Près d'une personne âgée sur dix est maltraitée en Suisse: Alter Ego lève le tabou
Louis, 75 ans, est sous le coup d’une mise en poursuite. Un comble pour ce vieil homme scrupuleux qui a toujours couru à la poste payer ses factures dès q’il les relevait dans sa boîte aux lettres. En fait, c’est son fils, endetté chronique au chômage qu’il héberge, qui est à l’origine de son désastre financier. Le fils a en effet vidé le compte postal de Louis et négligé tous les paiements qu’il était censé faire pour son père.
Henry, lui, souffre de violents maux de tête et voit des cohortes de fantômes et d’animaux bizarres défiler du côté de son œil gauche. Mais à l’EMS, on ne s’en émeut pas et on ignore ses douleurs. Alors il se tasse un peu plus dans son fauteuil roulant et attend, résigné, que le mal passe ou que la mort vienne. Ninette, elle, est houspillée à longueur de journée par sa fille qui en a la charge et qui, il est vrai, n’en peut plus tant la tâche est lourde. La vieille dame immobilisée est devenue la cible d’un règlement de compte sournois. Mais elle se tait par crainte d’être « placée », comme on l’en menace régulièrement et de ne plus voir ses petits-enfants. Et à qui se plaindrait-elle d’ailleurs ? Elle ne sort pas, ne voit pas personne. Françoise force sa soeur atteinte de la maladie d’Alzheimer, avec laquelle elle vit, à répéter des listes de mots « pour entraîner sa mémoire ». Intention louable de repousser les ravages de la maladie qui prend des allures de torture pour la vieille dame malade.
Assistante sociale, Caroline von Gunten coordonne le travail d’Alter Ego Vaud contre la maltraitance. Elle énumère les facteurs de risques qui, cumulés, transforment des personnes âgées des victimes : ce sont des veufs et des veuves de plus de 75 ans, des femmes mariées ayant déjà vécu des problèmes de violence, des personnes dépendantes pour les soins de base, la gestion de leurs biens et de leurs revenus, ou souffrant d’une maladie mentale ou dégénérative, des personnes vivant seules et recevant rarement des visites, ou encore dépendantes d’un membre de la famille qui traverse des difficultés économiques.
Des travaux récents sur la violence faite aux aînés montrent que la maltraitance ordinaire sévit souvent dans le ménage même de la victime ou dans son cercle familial. Parfois les fondements des mauvais traitements envers les personne âgées sont de nature transgénérationnelle ; c’est ce que met en évidence la psychothérapeute Anne Ancelin Schützenberg dans son ouvrage « Aïe, mes aïeux ! »*. L’auteur y démontre que des épreuves anciennes et des secrets de famille peuvent induire des « impensés dévastateurs ». Ce qui explique que certains comportements de maltraitance ne naissent pas au moment où la vieillesse place une personne dans une situation de fragilité particulière. En réalité, ces comportements qui font violence aux personnes âgées étaient latents et ne font la plupart du temps que changer de forme. Cette constatation ne rend pas pour autant la maltraitance plus facilement repérable de l’extérieur. Rien n’est en effet plus délicat que de la reconnaître. « La maltraitance est souvent régie par la loi du silence, explique Caroline von Gunten, autant de la part des victimes en état de dépendance et de fragilité extrême, que des persécuteurs. « Si tu parles, je t’avertis : tu ne verras plus tes petits-enfants ! Si ça ne te convient pas, on te place en maison ! » La menace a de quoi décourager toute tentative de plainte.
Dans le cadre familial, l’expression de la souffrance est souvent muselée par un sentiment de culpabilité : celui de représenter une charge pour les proches ou d’être à l’origine d’un conflit dans la famille. Les personnes âgées ont tendance à excuser ou à justifier les comportements abusifs qu’on leur fait subir. Elles ignorent enfin les possibilités d’aide et de recours. A l’encontre des femmes violentées, il n’existe pas de lieu d’accueil ou de défense spécifique pour les personnes âgées victimes de maltraitance. Les persécuteurs, eux, minimisent en général la portée de leurs actes, les justifient et se posent à leur tour en victime. Ils n’ont d’ailleurs pas toujours conscience de pratiquer une maltraitance. « Parfois, une plainte faite par un usager des services d’un Centre médico-social est ambiguë, donc difficile à évaluer. Faut-il ou non intervenir ? L’enjeu pour les professionnels, est délicat et complexe. Il faut arriver à évaluer ce qui est admissible de ce qui ne l’est pas. L’objectif de notre association n’est pas de clouer au pilori mais de venir en aide, de dénouer des situations par le dialogue » précise Caroline von Gunten.
Il existe aussi des cas de maltraitance en institution, souvent dus à une trop grande distance entre soignants et résidents, un manque d’empathie de la part du personnel, parfois en nombre insuffisant. La surcharge de travail peut entraîner des négligences. Là aussi les résidents hésitent à se plaindre, ignorant leurs droits ou n’arrivant pas à évaluer que ce qui leur arrive n’est pas normal .