A Genève, la maison de la Croisette lutte contre l’ennui et la solitude des requérants d’asile
29 janvier 2004
A Vernier, l’Aumônerie œcuménique Agora a ouvert un centre d’accueil pour les requérants d’asile
Ces derniers viennent y chercher un peu de réconfort. Les activités qui leurs sont proposées leurs permettent de sortir de l’inactivité totale à laquelle ils sont condamnés.Moussa, originaire de Côte d’Ivoire, est en Suisse depuis quatre mois, mais il est déjà aussi ponctuel qu’un Helvète modèle. A neuf heures, dès l’ouverture des portes, il arrive pour le premier café du matin. «Je m’ennuie tellement dans mon foyer que je viens passer la plupart de mon temps ici», explique-t-il.
Des cours de français, d’informatique, d’histoire et de dessin sont dispensés aux visiteurs. Des bénévoles sont là pour écouter ceux qui ressentent le besoin de partager leurs problèmes. Des juristes et des « scribes » accompagnent les candidats à l’asile tout au long de leur procédure. Malgré les chutes de neige, le salon se remplit. Une majorité d’hommes entre vingt et trente ans parle des intempéries. A chaque coup de sonnette, on ouvre la porte au nouveau venu. Les membres de l’Agora tiennent à ce rituel. « Ils sont déjà trop souvent reçus sans un sourire dans les autres lieux », explique Pilar, bénévole à la Croisette.
L’informatique et le français sont les deux branches les plus demandées. Les douze ordinateurs du centre sont tous occupés. «On est obligé de refuser du monde», reconnaît Pilar. La possibilité d’obtenir un diplôme après avoir passé des examens à l’Institution de formation d’adultes de Genève explique ce succès. « Il faut savoir qu’en Afrique, une personne sur vingt n’a pas accès à un ordinateur», explique Ibrahïma, le professeur d’informatique, originaire du Sénégal. Ceux qui sont renvoyés dans leur pays après avoir suivi ces cours, possèdent un savoir supplémentaire précieux. Moussa tape un résumé d’un livre sur l’Afrique qu’il présentera lors de l’atelier d’histoire en début d’après-midi. « Les cours me permettent aussi d’évoquer mon pays et ses problèmes », témoigne-t-il.
Dans la classe d’Elizabeth, l’ambiance est studieuse. On se penche sur les temps des verbes français. Les requérants d’asile ont besoin de pouvoir s’exprimer rapidement en français. Cela facilite leur visite dans les différentes administrations et leur intégration en terre helvétique, si leur demande est acceptée.Difficile de garder le moralLes requérants d’asile souffrent souvent de graves problèmes psychiques. Le départ de leur pays d’origine dans des conditions parfois difficiles, ce qu’ils y ont subi, le périple qu’ils ont fait pour atteindre la terre d’accueil et les difficultés rencontrées une fois sur place, sont autant de facteurs perturbants. « Je peux les comparer à des bombes à retardement », commente Ibrahïma qui renchérit : «Certains élèves ont besoin de se confier». Les murs de la maison sont tapissés des parcours des réfugiés qui ont fréquenté l’Agora. Les photocopies des demandes d’asile témoignent pour la plupart d’une visite médicale qui confirme un état de forte anxiété ou de dépression. La pause de midi approche. Les couloirs se vident. Nicky, bénévole depuis quelques mois, prépare son repas dans la cuisine: « On ne fait pas à manger pour tout le monde à midi. Le manque d’argent et de personnel rend impossible la distribution d’un repas gratuit pour ceux qui fréquentent ce lieu ».
Charles, civiliste, anime l’atelier d’histoire. La Côte d’Ivoire est le sujet du jour. «Pour les demandeurs d’asile, c’est l’occasion de parler de leur pays dans d’autres termes que ceux d’une procédure juridique ». Charles poursuit en affirmant qu’« ils se réapproprient une partie d’eux-mêmes ». Sœur Laetitia apporte du thé, du café et des biscuits aux nouveaux arrivants. Le sourire aux lèvres, elle met à l’aise ceux qui franchissent le seuil de la Croisette pour la première fois.
La majorité des personnes qui fréquente ces lieux sera renvoyée. Le découragement ne gagne-t-il pas les bénévoles ? La réponse est unanime : « C’est plutôt nos visiteurs qui sont découragés !». La plupart des animateurs était déjà présent lorsque l’Agora disposait d’un local à côté du Centre d’enregistrement de la Praille. « Lors de la guerre du Kosovo, certains passeurs déposaient des personnes apeurées et exténuées devant notre local », se souvient Pilar.
