère Eric Junod.