« Zona » au Musée International de La Croix-Rouge :Images des goulags sibériens recyclés en camps de détenus
16 mars 2004
Zona en argot russe veut dire prison. C’est le titre de l’exposition de photographies de Carl De Keyser sur les camps de prisonniers en Sibérie, actuellement à l’affiche du Musée International de la Croix-Rouge à Genève
Au cours de ses pérégrinations, le photographe belge a visité une trentaine de camps pour prisonniers de droit commun. Sous la surveillance rapprochée de deux colonels, il a fait des clichés décalés d’une réalité parfois trafiquée. Derrière les couleurs kitsch, l’œil cherche ce qui cloche. Et trouve. C’est dans les environs de Krasnoyarsk, cité interdite jusqu’en 1994 à cause de ses sites nucléaires et de sa gigantesque usine d’aluminium, que le reporter photographe belge Carl De Keyser, de l'agence Magnum, a promené son objectif. Il y a connu des mois torrides et des hivers pierre fendre (il fait jusqu’à moins 65°C) et a visité sous haute surveillance une trentaine de camps sur les 130 répertoriés dans cette région immense qui couvre une surface à peu près équivalente à l’Europe. Au cours de son périple, toujours flanqué de ses deux colonels et muni de permissions dûment signée du général responsable des camps, - on devine la patience qu’il a fallu pour obtenir toutes les permissions - il a distingué trois catégories de prisons : les camps-usines, généralement situés en ville, où les détenus sont affectés à des travaux allant de l’industrie lourde à la fabrication artisanale, les camps-villages, au milieu de nulle part, d’où il est impossible de s’échapper, où certains prisonniers peuvent vivre en famille, où leurs enfants vont à l’école avec ceux des gardiens ; enfin les établissements en pleine forêt, complètement perdus à des centaines de kilomètres des villes ; les condamnés y travaillent le bois dans des conditions de vie et un climat particulièrement difficiles. « En hiver, comme la plupart des camps de forêt sont très éloignés, explique Carl De Keyser, on devait prendre un train spécial, le train du goulag, pour faire environ 600 kilomètres vers le nord. Quelquefois, quand on arrivait sur place, on devait attendre deux ou trois jours pour pouvoir entrer. Il n’y avait pas vraiment d’explication à notre attente et finalement on s’apercevait que presque tout le camp avait été repeint, que les prisonniers avaient des uniformes neufs ». Ce qui explique en partie les surprenantes couleurs kitsch des photographies, accentuées encore par les chromos, les fresques pieuses aux couleurs vives et les affiches épinglées au mur comme des brèches ouvertes sur le rêve et les ciels sibériens d’un bleu parfois intense.
Carl De Keyser a choisi la couleur pour souligner le choc du temps et la distance avec la mémoire collective du goulag et le flash pour augmenter leur intensité et les saturer. « Pour moi, la couleur représente le temps présent, elle sert à affirmer que les camps existent bel et bien encore aujourd’hui ».
Une mise en scène lui est souvent suggérée, voire imposée : « On voulait nous montrer la bibliothèque parce que c’est un signe positif. Les prisonniers avaient l’air de lire, mais certains d’entre eux tenaient leur livre tourné à l’envers ».
Ce qui cloche, c’est ce que le photographe a cherché à débusquer dans ce qu’on voulait bien lui montrer de la vie quotidienne des détenus et des prisonnières. Il n’a pas cherché à voler des images sensationnelles ou scandaleuses, à faire un scoop qui lui aurait immédiatement fermé les portes, mais bien à faire des images décalées, à jouer avec ce qu’on lui laissait voir, à décrypter une information derrière celle qu’on avait manipulée. Un exemple : Un jour le photographe tombe sur un court de tennis. On lui affirme que les prisonniers jouent. « Puis-je en photographier ? » demande-t-il. Avec peine, on met la main sur deux raquettes. « Et les balles, où sont-elles ? » Personne n’en trouve. II photographie alors les deux hommes jouant sans balles ! « Il n’y avait pas la moindre chance de montrer la situation réelle, explique encore le photographe ». Alors il s’accommode de la réalité « positive » qu’on veut lui montrer, il biaise. Mais la surpopulation et la promiscuité ne peuvent peut être masquées, ni les regards à l’inquiétante fixité, ni les yeux grands ouverts sur un insondable vertige, ni les barbelés du camp des tuberculeux, encore moins la suprématie des caïds et la servilité des « esclaves », selon la hiérarchie de caste propre au système carcéral russe, inculqué aux détenus dès la prison préventive.
UTILE
Zona, camps de prisonniers en Sibérie, du 17 mars au 18 juollet 2004, Musée International de la Croix-Rouge, 17, avenue de la Paix, 1202 Genève, ouvert de 10 à 17h, sauf le mardi. Depuis la gare Cornavin, bus 8, arrêt Appia.
Carl De Keyser a choisi la couleur pour souligner le choc du temps et la distance avec la mémoire collective du goulag et le flash pour augmenter leur intensité et les saturer. « Pour moi, la couleur représente le temps présent, elle sert à affirmer que les camps existent bel et bien encore aujourd’hui ».
Une mise en scène lui est souvent suggérée, voire imposée : « On voulait nous montrer la bibliothèque parce que c’est un signe positif. Les prisonniers avaient l’air de lire, mais certains d’entre eux tenaient leur livre tourné à l’envers ».
Ce qui cloche, c’est ce que le photographe a cherché à débusquer dans ce qu’on voulait bien lui montrer de la vie quotidienne des détenus et des prisonnières. Il n’a pas cherché à voler des images sensationnelles ou scandaleuses, à faire un scoop qui lui aurait immédiatement fermé les portes, mais bien à faire des images décalées, à jouer avec ce qu’on lui laissait voir, à décrypter une information derrière celle qu’on avait manipulée. Un exemple : Un jour le photographe tombe sur un court de tennis. On lui affirme que les prisonniers jouent. « Puis-je en photographier ? » demande-t-il. Avec peine, on met la main sur deux raquettes. « Et les balles, où sont-elles ? » Personne n’en trouve. II photographie alors les deux hommes jouant sans balles ! « Il n’y avait pas la moindre chance de montrer la situation réelle, explique encore le photographe ». Alors il s’accommode de la réalité « positive » qu’on veut lui montrer, il biaise. Mais la surpopulation et la promiscuité ne peuvent peut être masquées, ni les regards à l’inquiétante fixité, ni les yeux grands ouverts sur un insondable vertige, ni les barbelés du camp des tuberculeux, encore moins la suprématie des caïds et la servilité des « esclaves », selon la hiérarchie de caste propre au système carcéral russe, inculqué aux détenus dès la prison préventive.
UTILE
Zona, camps de prisonniers en Sibérie, du 17 mars au 18 juollet 2004, Musée International de la Croix-Rouge, 17, avenue de la Paix, 1202 Genève, ouvert de 10 à 17h, sauf le mardi. Depuis la gare Cornavin, bus 8, arrêt Appia.