Le maison de la Croisette a vu le jour lorsque le bureau d’enregistrement a fermé ses portes en 2001 pour se déplacer à Vallorbe. Les membres de l’aumônerie ont dû repenser leur mission auprès des requérants. «Avant, on travaillait vraiment dans l’urgence», se rappelle Pilar. Pour éviter que certaines personnes ne dorment dans la rue, les bénévoles les aidaient à trouver un toit pour la nuit. Aujourd’hui, le but est de leur proposer des activités. La solitude et l’ennui minent leur moral. « Je vis dans un baraquement en bois, sans radio ni télé et sans aucune activité. Je deviens fou si je reste toute la journée là-bas », confirme Moussa.Les méandres de l’administration Véronique Egger, aumônier protestante, arrive en début d’après-midi. Elle cherche une personne qui comprenne le mandingue, un dialecte sénégalais. Un jeune Africain qui dit ne pas parler français se trouve dans la zone de transit de l’aéroport et veut déposer une demande d’asile. Elle commence un travail d’accompagnement auprès de cet homme qu’elle a trouvé effrayé et à bout de force. « Après une deuxième audition de la police, il sera soit expulsé, soit envoyé à Vallorbe », explique-t-elle. La procédure est compliquée. En cas de refus, le requérant peut déposer un recours dans les quarante huit heures. Par contre, les délais entre les différentes décisions sont en général longs. Un homme est resté plus de quinze jours en zone de transit en attendant un décret de l’administration. « Imaginez l’état psychique dans lequel vous pouvez être après cette expérience », interpelle Véronique Egger.
La journée touche à sa fin. Deux jeunes filles chantent des textes de Florent Pagny accompagnées à la guitare par Daniel, un autre civiliste. Une dizaine de personnes partage le goûter. Elles débattent de leur situation. « On nous accuse de répandre le sida ou de voler le travail des Suisses, mais nous ne sommes pas responsables de tous les maux de la planète !», déclare Amina. « On sourit beaucoup par nature, mais je vous assure que notre situation est très dure à vivre », témoigne Awa qui ajoute : « Je ne souhaite cette situation à personne ». Une citation de Paul Ricoeur, épinglée au mur, résume bien la situation : « Il est toujours plus question de protéger les Etats des flux de réfugiés, que de protéger ces derniers des causes de leur exil ». La Croisette, 158 rte de Vernier, 1214 Vernier, tél. 022 807 27 30.
Des cours de français, d’informatique, d’histoire et de dessin sont dispensés aux visiteurs. Des bénévoles sont là pour écouter ceux qui ressentent le besoin de partager leurs problèmes. Des juristes et des « scribes » accompagnent les candidats à l’asile tout au long de leur procédure. Malgré les chutes de neige, le salon se remplit. Une majorité d’hommes entre vingt et trente ans parle des intempéries. A chaque coup de sonnette, on ouvre la porte au nouveau venu. Les membres de l’Agora tiennent à ce rituel. « Ils sont déjà trop souvent reçus sans un sourire dans les autres lieux », explique Pilar, bénévole à la Croisette.
L’informatique et le français sont les deux branches les plus demandées. Les douze ordinateurs du centre sont tous occupés. «On est obligé de refuser du monde», reconnaît Pilar. La possibilité d’obtenir un diplôme après avoir passé des examens à l’Institution de formation d’adultes de Genève explique ce succès. « Il faut savoir qu’en Afrique, une personne sur vingt n’a pas accès à un ordinateur», explique Ibrahïma, le professeur d’informatique, originaire du Sénégal. Ceux qui sont renvoyés dans leur pays après avoir suivi ces cours, possèdent un savoir supplémentaire précieux. Moussa tape un résumé d’un livre sur l’Afrique qu’il présentera lors de l’atelier d’histoire en début d’après-midi. « Les cours me permettent aussi d’évoquer mon pays et ses problèmes », témoigne-t-il.
