L'Eglise évangélique réformée du canton de Fribourg a 150 ans :Une identité forte en terre catholique
« Nous avons l’impression d’être une Eglise jeune parce que nous sommes toujours en train de bâtir notre identité de réformés fribourgeois en terre catholique ». C’est Daniel de Roche, président du Conseil synodal (exécutif), couramment appelé « Monsieur Protestant », qui s’exprime dans son fief de Morat, siège de l’Eglise cantonale. « Daniel de Roche est notre évêque !» glisse, le sourire en coin, Jean-Baptiste Lipp, pasteur en ville de Fribourg. L’appellation, impensable dans un canton protestant, - les réformés sont allergiques à toute hiérarchie - s'entend couramment à Fribourg. Alors les protestants parlent parfois de « leur Vatican » à Morat, et de leur « vicaire épiscopal » pour désigner l’interlocuteur de Monseigneur Genoud, considéré comme Le porte-parole du christianisme dans le canton. « On ne se rend pas bien compte qu’il y a des réformés dans le canton ! » déplore Daniel de Roche. Ce qui n’empêche pas les deux communautés chrétiennes d’entretenir un dialogue œcuménique suivi, empreint d’amitié.
Si l’Eglise réformée fribourgeoise ne pèse pas bien lourd, - 35'000 Réformés pour une population de 245'000 habitants recensés en 2000 - face aux catholiques, elle n’en est pas moins reconnue comme une Eglise cantonale officielle depuis le 21 février 1854, date de l’entrée en vigueur de la loi ecclésiastique lui donnant un statut de droit public. Elle est actuellement en pleine expansion grâce à la diaspora protestante formée de jeunes familles venue s’installer sur sol fribourgeois mais travaillant à Berne ou dans le canton de Vaud. Elle a passé en peu de temps de 11 à 16 paroisses. Un temple a été inauguré en 2001 à Düdingen, après qu’une ancienne ferme a été transformée en centre paroissial à Châtel-St-Denis et une maison de paroisse édifiée en 1999 à Cordast. La construction d'un centre paroissial à Bösingen est actuellement en discussion. L’argent, singulièrement, ne manque pas. « Comme réformé, nous sommes ici comme des coqs en pâte, les paroisses ont le droit de percevoir 10% de l’impôt cantonal. Mais c’est une autre paire de manches que d’y être reconnu comme une Eglise par tout un chacun !», constate Daniel de Roche.
C’est à Morat, baillage commun entre Fribourg et Berne, qui passa à la Réforme en 1530, avec les communes de Kerzers, Môtier, Meyriez et Ferenbalm, que l’Eglise protestante est née. Guillaume Farel était venu y prêcher. Très apprécié, il y resta et devint le premier pasteur de la paroisse de Morat. En 1803, le district est rattaché au canton de Fribourg par l’Acte de Médiation. On se querelle pendant neuf ans pour savoir qui de Berne ou de Fribourg va payer les pasteurs du Moratois. En 1836, une paroisse réformée voit le jour à Fribourg et des émigrés réformés affluent dans la ville. Les paroissiens font appel à un pasteur bâlois, Guillaume Le Grand, qu’ils choisissent pour son bilinguisme. Il va mettre sur pied, avec d’autres pasteurs suisses, la première société d’aide aux protestants disséminés. «Aujourd’hui encore, nous formons une Eglise d’immigrés, remarque Daniel de Roche, et il n’y a quasiment pas de pasteurs nés ici, en terre fribourgeoise ! ».
Pasteur à la paroisse de Fribourg-la Sarine qui comprend une soixantaine de communes, Jean-Baptiste Lipp est l’exemple même de ces réformés de la diaspora. Venu du canton de Vaud, il se souvient que sa vocation pastorale a toujours été liée à des récits de protestantisme minoritaire. «Mon père et ma mère avaient évolué pendant un certain temps dans la communauté protestante française, noyée en terre catholique et ayant dû développer, de ce fait, une forte identité. Quand il a su qu’un poste était à repourvoir à Romont et Fribourg, il a tout de suite postulé. « Chic, je vais pouvoir être minoritaire sans trop m’éloigner ». C’était en 1987, Jean-Baptiste Lipp venait d’être consacré. Marié à une Valaisanne catholique, il s’est réjoui de venir à Fribourg pour relever trois défis : se retrouver dans une paroisse bilingue, - j’étais engagé pour les francophones mais je devais aussi célébrer des cultes en allemand -, pratiquer au jour le jour un œcuménisme de terrain entre catholiques et protestants, entre francophones et alémaniques, mais aussi se confronter à des paroissiens de la ville et de la campagne. Une triple mixité enrichissante mais parfois épuisante, qui empêche de ronronner dans son coin.
« Travailler dans deux langues, ça nous oblige à tenir compte d’une autre façon de penser, explique pour sa part Christine Noyer, vice-présidente du Conseil synodal, il faut sans cesse tenir compte de l’autre culture. Très active dans son Eglise, elle reconnaît qu’il est parfois plus difficile de trouver un consensus avec des Alémaniques qu’avec des Africains francophones ! ». Elle cite volontiers l’un des points de divergence très sensibles : la conception fort différente qu’ont Alémaniques et Romands de la mission et du travail de Terre Nouvelle. « Les Alémaniques s’attachent à une réflexion sur l’entraide alors que les Romands privilégient une perspective plus missiologique, impensable pour nos partenaires germanophones ». Forte de son expérience de déléguée à la Communauté d’Eglises en Mission (CEVAA), qui lui a ouvert l’horizon. elle a mieux réalisé que sa petite Eglise fribourgeoise faisait partie d’une immense communauté à travers le monde et cherche toujours à élargir le dialogue, à susciter la réflexion dans le respect réciproque, à promouvoir la notion de partage.
La ville de Fribourg s’étant étendue jusqu’à la gare, le temple protestant se retrouve au cœur de la cité, dans un fort lieu de passage. L’équipe pastorale en a profité pour ouvrir l’église chaque midi aux jeunes qui viennent y pique-niquer pendant leur pause. « Des jeunes zonaient tout autour, on s’est dit qu’on allait ouvrir nos portes, sur le modèle de ce qui se fait déjà en Suisse alémanique ou à l’église Saint-Laurent à Lausanne. Une personne de l’aumônerie catholique s’est jointe à notre équipe à midi. L’après-midi, entre 17 et 19 heures, le centre paroissial accueille chaque jour tous ceux qui ont envie de se recueillir ou de se retrouver pour discuter ». Jean-Baptiste Lipp relève qu’il y a un bon vivre à Fribourg qui va singulièrement lui manquer : il retourne en effet à l’automne en terre vaudoise après avoir passé seize ans au service de l’Eglise évangélique réformée fribourgeoise.