Dans la classe d’Elizabeth, l’ambiance est studieuse. On se penche sur les temps des verbes français. Les requérants d’asile ont besoin de pouvoir s’exprimer rapidement en français. Cela facilite leur visite dans les différentes administrations et leur intégration en terre helvétique, si leur demande est acceptée.Difficile de garder le moralLes requérants d’asile souffrent souvent de graves problèmes psychiques. Le départ de leur pays d’origine dans des conditions parfois difficiles, ce qu’ils y ont subi, le périple qu’ils ont fait pour atteindre la terre d’accueil et les difficultés rencontrées une fois sur place, sont autant de facteurs perturbants. « Je peux les comparer à des bombes à retardement », commente Ibrahïma qui renchérit : «Certains élèves ont besoin de se confier». Les murs de la maison sont tapissés des parcours des réfugiés qui ont fréquenté l’Agora. Les photocopies des demandes d’asile témoignent pour la plupart d’une visite médicale qui confirme un état de forte anxiété ou de dépression. La pause de midi approche. Les couloirs se vident. Nicky, bénévole depuis quelques mois, prépare son repas dans la cuisine: « On ne fait pas à manger pour tout le monde à midi. Le manque d’argent et de personnel rend impossible la distribution d’un repas gratuit pour ceux qui fréquentent ce lieu ».
Charles, civiliste, anime l’atelier d’histoire. La Côte d’Ivoire est le sujet du jour. «Pour les demandeurs d’asile, c’est l’occasion de parler de leur pays dans d’autres termes que ceux d’une procédure juridique ». Charles poursuit en affirmant qu’« ils se réapproprient une partie d’eux-mêmes ». Sœur Laetitia apporte du thé, du café et des biscuits aux nouveaux arrivants. Le sourire aux lèvres, elle met à l’aise ceux qui franchissent le seuil de la Croisette pour la première fois.
La majorité des personnes qui fréquente ces lieux sera renvoyée. Le découragement ne gagne-t-il pas les bénévoles ? La réponse est unanime : « C’est plutôt nos visiteurs qui sont découragés !». La plupart des animateurs était déjà présent lorsque l’Agora disposait d’un local à côté du Centre d’enregistrement de la Praille. « Lors de la guerre du Kosovo, certains passeurs déposaient des personnes apeurées et exténuées devant notre local », se souvient Pilar.
Le maison de la Croisette a vu le jour lorsque le bureau d’enregistrement a fermé ses portes en 2001 pour se déplacer à Vallorbe. Les membres de l’aumônerie ont dû repenser leur mission auprès des requérants. «Avant, on travaillait vraiment dans l’urgence», se rappelle Pilar. Pour éviter que certaines personnes ne dorment dans la rue, les bénévoles les aidaient à trouver un toit pour la nuit. Aujourd’hui, le but est de leur proposer des activités. La solitude et l’ennui minent leur moral. « Je vis dans un baraquement en bois, sans radio ni télé et sans aucune activité. Je deviens fou si je reste toute la journée là-bas », confirme Moussa.Les méandres de l’administration Véronique Egger, aumônier protestante, arrive en début d’après-midi. Elle cherche une personne qui comprenne le mandingue, un dialecte sénégalais. Un jeune Africain qui dit ne pas parler français se trouve dans la zone de transit de l’aéroport et veut déposer une demande d’asile. Elle commence un travail d’accompagnement auprès de cet homme qu’elle a trouvé effrayé et à bout de force. « Après une deuxième audition de la police, il sera soit expulsé, soit envoyé à Vallorbe », explique-t-elle. La procédure est compliquée. En cas de refus, le requérant peut déposer un recours dans les quarante huit heures. Par contre, les délais entre les différentes décisions sont en général longs. Un homme est resté plus de quinze jours en zone de transit en attendant un décret de l’administration. « Imaginez l’état psychique dans lequel vous pouvez être après cette expérience », interpelle Véronique Egger.
La journée touche à sa fin. Deux jeunes filles chantent des textes de Florent Pagny accompagnées à la guitare par Daniel, un autre civiliste. Une dizaine de personnes partage le goûter. Elles débattent de leur situation. « On nous accuse de répandre le sida ou de voler le travail des Suisses, mais nous ne sommes pas responsables de tous les maux de la planète !», déclare Amina. « On sourit beaucoup par nature, mais je vous assure que notre situation est très dure à vivre », témoigne Awa qui ajoute : « Je ne souhaite cette situation à personne ». Une citation de Paul Ricoeur, épinglée au mur, résume bien la situation : « Il est toujours plus question de protéger les Etats des flux de réfugiés, que de protéger ces derniers des causes de leur exil ». La Croisette, 158 rte de Vernier, 1214 Vernier, tél. 022 807 27 30.